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Conférence - Campagne lancée par « Hurriyat Khassa » et des ONG Quels droits pour les marginalisés ?

Sur un fond rouge sang apparaît l’ombre noire d’un jeune homme sur grand écran. Imad est homosexuel, un délit puni de prison par la loi libanaise. Battu et humilié par son frère, poursuivi par les menaces de son père pour ses tendances sexuelles, il raconte, le visage caché, son supplice quotidien. « J’ai souvent préféré la mort à ce genre de vie », relate le témoin, qui affirme que, seule, une loi équitable pour les gays pourra alléger ses souffrances.
Dans le cadre d’une campagne lancée vendredi dernier par Hurriyat Khassa et plusieurs ONG pour dénoncer la réforme du code pénal et notamment l’article 534 qui condamne « toutes les formes » de relations entre homosexuels, Imad a réclamé l’abrogation de cet article discriminatoire et injuste à plus d’un égard. Au nom de toute la communauté gay et au nom de tous les marginalisés du Liban pour lesquels Hurriyat Khassa a consacré un chapitre spécial lors de cette conférence, Imad a brisé le silence et crié au scandale. D’autres intervenants – sociologues, avocats et militants – se sont ensuite succédé pour critiquer les articles du nouveau projet de code pénal. Le nouveau texte, ont affirmé les conférenciers, opère une ségrégation à l’encontre de certaines catégories de la population : les réfugiés, les employées de maison, les mendiants et les prisonniers. Élaboré par la commission de modernisation des lois, le projet de réforme du code pénal datant de 1943, a été critiqué à plusieurs reprises par la société civile libanaise.
« Il faut sanctionner la pédophilie, l’inceste et le viol au sein de la famille et laisser en paix les homosexuels », lance Joumana Merhi, membre du Rassemblement démocratique féminin, l’une des ONG qui ont participé à l’organisation de cette conférence-débat.
« Cela fait neuf ans que je garde le silence, laissez-moi parler », s’indigne à son tour Joe, en réponse à un intervenant qui avait qualifié les homosexuels de « personnes à problèmes ». C’est dire à quel point l’ambiance était survoltée lors de ce débat qui a lieu, il faut le rappeler, pour la première fois au Liban.
Pour Mayla Bakkhach, directrice du Mouvement social, « il est temps de laver l’affront dont est victime cette communauté ». Invitée à parler – dans un langage scientifique – de l’homosexualité et de ses causes, Gisèle Kazaour, psychothérapeute, a développé toute une analyse sur la question en démontrant que rien ne justifie la marginalisation des gays. En réponse à l’article du code pénal qui sanctionne « toute forme de relation sexuelle » dite « contre-nature », Mme Kazaour a relevé que les gays ont certes une tendance sexuelle différente, mais que cela n’en fait pas des êtres moins « normaux » que les hétérosexuels. Et de relever que toute différence, en définitive, « provoque en nous la peur et l’angoisse dans la mesure où elle nous incite à remettre en cause nos propres tendances ». « Le rejet de l’homosexuel s’explique notamment par le fait que nous ignorons tout sur notre sexualité », a-t-elle ajouté, soulignant que les gays – que l’on assimile souvent aux malades psychiques – ne présentent pas plus de pathologies que les hétérosexuels.
Pour la thérapeute, si différence il y a avec les « autres », elle serait plutôt au niveau des pressions, refoulements et frustrations auxquels sont confrontés les gays au quotidien.
« Comment peut-on sanctionner les homosexuels et passer outre aux crimes de guerre ? » s’indigne à son tour Philomène Nasr, avocate, en affirmant dans une longue intervention qu’on ne peut pas parler de modernisation de textes alors qu’il n’existe aucune définition des « crimes de guerre » dans nos lois libanaises, encore moins des « crimes contre l’humanité ». « L’article 549 a simplement mentionné l’assassinat de blessés de guerre », a relevé Mme Nasr. « Et si la victime n’était pas un blessé de guerre ? Et si c’était le prisonnier de guerre qui était tué ? Ou le combattant qui s’est rendu à l’ennemi ? Ou encore l’enfant, le vieillard, les individus, la communauté entière ? » se demande la conférencière, en dénonçant la loi d’amnistie de 1991 « offerte aux criminels sur un plateau d’argent » qui, a-t-elle dit, a été confectionnée à la mesure de quelques-uns.
Si le nouveau texte du code pénal a marginalisé les homosexuels et oublié les victimes de la guerre, il a en outre ignoré d’autres catégories de la population, telles que les employées de maison ou les réfugiés.

Le cas des employées
de maison
Le code pénal actuellement en vigueur date d’une époque, 1943, où le phénomène des employées de maison étrangères n’était pas encore entré dans les mœurs. Or, affirme Roland Tok, avocat, aujourd’hui rien ne justifie que le nouveau texte passe outre à cette question fondamentale qui nous concerne tous. Il a rappelé les problèmes majeurs – juridiques, sociaux, psychologiques – auxquels se trouve confrontée l’employée de maison, démunie face au système juridique libanais. Privée de son passeport, de sa liberté, exploitée, harcelée, parfois sans salaire, « nos Éthiopiennes, Sri Lankaises ou Philippines » doivent pouvoir bénéficier d’une loi qui les protège et préserve leur dignité, fait remarquer le conférencier. « Il est temps de modifier nos lois avant que l’on soit obligé de le faire sous pression internationale », a-t-il affirmé en allusion aux pressions exercées par les États-Unis qui suivent de près ce dossier.
Évoquant la situation des Palestiniens au regard du code pénal, Souheil Natour, membre du comité exécutif du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), a énuméré les multiples difficultés relatives à la définition juridique du statut des réfugiés palestiniens en expliquant par ailleurs la complexité de la mise en œuvre de l’article 88 du nouveau texte du code pénal, relatif à l’extradition des étrangers et des apatrides. Vers quel pays faut-il extrader le Palestinien qui a commis un crime ? Et quand bien même un État aurait accepté de l’accueillir, comment éviter le piège des interprétations politiques, l’extradition devenant par là « un autre prétexte pour pousser les Palestiniens à l’exode » ? Et enfin, si aucun pays ne l’accepte, que faire dans ce cas précis ? Autant d’interrogations auxquelles le nouveau texte ne répond pas, a affirmé M. Natour en faisant remarquer que dans le texte en vigueur, le réfugié palestinien ne peut être extradé.
C’est le même type de problèmes auxquels font face les réfugiés « autres que palestiniens », a fait remarquer à son tour l’avocat Fadi Malha, en précisant qu’il n’existe aucune définition du mot « réfugié » dans les textes libanais, sauf pour ce qui est des réfugiés politiques. D’ailleurs, dit-il, cette ambiguïté laisse libre court à l’arbitraire pour toute décision relative à l’asile politique. « Dans la mesure où le réfugié – non politique – est un être humain qui n’existe pas aux yeux de la loi, cette dernière n’a pas trouvé mieux que de pénaliser tous ceux qui sont entrés au Liban et ceux qui y vivent de manière illégale », a ajouté M. Malha.
Dans une étude exhaustive des articles du nouveau projet du code pénal, Doureid Becheraoui, maître de conférences à l’Université Robert Schuman et avocat à la cour, a souligné que le projet de réforme est en contradiction totale avec les conventions internationales. « Que ce soit du point de vue de l’égalité des citoyens devant la loi ou de la liberté d’expression, notamment la liberté d’information et la liberté de manifester, le nouveau texte contredit en plusieurs points la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et le pacte international relatif aux droits politiques et civils de 1966, signé et ratifié par le Liban », conclut M. Becheraoui.

Jeanine JALKH
Sur un fond rouge sang apparaît l’ombre noire d’un jeune homme sur grand écran. Imad est homosexuel, un délit puni de prison par la loi libanaise. Battu et humilié par son frère, poursuivi par les menaces de son père pour ses tendances sexuelles, il raconte, le visage caché, son supplice quotidien. « J’ai souvent préféré la mort à ce genre de vie », relate le...