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SERVICE MILITAIRE - Enclencher la réforme, une priorité pour Pierre Gemayel, Farid el-Khazen et Misbah el-Ahdab III – Deux propositions parlementaires : trois mois d’entraînement au combat ou un mois de service civil(photos)

Sensibilisés aux problèmes des jeunes appelés au service du drapeau et qui tentent par tous les moyens de faire entendre leur voix, trois députés, Pierre Gemayel, Misbah el-Ahdab et Farid el-Khazen, ont présenté il y a déjà trois ans deux propositions de loi pour réformer le service militaire. Alors que Pierre Gemayel préconise un service du drapeau qui se limiterait à un entraînement militaire de trois mois, Misbah el-Ahdab et Farid el-Khazen penchent plutôt pour un service civil gratuit d’un mois. Différentes l’une de l’autre, les deux propositions appellent au changement. Mais l’État ne semble pas encore prêt à des réformes, arguant que le service militaire reste une nécessité tant que le pays est menacé (voir «L’Orient-Le Jour» des lundi 14 et mardi 15 juillet).

«Une année de perdue est un sacrifice bien trop important, que la jeunesse libanaise n’a pas les moyens d’assumer, notamment celle appartenant à la classe moyenne ». C’est en ces termes que le député Pierre Gemayel exprime ses réserves à l’égard du service militaire qui, indique-t-il, « fait travailler les jeunes quasi gratuitement et leur impose d’inutiles souffrances ». Le député du Metn évoque par ailleurs les grandes lignes de son texte. « Pour éviter aux jeunes ce fardeau, dit-il, j’ai proposé un projet de loi visant à en réduire la durée.» En effet, il préconise un service du drapeau qui se limiterait à trois mois d’entraînement militaire, au lieu d’une année entière. Trois mois essentiels qu’il serait possible d’étaler sur deux ans. « Les jeunes pourraient ainsi servir leur pays durant les vacances d’été au lieu de perdre une année d’études ou de travail », précise-t-il.

Une loi peu claire
Expliquant les fondements de sa proposition, M. Gemayel estime que de cette manière, les recrues montreraient plus d’enthousiasme à accomplir leur service militaire. Et d’ajouter que les jeunes qui le désirent pourraient en prolonger la durée afin de bénéficier gratuitement de formations assurées par l’armée et profiter de la possibilité d’obtenir des diplômes techniques. Quant aux jeunes ayant servi dans la Défense civile, ils devraient carrément être exemptés du service militaire.
Sensibiliser la diaspora libanaise figure aussi dans la proposition de Pierre Gemayel. «En effet, explique-t-il, il serait constructif pour les Libanais de l’étranger d’effectuer un service d’une dizaine de jours dans les ambassades libanaises, ce qui leur permettrait de mieux connaître leur pays et les encouragerait à y mener des actions utiles.»
«Nous pouvons nettement améliorer cette institution en révisant la loi y afférente », insiste le député, déplorant que le texte en vigueur inhibe les jeunes gens et les incite à quitter le pays. «Quant au gouvernement, il a adopté la loi la plus facile et non la meilleure», regrette-t-il. «D’ailleurs, rien n’est clair dans la loi. Celle-ci mentionne qu’il suffit de quitter le pays durant 5 ans pour échapper au service militaire. Or les explications que le bureau de l’orientation donne aux appelés sont souvent confuses», remarque-t-il à ce propos, évoquant les limites d’âge fixées par la loi pour bénéficier de cette exemption.
Mais les réserves de M. Gemayel ne s’arrêtent pas là. Mis en vigueur à l’époque où un projet politique national islamo-chrétien semblait se dessiner, le service militaire est aujourd’hui, selon les propos du député, le vivier du fanatisme grandissant des jeunes, qui sont de plus en plus divisés. Et de rappeler à ce propos le crime à caractère confessionnel qui a été perpétré par un conscrit dans une caserne, il n’y a pas si longtemps. «On ne peut cacher le malaise politique ambiant et le confessionnalisme qui touchent tant l’armée que l’ensemble de la société», constate-t-il.
Bénéficiant de soutien de nombreux députés, la proposition de loi de M. Gemayel a cependant été rejetée par la commission de la Défense. Mais le parlementaire entend poursuivre son combat, car il insiste sur la nécessité d’un changement. Un changement qui aurait déjà dû avoir lieu et qui aurait facilité l’émergence d’une société libanaise forte tant sur la scène locale qu’internationale. « Mais, déplore-t-il, le Liban a raté cette occasion au risque de perdre sa jeunesse.»

Un travail commun
de réflexion
La seconde proposition de loi, qui a été, elle aussi, refusée par la commission de la Défense, est le fruit d’un travail commun de réflexion entre les deux députés Misbah el-Ahdab et Farid el-Khazen. Réflexion qui a abouti à la proposition d’un service civil gratuit d’un mois. «Servir son pays est important », observe Farid el-Khazen, tout en exprimant son profond respect pour l’armée nationale. « Mais le service militaire, tel qu’il est institutionnalisé au Liban, ne fait qu’augmenter les problèmes de la jeunesse, notamment en cette période de crise économique et politique, déplore-t-il, car il la prive de productivité et de revenus durant une année entière.» Et d’évoquer à ce propos le chômage, l’absence d’opportunités de travail, la difficulté pour les jeunes de fonder une famille, mais aussi le manque de confiance dans un pays qui ne leur fournit aucun service gratuit de qualité et qui ne leur garantit même pas leurs droits les plus élémentaires. «Nous ne pouvons accepter que cette situation s’éternise, poursuit le député du Kesrouan. Car non seulement les jeunes paient directement le prix de cette loi, mais leurs familles elles aussi en pâtissent, car elles ne peuvent plus compter sur la participation financière de leurs enfants durant la période du service du drapeau.»
Quant aux explications que donne l’État pour justifier son refus d’opérer des réformes, Farid el-Khazen les trouve dénuées de sens et bien loin de la réalité. «On entend parler d’objectifs divers comme la nécessité d’unifier la société libanaise, de permettre aux jeunes de confessions différentes de vivre ensemble ou même de leur donner l’occasion de découvrir leur pays. Il est ridicule, ironise-t-il, de considérer les conscrits comme des touristes dans leur propre pays.»
M. Khazen est conscient de la difficulté d’application de sa proposition, « car, note-t-il, nous savons pertinemment que l’institution militaire a besoin de ces jeunes pour assurer la sécurité à l’intérieur du pays.» Il réclame toutefois, si l’État est dans l’impossibilité de réformer le service du drapeau, une augmentation des rétributions dérisoires des conscrits. « Les jeunes sont découragés et poussés à l’émigration, observe le député, car on leur demande trop de sacrifices. D’ailleurs, ils sont accueillis à l’étranger à bras ouverts, où l’on profite de leur culture, de leur savoir-faire et de leur éducation.»
«Nous sommes actuellement dans l’impasse», constate Farid el-Khazen. Certes, la solution ne semble pas imminente, mais le député tient à poursuivre la lutte, car, selon ses dires, la jeunesse a assez payé le prix de la politique de l’État.

Pas de droit à l’échec
pour les universitaires
À son tour, Misbah el-Ahdab explique les raisons qui l’ont poussé à mener campagne contre le service militaire, notamment les problèmes tant académiques qu’économiques qu’il entraîne. «Il est important de savoir qu’un universitaire n’a pas droit à l’échec, constate le député de Tripoli. Celui qui échoue en fin d’année n’obtient pas l’autorisation d’ajourner son service militaire. Mais après avoir raté deux années consécutives, il devient difficile pour l’étudiant de reprendre ses études.» Il note, par ailleurs, que la majorité des jeunes qui exercent une activité professionnelle se voient obligés d’interrompre leur travail durant toute la durée du service militaire. Cette interruption représente un lourd fardeau pour les parents, qui comptent de plus en plus sur la participation financière de leurs enfants. «Certes, relève M. Ahdab, la loi impose à leurs employeurs de les reprendre au terme de l’année, mais la réalité est tout autre. De nombreux conscrits ne sont pas réengagés après leur service militaire et personne ne trouve à y redire.»
Évoquant par ailleurs la loi qui exempte du service militaire les jeunes, au terme de cinq années de résidence à l’étranger, il la juge positive pour les jeunes résidant à l’étranger, mais trouve qu’elle défavorise les appelés vivant au Liban. « Ces derniers n’ont plus qu’une envie, partir », regrette-t-il.
«Cependant, précise Misbah el-Ahdab, militer en faveur d’un changement ne veut pas dire que nous sommes contre l’institution militaire. Bien au contraire, nous vouons un profond respect à l’armée libanaise, mais la question n’est pas là.» Et d’exprimer ses réserves quant à la cohérence des objectifs prônés par les instances officielles. «L’État invoque la nécessité de défendre le pays contre l’ennemi pour ne pas toucher au service militaire, observe-t-il. Mais je ne suis pas convaincu que ces 20000 hommes supplémentaires feront la différence. S’ils ont besoin de ces soldats, c’est tout simplement pour contrôler l’intérieur du pays et non pas les frontières.» « Par ailleurs, si le but recherché est de favoriser le brassage entre jeunes de différentes confessions, ce brassage peut tout aussi bien être réalisé lors d’un service civil, d’actes de volontariat ou dans le domaine touristique», poursuit M. Ahdab.
«Ouvrir le débat était mon but principal et découle d’une demande populaire, conclut le député. Certes, la proposition de loi que nous avons élaborée ensemble, Farid el-Khazen et moi-même, est audacieuse, mais l’important était de soulever ce sujet, longtemps considéré comme une ligne rouge.» À l’instar des deux autres députés, Misbah el-Ahdab ne perd pas l’espoir de contribuer à réformer la loi du service militaire. Bien que la décision finale dépende des politiciens, il fait preuve de patience et espère l’avènement d’un nouveau régime qui permettra la relance du processus de changement.
Aujourd’hui, les trois députés adoptent un profil bas. Car la conjoncture n’est pas favorable au changement. Et ils refusent d’être la cible de leurs détracteurs, qui les accusent d’utiliser le sujet du service militaire à des fins électorales. Conscients que leurs propositions sont difficiles à appliquer, vu l’aide précieuse que les conscrits apportent à l’institution militaire, ils se déclarent prêts à œuvrer ensemble et à mettre un peu d’eau dans leur vin pour enclencher la réforme. Car après tout, cette initiative n’émerge-t-elle pas d’une demande populaire ?

Anne-Marie EL-HAGE
Sensibilisés aux problèmes des jeunes appelés au service du drapeau et qui tentent par tous les moyens de faire entendre leur voix, trois députés, Pierre Gemayel, Misbah el-Ahdab et Farid el-Khazen, ont présenté il y a déjà trois ans deux propositions de loi pour réformer le service militaire. Alors que Pierre Gemayel préconise un service du drapeau qui se limiterait à un...