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Colloque - «Les médias dans le choc des civilisations», à l’USJ Lecourtier : Pour le Liban et la région, il faut que ça bouge

« Les médias dans le choc des civilisations », tel était le thème d’un colloque tenu samedi dernier, dans le cadre des forums de l’information et de la communication, au campus des sciences médicales de l’Université Saint-Joseph, à la rue de Damas. Un événement qui a rassemblé des professionnels de l’information libanais et français et divers universitaires, et qui a été une occasion, pour l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier, ainsi que pour le ministre de l’Économie, Marwan Hamadé, d’appeler le Liban à relever le pari du partenariat euro-méditerranéen. Dans son intervention, M. Lecourtier a également réitéré la volonté de la France de voir le Liban « vivre en complète souveraineté, selon sa propre volonté », soulignant que « les moments des changements indispensables sont venus ». M. Hamadé, qui a plaidé en faveur de réformes au niveau des États et au niveau de la Ligue arabe en « jouant le pari du partenaire privilégié avec l’UE », a souligné qu’il « faut que s’opère une contagion du Liban vers le monde arabe, et pas le contraire ». « Les incessants appels au dialogue rencontrent souvent des oreilles sourdes au Liban. Je les relance à partir de l’USJ », a relevé aussi le ministre de l’Économie.

Organisé conjointement par le DESS information et communication de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’USJ et l’Association actualité communication Proche-Orient (ACPO), à l’initiative de M. Pascal Monin, responsable du DESS, ce colloque s’est tenu en présence et sous le patronage du ministre de la Culture, Ghazi Aridi. Il a rassemblé une vingtaine d’intervenants libanais et étrangers, notamment le père René Chamussy, vice-recteur aux ressources humaines de l’USJ, Jarjoura Hardane, doyen de la faculté de lettres et des sciences humaines de l’USJ, Gebrane Tuéni, PDG d’an-Nahar, Issa Goraieb, rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, Mona Béchara, directrice de la rédaction à Magazine, Hani Hammoud, rédacteur en chef au quotidien al-Moustaqbal, Patrice de Beer, rédacteur en chef au quotidien Le Monde, Gilles Schneider, directeur des antennes et de l’information de RFI, Jean-Claude Petit, PDG de l’hebdomadaire La Vie, Olivier Da Lage, rédacteur en chef de la rédaction Internet de RFI, et Bernard de la Villardière, producteur à M6.
C’est M. Jarjoura Hardane, doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines, qui a pris la parole en premier au cours de la séance inaugurale pour souhaiter la bienvenue aux personnalités présentes et souligner l’importance du partenariat qui existe entre l’ACPO et le DESS de journalisme et de communication de l’USJ depuis sa création en 1996, indiquant que le colloque avait déjà été ajourné à deux reprises.
Prenant la parole, le vice-recteur aux ressources humaines, le père René Chamussy, qui avait pris l’initiative de lancer ce DESS, quelques années plus tôt, a exposé le thème du colloque « Les médias dans le choc des civilisations ». Il a relevé que ces concepts « pourraient occulter les réalités qu’ils veulent signifier », soulignant cependant que « la conjonction de ces deux concepts fait sens et renvoie à une problématique très claire : depuis le 11 septembre 2001, le monde est confronté à des séries de chocs qui opposent des forces aux dimensions religieuses, politiques et/ou culturelles affirmées et ces chocs, ne peuvent qu’être pris annoncés et commentés par les ouvriers de l’information, eux-mêmes assujettis à des entreprises intéressées en fonction de leur public ».
Le ministre de la Culture, Ghazi Aridi, s’est posé une série de questions relatives à la liberté de la presse, au contrôle exercé par certains pouvoir démocratiques sur les médias et à l’impact de l’information.
Avant d’entamer les travaux de la première table ronde, Jean-Claude Petit, PDG de l’hebdomadaire La Vie, et président de l’ACPO, a pris la parole pour présenter l’association française, mise en place spécialement pour soutenir les journalistes en herbe de l’USJ. « Ces professionnels de l’information ont trois attachements communs : leur attachement à leur profession de journaliste, leur attachement à la Méditerranée et au Moyen-Orient, et leur attachement au Liban et à l’Université Saint-Joseph », a-t-il dit. M. Petit a rendu hommage à la mémoire de Patrick Bourrat, grand reporter à TF1, mort dans des circonstances tragiques au Koweït en décembre dernier alors qu’il couvrait les préparatifs de la guerre d’Irak. Il était membre de l’ACPO.
La première table ronde, qui avait pour thème « Les médias dans le choc des civilisations », avait pour modérateur Olivier Da Lage, rédacteur en chef de la rédaction Internet de RFI, et avait rassemblé Issa Goraieb, rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, Hani Hammoud, directeur général du quotidien al-Moustaqbal, Pierre Tivolet journaliste à Europe 1, et Kader Abdelrahim, journaliste au service international de TV5.
M. Hammoud a souligné qu’avant « le 11 septembre, les médias occidentaux tentaient de rappeler leur public à la tolérance, surtout vis-à-vis des populations émigrées, réussissant ainsi la découverte de l’autre ». Se penchant sur la situation des médias arabes, il a relevé qu’il est nécessaire « de noter la présence d’un prisme déformateur, celui du conflit israélo-arabe.».
M. Abdelrahim s’est penché sur son expérience à la rédaction internationale de TV5, préférant parler « de dialogue et non de choc des civilisations ». Soulignant l’importance du « devoir d’informer », il a rappelé que la chaîne qu’il représente « prend en considération la différence culturelle de ces téléspectateurs établis sur les cinq continents, d’où le souci permanent de pédagogie dans l’agencement de l’information ».
Dans son exposé, Issa Goraieb, après avoir constaté que la polémique sur « le choc des civilisations » n’a pas épargné le monde des médias, a vu dans la grande presse américaine la première victime du processus de démythification de l’information qui vient de connaître son point culminant lors de la récente guerre contre l’Irak.
Pour le rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, les médias US ont failli à une tradition bien établie de sérieux, de haute technicité, d’audace, voire d’indépendance, malgré l’influence considérable des divers lobbies et groupes de pression actifs aux États-Unis. Le recul est d’autant plus navrant, a-t-il estimé, qu’il résulte de l’adhésion massive de ces médias à l’idéologie professée par les faucons du Pentagone et qui est devenue le credo de l’Administration Bush. Avant même le début des opérations militaires, a-t-il relevé, ces médias se sont employés à ancrer dans l’esprit des citoyens américains l’idée que l’Irak de Saddam Hussein représentait une grave menace pour la sécurité des États-Unis.
Pour juger de la complexité de la situation, de ce choc qui existe entre l’Orient et l’Occident, M. Tivolet est parti d’un autre problème qu’il juge aussi complexe : l’Europe, voire la France avec ses régions froides et ensoleillées. Il s’est souvenu de certaines de ses missions et de la difficulté de couvrir pour des Français la chute du mur de Berlin ou encore du conflit de l’ex-Yougoslavie. « Il fallait faire preuve de beaucoup de pédagogie pour expliquer l’Europe aux Européens », a-t-il dit.
Sur le thème « Expérience d’une radio internationale », Gilles Schneider, directeur des antennes de l’information de RFI, a livré son témoignage. Il a relevé qu’avec « un peu de recul , on s’apercevrait que le problème n’est pas un choc de culture mais que le débat porte uniquement sur l’unilatéralisme économique et rien d’autre ». Il a également présenté le poids de RFI dans le monde, « une radio qui compte 45 millions d’auditeurs, 300 correspondants, 350 journalistes à Paris, sans compter les techniciens et les administratifs, 20 rédactions, une rédaction en langue française qui émet 24 heures sur 24 et 19 rédactions de langue étrangère sans compter les radios filiales ».
La deuxième table ronde, qui avait pour modérateur Jean-Claude Petit, avait pour thème « Les défis médiatiques de l’après-11 septembre ».
Le PDG du quotidien an-Nahar, Gebrane Tuéni, a indiqué qu’après les attentats du 11 septembre, l’Amérique est confrontée à sa propre vulnérabilité. « Depuis cet événement, le gouvernement américain a adopté des lois restreignant la liberté de la presse et la libre circulation de l’information, notamment le Patriot Act et le FBI qui a recours à des logiciels informatiques pour surveiller et intercepter les courriers électroniques des ordinateurs individuels ».
Prenant la parole, Patrice de Beer, rédacteur en chef au journal Le Monde, a présenté la manière avec laquelle l’organe qu’il représente a travaillé depuis le 11 septembre en développant au maximum les idées et les situations qu’il fallait comprendre, en publiant notamment des dossiers sur l’islam arabe, l’Afghanistan, l’Irak, le pétrole, des analyses, et en envoyant plus de reporters sur le terrain.
Très réaliste, l’éditorialiste a souligné que « la guerre fait vendre un journal plus que la paix, mais il restait à savoir si la publicité avait augmenté durant la guerre ». Et de rappeler qu’un « journal est avant tout une entreprise qui a besoin de la publicité pour ne pas perdre son indépendance ».
Intitulé « Comment les médias peuvent-ils favoriser le dialogue des cultures ? », le troisième panel du colloque n’a pas été sans réveiller les sensibilités de chacun des intervenants, chacun d’eux ayant sa propre approche sur la question et sur le métier, née de ses propres expériences, de ses spécificités culturelles.
Pour François Clemenceau, correspondant d’Europe 1 au Proche-Orient, et Bernard de La Villardière, producteur à la chaîne de télévision M 6, la réponse se trouve dans l’humanisme, dans la nécessité pour le journaliste d’aller à la rencontre de l’autre, dans le respect de ses spécificités, voire même de se mettre à la place de l’autre, avec tout ce que cela implique : le respect, l’ouverture, la tolérance, dans une neutralité toujours bienveillante. Le producteur à M 6 qui a vécu dans le Liban des années 70 durant son enfance et le début de son adolescence, s’est dit « scandalisé » par les moyens dont les journalistes français percevaient le conflit libanais durant la guerre. « Certains médias plaquaient leur analyse toute faite sur la situation », dit-il, donnant ainsi un contre-exemple du rôle que devraient avoir ces médias dans le cadre du dialogue des cultures.
La directrice de la rédaction de l’hebdomadaire Magazine, Mouna Béchara, s’est démarquée des deux journalistes français, estimant que le journaliste est loin d’être un surhomme, et qu’on ne peut pas lui demander de s’investir autant et de développer à la fois tant de facettes. Recadrant le thème du dialogue des cultures dans le contexte libanais, c’est en connaissance de cause que Mme Béchara affirme que les médias n’ont pas pu jouer ce rôle de « passerelle » durant la guerre du Liban.
Excédé par ce qu’il considère d’une certaine manière comme un débat franco-français, le journaliste au quotidien an-Nahar, Edmond Saab, veut mettre en exergue son appartenance à la presse arabe, qu’il se sent tenu de défendre, notamment face à « la bipolarité créée par les médias occidentaux entre chrétiens et musulmans ». Plaidant lui aussi en faveur du droit à la différence, il s’élève contre les dogmes, en prenant le contre-pied de Samuel Huntington, l’auteur du Choc des civilisations : « Il ne faut pas oublier l’histoire et l’apport des différents peuples à la civilisation. C’est dangereux ».
Quant à Slimane Zeghidour, journaliste à La Vie, il a dénoncé la diffusion par les médias de concepts créés de toutes pièces et des idées reçues tels que celui du « choc des civilisations » par exemple. Concepts qui se sont substitués aujourd’hui à la propagande médiatique des États et qu’il est urgent de remettre en question, selon lui. Adoptant un point de vue proche de celui développé par Amine Maalouf dans Les Identités meurtrières, Zeghidour, qui est lui-même d’origine kabyle et dont l’identité est composite, se lance dans une analyse détaillée du concept développé par Huntington en le replaçant dans son contexte spatio-temporel, qu’il qualifie de « fabrication du discours sur les conflits ». « Le rôle des médias est aussi d’attirer l’attention sur le fait que les mots mentent », a-t-il conclu.

Hamadé et Lecourtier
Le deuxième panel avait auparavant traité des « défis politiques de l’après-11 septembre », en présence du ministre de l’Économie, Marwan Hamadé, de l’ambassadeur de France, Philippe Lecourtier, et du responsable du DESS d’information et de communication de l’USJ, Pascal Monin.
« De New York à Bagdad, en passant par Kaboul, quelques mois ont changé le monde. La date du 11 septembre 2001 est entrée dans l’histoire. Elle marque en quelque sorte les débuts du XXIe siècle (…) », affirme M. Monin, en présentant le contexte politique de l’après-11 septembre, celui de l’unilatéralisme américain et du concept de la guerre préventive. Et le professeur Monin de se poser une série de questions sur l’avenir du système international, du Moyen-Orient, des institutions internationales telles que l’Onu et l’Union européenne. « Les pays arabes et le Liban en particulier ont-ils tiré les leçons du 11 septembre et des guerres qui ont suivi ces attentats, véritable tremblements de terre planétaire, dont les secousses continuent et continueront à se faire sentir ? », s’est-il interrogé.
Prenant la parole, M. Lecourtier revient sur l’effroi provoqué par les événements du 11 septembre 2001 et ressenti à travers le monde entier, avant d’évoquer les menaces du système postbipolaire : le terrorisme, le trafic, les mafias, la délinquance, les pandémies, qui se sont substitués, selon lui, « aux chars d’assaut frappés de la faucille et du marteau ». Le monde actuel est inscrit dans le phénomène de mondialisation, et perd ses repères par conséquent, indique l’ambassadeur de France. Pour s’y adapter, il y a, selon lui, deux solutions : la résignation et le mouvement, le dynamisme. Et, dans l’optique de M. Lecourtier, il n’est pas question de se résigner. Le mouvement se traduit, pour lui, par une dynamique à deux niveaux : celui de l’Union européenne, qui passera de 15 membres à 25 dans les trois ans qui viennent, et celui du Moyen-Orient. L’ambassadeur de France évoque la nécessité, de plus en plus palpable, de doter l’UE d’une Constitution et de renforcer l’Exécutif, ce qui permettra la désignation d’un ministre européen des Affaires étrangères et, par conséquent, de stimuler la politique étrangère de l’UE. Au niveau régional, et du Liban tout particulièrement, « le moment des changements indispensables est venu ». « On ne peut rester dans les mêmes dispositions au niveau des relations syro-libano-israéliennes. Il faut que ça bouge », a indiqué M. Lecourtier. L’ambassadeur de France a affirmé que l’UE essayait d’envisager une « feuille de route » – « connexe, mais différente » – pour le Liban et la Syrie. Cette « feuille de route » comportera deux objectifs : la paix régionale et « l’affirmation de la pleine souveraineté et de la pleine liberté du Liban ». Reste les mécanismes à déterminer pour réaliser ces deux objectifs, probablement l’élaboration d’un calendrier, avec un processus par étapes, a-t-il conclu, en réitérant la volonté de la France de voir le Liban vivre « en complète souveraineté, selon sa propre volonté ».
De son côté, M. Hamadé brosse un portrait beaucoup moins optimiste de la situation, tant sur le plan international – « érosion du nationalisme laïque vers l’intégrisme dans le monde arabe, fondamentalisme US, nouvelle guerre virtuelle contre des armées de l’ombre » – qu’au plan local. Le nouveau ministre de l’Économie s’alarme des statistiques de croissance régionale qu’il vient de découvrir au ministère. « Ceux qui ont chanté les louanges du nationalisme arabe se sont contentés de la théorie », dit-il, dépité. Et de rendre un hommage à Habib Bourguiba, qui réclamait une solution « pas à pas » à la question palestinienne. « Et dire que, quand j’étais étudiant, il était venu au Liban, et nous l’avions reçu avec des œufs pourris et des tomates. Nous avions fait preuve d’un manque de réalisme », a-t-il indiqué.
Le ministre de l’Économie a plaidé en faveur de réformes au niveau des États et au niveau de la Ligue arabe, en « jouant le pari du partenaire privilégié avec l’UE ». « Il faut que s’opère une contagion du Liban vers le monde arabe, et pas le contraire », a-t-il souligné. « Les incessants appels au dialogue rencontrent souvent des oreilles sourdes au Liban. Je les relance à partir de l’USJ », a ajouté M. Hamadé, en liant les chances d’une paix régionale à l’édification d’un État palestinien.
Mais c’est Philippe Lecourtier qui, quelques minutes après une réponse de M. Hamadé dénotant un pessimisme certain sur l’avenir des institutions internationales et sur l’impossibilité de faire des réformes politiques locales sans l’établissement d’une paix régionale, reprend la parole pour dénoncer « la fâcheuse tendance des Libanais à voir le monde sous un jour crépusculaire ». « Vos problèmes déteignent sur votre vision du monde », dit-il en réagissant à « la passivité dans laquelle sont enkystés les Libanais dans l’attente » de la paix. « Je suis atterré par la passivité des Libanais », a-t-il conclu, déplorant que « le Liban n’ait pas mordu à l’Europe » et appelant la jeunesse libanaise à réagir.
À la suite d’un débat avec les deux intervenants, la synthèse finale du colloque a été présentée par M. Pascal Monin et M. Jean-Claude Petit, directeur général de La Vie.

Pat.K. et M. H. G.
« Les médias dans le choc des civilisations », tel était le thème d’un colloque tenu samedi dernier, dans le cadre des forums de l’information et de la communication, au campus des sciences médicales de l’Université Saint-Joseph, à la rue de Damas. Un événement qui a rassemblé des professionnels de l’information libanais et français et divers universitaires, et qui...