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Médias - Patrice de Beer, l’un des rédacteurs en chef du « Monde », donne son avis sur le livre qui critique le quotidien Mains propres et journalisme d’investigation, un jeu d’équilibre

La face cachée du Monde est ce livre de plus de 600 pages écrit par Pierre Pean et Philippe Cohen qui critique le quotidien national français le plus vendu. L’ouvrage qui fait beaucoup de bruit en France et au Liban (les lecteurs beyrouthins du Monde s’étaient précipités pour commander le livre auprès de leurs libraires) épluche les diverses pratiques du journal et s’acharne particulièrement contre le président du directoire, Jean-Marie Colombani, et le directeur de la rédaction, Edwy Plenel.
Jean-Marie Colombani, qui devait prendre part, samedi dernier, au colloque « Les médias dans le choc des civilisations » organisé par le DESS de journalisme et de communication de l’Université Saint-Joseph, n’a pu être présent à Beyrouth. Le président du directoire du quotidien français a adressé un message à l’assistance soulignant que son absence « est due à des procédures judiciaires », qu’il devait passer son week-end à Paris pour participer à des réunions, expliquant que son journal « a fait l’objet d’attaques diffamatoires » et qu’il compte se battre.
C’est donc Patrice de Beer, l’un des rédacteurs en chef du quotidien, qui a remplacé Colombani au colloque de samedi dernier. Dans un bref entretien avec L’Orient-Le Jour, il a donné son avis « personnel » sur le livre, « un avis qui n’engage pas le journal ». Il a également parlé en général du métier de journaliste et du journalisme d’investigation, thème traité en long et en large par le livre publié récemment en France.
Pour l’éditorialiste, l’ouvrage « n’est ni le premier ni le dernier qui aura critiqué le quotidien national le mieux vendu de France ». « Ce n’est pas la première fois que des livres sur Le Monde, sont publiés ; il y en a eu durant les années quarante, soixante, soixante-dix et quatre-vingt », dit-il, qualifiant de « normal » que de telles publications voient le jour. « Le Monde se met toujours en avant, il n’est pas toujours très modeste... mais encore faut-il que ces critiques paraissent justes et objectives », relève-t-il.
Est-ce le cas de ce livre ? Les critiques ne seraient-elles ni justes ni objectives ? « Il y a toujours quelque chose de juste dans tout, mais dans les 600 pages de l’ouvrage, les auteurs partent parfois d’une part de vérité, puis ils se lancent très souvent dans les attaques personnelles, les invectives, les extrapolations, les jugements, souvent à l’égard de personnes qu’ils n’ont pas voulu voir ou interroger », relève M. de Beer, qui fait partie de la rédaction du quotidien français depuis les années soixante-dix et qui ajoute : « Ce livre reprend également une série de critiques lancées contre Le Monde depuis qu’il existe. »
Certes, quand on est un journal aussi prestigieux et aussi lu que Le Monde, on fait inévitablement l’objet de critiques, mais est-ce que le quotidien, qui a privilégié le journalisme d’investigation, n’est-il pas allé parfois trop loin ? Dans quelle mesure un journaliste qui travaille sur ce genre de sujet garde-t-il les mains propres ?
« Le métier de journaliste est très difficile, mais je ne vois pas pourquoi le journalisme d’investigation serait bien aux États-Unis et pas en France », relève M. de Beer. « Quand vous faites une enquête, vous avez besoin de sources, de documents, de personnes qui vous fournissent des informations. Si vous voulez avoir ces documents et si vous voulez parler à ces personnes, vous n’allez pas leur dire, vous êtes des voleurs, des menteurs et des assassins. Il faut les faire parler », poursuit-il.
Il faut donc jouer le jeu ? « Un jeu très difficile, un jeu d’équilibre, du chat et de la souris. Il faut essayer d’avoir le maximum d’informations. Les relations entretenues entre la source et le journaliste sont difficiles et délicates et tel sera toujours le cas », indique-t-il.
L’équilibre est-il préservé ? « Il faut toujours essayer de le respecter ; c’est toujours à la limite, relève le journaliste, car parfois on peut aller très loin, avoir des faiblesses s’agissant de certaines sources, et Plenel l’a reconnu », note-t-il. Et d’ajouter : « On peut aussi être plus agressif et la source peut se braquer. Le journalisme d’investigation a ses limites et ses risques. On fait des erreurs, mais ce genre a quand même apporté beaucoup », souligne le journaliste, qui établit une comparaison entre le métier qu’il exerce et celui de l’historien. Ce dernier a le temps de prendre du recul, de vérifier ses recherches et de travailler à froid. Le journaliste effectue un travail plus difficile. Immédiat. « Et en exerçant son métier, le journaliste prend des risques physiques et personnels », poursuit-il.
Patrice de Beer revient encore sur ce métier, sur le poids d’un journal aussi prestigieux que Le Monde et sur l’importance du lectorat. Certes, Le Monde a changé avec le choix de certaines manchettes (le père Noël ou Loft Story) ou encore avec l’introduction de photos dans certaines pages et à la une du journal. « C’est dans l’air du temps », indique M. de Beer, mais il semble que les lecteurs apprécient un tel changement.
« Dans ce genre de question, c’est au lecteur de décider ; s’il n’est pas satisfait il arrête d’acheter le journal et la sanction ne tarde pas à arriver avec la chute des ventes... », dit-il.
Revenant encore sur les critiques adressées à « un journal solide, qui a 600 000 lecteurs », il conclut : « Il est bon que les gens ne soient pas d’accord, qu’ils critiquent. Il faut qu’on soit contesté de temps en temps, sinon nous dormirons sur nos lauriers. »
Pat.K.
La face cachée du Monde est ce livre de plus de 600 pages écrit par Pierre Pean et Philippe Cohen qui critique le quotidien national français le plus vendu. L’ouvrage qui fait beaucoup de bruit en France et au Liban (les lecteurs beyrouthins du Monde s’étaient précipités pour commander le livre auprès de leurs libraires) épluche les diverses pratiques du journal et...