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ASSOCIATIONS - Karm el-Zeitoun terminé depuis dix jours ; Saïfi, Saint-Maron, la rue Hamra et Bourj el-Brajneh, entre autres, sur la liste d’attente HelpLebanon, pour changer le quotidien des Libanais, les faire aimer leur quartier... (photos)

C’est une histoire. Une façon autre de contribuer. De faire en sorte qu’un pays ruiné moralement et physiquement, abandonné par un État corrompu, indifférent et irresponsable, change, évolue, aille vers un meilleur. Ravaler les façades des immeubles des zones difficiles, pauvres et souffreteuses, les colorer arc-en-ciel, construire des ponts, imposer et apprendre le beau, encourager les riverains à aimer leur quartier, à l’entretenir, à s’y impliquer – mieux : à ne plus rêver, chaque nuit, de le quitter –, tout cela n’est certes pas suffisant pour effacer les misères, mais s’est avéré, au fil des mois, depuis près de huit ans, absolument nécessaire. Une histoire donc, une réussite, une vraie, grâce aux dons, aux désirs des uns et des autres de participer à la mue du Liban, grâce aussi, surtout, à la volonté d’acier d’une association : HelpLebanon. Principal bénéficiaire ? Beyrouth, Tout-Beyrouth, évidemment, mais aussi, et ça ne s’arrête plus, le Nord, le Sud, l’Est, qui demandent à l’association à but non lucratif de venir mettre du rouge, du rose, du bleu ou du jaune sur leurs immeubles noircis, meurtris.
Tout commence en 1996. Grâce à Rafic Hariri. À cause de lui, plutôt, et de sa frénésie de constructions. Il veut une voie express, sur trois niveaux, et un pont, qui auraient châtré et totalement défiguré le quartier de Tabaris. En une après-midi, plus de mille deux cents signatures pétitionnaires sont réunies par Liliane Tyan, la présidente de HelpLebanon. Mille deux cents Beyrouthins qui paraphent de leurs noms une lettre ouverte, dans L’Orient-Le Jour, adressée à l’omnipotent Premier ministre. Qui donne rendez-vous à quelques-uns d’entre eux, le lendemain, au Sérail. En soixante minutes, Rafic Hariri est convaincu. Qu’au lieu d’altérer à tout jamais un quartier sous prétexte d’en assainir la circulation, il serait bien plus intelligent de mettre des feux au carrefour. « Le projet est enterré », concluera, au bout de l’heure, le chef de Koraytem.
C’est là qu’Antoine Wakim entre en scène. Une fois le projet de la voie express relégué aux oubliettes, le président de la Société nationale d’assurances (SNA) se tourne vers Liliane Tyan : « Occupe-toi de Beyrouth. Elle est noire, hideuse, défigurée par les trous de bombes et les ruines. HelpLebanon existe toujours ? Oui ? Très bien, redonne-lui des ailes : voici 25 000 dollars. » Le patron de la Banque Audi, Raymond Audi, n’hésite pas une seconde, et donne à l’association vingt-cinq mille autres dollars, avant de jurer, comme Antoine Wakim, de ne plus jamais s’arrêter. D’aider. Et comme la loi l’autorise à changer ses statuts, HelpLebanon, après le social (voir encadré), commencera désormais à se consacrer à l’environnement.
Tabaris est intronisé quartier cobaye. Les façades des immeubles de la place du même nom sont repeintes, ainsi que celles de vingt-neuf rues : Charles Malek (jusqu’à La Sagesse, avec la restauration du pont attenant), du Liban, Abdel-Wahab el-Inglizi, Monnot, etc. Jusqu’à la rue de Verdun. Et puis, au fil des ans, l’intérêt des Libanais allant crescendo – au vu des résultats et de l’engouement des différents riverains –, les cerveaux des sponsors ont turbiné, leurs idées se sont multipliées. C’est superbe Solidere, ont-ils estimé, indépendamment des milliards de dollars qui y ont été injectés, mais la ceinture de misère autour du centre-ville (Kantari, Zokak el-Blatt, Saint-Maron) est inadmissible.
Entraîné par la volonté et la générosité (qu’elle soit intéressée ou pas) des donateurs (la LandMark a mis 25 000 dollars, et le CCC de Youssef Kanaan, 10000), le PDG de Solidere, Nasser Chammaa, donne son accord et promet ses sous. Et de l’hôtel Phoenicia jusqu’au port, ce sont deux cents immeubles qui vont bénéficier du lifting de HelpLebanon – 32 immeubles ayant été achevés en 2003, les 158 autres attendent le reste des donations. Parallèlement à cette ceinture noire autour des ors et du strass du centre-ville, la SNA et la Banque Audi décident de financer la restauration des immeubles de la colline de Karm el-Zeitoun. Que le mohafez de Beyrouth, Yaacoub Sarraf, appellera, poète, « la colline aux hirondelles ».
Cette colline, connue pour l’indigence de ses habitants, est parsemée, criblée, de plus de trois cents petites maisons, comme des nids... d’hirondelles. Entièrement restaurées, jusqu’au moindre millimètre carré, avec – et c’est une première – 42 trompe-l’œil dessinés par une peintre argentine mariée à un Libanais, Gina Succar. Et depuis une dizaine de jours, la colline aux hirondelles est totalement terminée, métamorphosée, impressionnante. « Nous voulons continuer, au-desssus de Karm el-Zeitoun, entrer dans Achrafieh. » Liliane Tyan sait ce qu’elle veut, et comment l’obtenir. À Karm el-Zeitoun, depuis que HelpLebanon est passé par là, il y a des boutiques qui ouvrent, des fleuristes, des artistes qui s’installent sur les escaliers néo-montmartrois du quartier. Les promeneurs de la corniche du bord de mer viennent déambuler à Karm-el Zeitoun, les bicyclettes, les rollers se multiplient.
Et le conte de fée continue, l’effet boule de neige ne rate pas. Le patron de la SGBL, Maurice Sehnaoui, décide de prendre à sa charge tout le quartier Saïfi-Saint-Maron, et donne sans hésiter 50000 dollars. Le fils du Premier ministre, Baha’ Hariri, fait part à Liliane Tyan de sa volonté de prendre en charge la restauration, en 2003 et 2004, de toute la zone devant le Bain militaire. Robert Fadel, l’un des jeunes propriétaires de l’énorme ABC en construction à Achrafieh, a décidé «d’embellir» tout autour de son centre commercial, Mar Mitr inclus.

Le ministère du Tourisme
et le Hezbollah
Nada Sardouk, la très dynamique directrice générale du ministère du Tourisme, a demandé elle aussi à HelpLebanon de contribuer à la restauration de... la rue Hamra, de la faculté de droit de l’UL jusqu’à l’hôtel Crown Plaza. Toute la jeunesse des Beyrouthins, ex-quartier touristique par excellence, ex-(tout petit) équivalent des Champs-Élysées parisiens, la rue Hamra, si elle bénéficiait de ce lifting inespéré, pourrait, mieux que le nez d’une pharaonne, changer l’image de la capitale. Et que le ministère du Tourisme pense à financer ce genre de projets ne peut être que de très bon augure.
Le Hezbollah est également entré en scène. Le président de la municipalité de Bourj el-Brajneh a pris contact avec Liliane Tyan. Son but : choisir un quartier pilote et le restaurer pour, ensuite, entièrement nettoyer la banlieue-sud. Tout cela, sachant que plusieurs villes ont fait appel à HelpLebanon, par le biais d’un de leurs notables : Saïda, Zghorta, Tripoli, ainsi que les régions de Sin el-Fil et de Nabaa. Nabaa où, s’inspirant de Karm el-Zeitoun, les autorités municipales ont commencé les trompe-l’œil sur les immeubles, en demandant à l’association conseils et autres soutiens. «Nous sommes très heureux. Nous voulons qu’il y ait des HelpLebanon partout, parce qu’il est naturellement impossible que l’on s’occupe de l’ensemble des régions libanaises. Moi je suis prête à aller aux quatre coins du Liban pour faire, grâce à l’association, une première étude gratuite, dès qu’on me le demande», répète Liliane Tyan.
Ce qui attire l’attention, fascine même, ce n’est pas seulement le nombre très élevé des sponsors intéressés par l’aventure HelpLebanon (avec, outre ceux déjà cités, la BNPI, la Banque Saradar, la Banque Méditerranée, Diageo avec Gilbert Ghostine, les dons privés...).
Ce n’est pas seulement l’implication d’hommes politiques français souhaitant, par n’importe quel moyen, aider le Liban. C’est aussi, et surtout, que pour la première fois, le mohafazat et la municipalité de Beyrouth, emmenés respectivement par le lahoudien Yaacoub Sarraf et le haririen Abdel-Meneem Ariss, se sont entendus pour travailler, ensemble, et aider l’action de HelpLebanon. C’est enfin que cela devrait, d’urgence, inspirer tous les collègues de Sarraf et de Ariss, partout au Liban, pour qu’ils contribuent, eux aussi, à généraliser le beau, à faire en sorte que leurs administrés, noyés sous les comment-nourrir-et-scolariser-et-habiller-mes-enfants puissent au moins avoir, plein les yeux, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, de la couleur plutôt que du gris et du noir.
Demander à Liliane Tyan si tout cet argent ne pourrait pas justement aider les habitants des quartiers restaurés par HelpLebanon à se nourrir, se vêtir, aller à l’école. Sa réponse fuse, comme un cri. « Cet argent est, à la base, destiné à la restauration des quartiers, il n’est pas détourné dans ce but. Embellir le quotidien des gens est aussi important que tout le reste – et ils sont aidés pour le reste. Le moral de ces riverains est aussi primordial que leur nourriture, leurs vêtements. Repeindre leurs immeubles, embellir leurs appartements, cela les encourage à rester dans leurs quartiers, à s’en occuper, à en être fiers. J’ai fait du social, du médical, pendant toutes les années de guerre ; aujourd’hui, les gens veulent du beau, ils le cherchent, ils n’arrêtent pas de répéter que leur pays dépérit sous le béton et la saleté. »
L’environnement et le beau comme outils politiques. De quoi rassurer, pour l’avenir. À condition que les sponsors ne désespèrent pas de l’indifférence de l’État. À condition que ce dernier, à l’instar du ministère du Tourisme, se décide à se réveiller. À condition que les Libanais continuent de croire en leur pays.
À Karm el-Zeitoun, on l’appelle « Madame Loto »
Dépassés par la pauvreté, la situation économique catastrophique, totalement oubliés par l’État, les habitants de la colline de Karm el-Zeitoun ont vécu comme un rêve les longs mois au cours desquels HelpLebanon changeait l’image de leur quartier. À tel point qu’ils ont oublié le nom de l’omniprésente présidente de l’association pour ne plus l’appeler que « Madame Loto ».
Liliane Tyan. Elle est à la tête de HelpLebanon depuis 1979, lorsque l’association s’occupait des enfants de la guerre, les 7-13 ans. En seize ans, HelpLebanon première mouture a emmené plus de 23 000 enfants défavorisés en colonies de vacances, les a habillés, nourris, et a ouvert cinq dispensaires dentaires dans tout le pays, du Sud au Nord en passant par les grandes villes côtières et la Békaa, ainsi que plusieurs laboratoires médicaux.
Aujourd’hui, HelpLebanon, qui a déjà restauré plus de 1 800 immeubles, et qui finance, par le biais des donations, de 30 à 100% des restaurations (le reste étant assumé par les riverains eux-mêmes) compte cinq architectes (dont Barbar Kallab, Jean Nehmé et Imad Bou Nasr) chargés de préparer les études prérestauration, ainsi qu’une cinquantaine d’ouvriers.
La Lorraine et le Cher parmi les principaux sponsors
La love story entre la Meurthe-et-Moselle en général, la Lorraine en particulier, ainsi que le Cher, avec le Liban, a commencé il y a des années, grâce à HelpLebanon. Tout le monde sait que la France aime et aide le Liban ; beaucoup moins sont au courant des liens qui unissent ce dernier à quelques régions et départements français.
C’est une histoire d’hommes.
Gérard Longuet, ancien ministre, sénateur UMP de Lorraine, président des présidents de région et président du groupe France-Liban au palais du Luxembourg ; Gérard Léonard, député UMP de Meurthe-et-Moselle, président du groupe France-Liban au palais Bourbon ; Serge Vinçon, sénateur UMP du Cher, continuent de se démener pour aider le Liban. À titre d’exemple, près de 100 000 euros ont été offerts pour la rue Gouraud par la région Lorraine, et plus de 10 000 pour d’autres projets par le département du Cher.

Ziyad MAKHOUL
C’est une histoire. Une façon autre de contribuer. De faire en sorte qu’un pays ruiné moralement et physiquement, abandonné par un État corrompu, indifférent et irresponsable, change, évolue, aille vers un meilleur. Ravaler les façades des immeubles des zones difficiles, pauvres et souffreteuses, les colorer arc-en-ciel, construire des ponts, imposer et apprendre le beau,...