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AÉRONAUTIQUE - Trois missions et 28 jours dans l’espace Jean-François Clervoy, à 8 km/s au-dessus du Liban de son enfance(PHOTOS)

Il a quitté le Liban alors qu’il avait 16 ans. Vingt ans plus tard, il le revoit… de l’espace. Jean-François Clervoy, astronaute à l’Agence spatiale européenne (Esa), a reconnu le pays de son enfance aux deux traits blancs que forment les deux chaînes de montagnes. En visite au Liban, il a partagé avec les journalistes et les élèves du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth son expérience dans l’espace et plus de 150 photos du Liban vu à des milliers de kilomètres d’altitude. M. Clervoy assistait à la remise des diplômes de fin d’études scolaires des élèves des classes terminales du Grand Lycée, où il avait suivi ses études de 1971 à 1974.

«J’ai survolé le Liban plus de cent fois et j’en ai pris des centaines de photos alors que nous planions à une vitesse de 8 kilomètres par seconde, confie Jean-François Clervoy. Dès mon arrivée à Beyrouth, j’ai refait à pied le chemin que j’ai suivi pendant trois ans du lycée à la maison où j’habitais. J’ai repris les raccourcis. J’ai essayé de remettre en place les images des rues que j’ai en mémoire. J’ai également fait un tour en ville pour revoir les endroits de mon enfance: Hamra, la place des Canons, la grotte aux Pigeons, le “hammam askari” (Bain militaire). » « C’est extraordinaire, dit-il, car ça ressemble à un voyage dans le temps. Dans le passé, puisque j’ai la mémoire qui se réimprègne sur des repères qui existent toujours, et dans le futur, s’agissant d’un instantané de l’année soixante-quatorze. C’est un pas en avant de trente ans. »
Brun aux yeux verts, le sourire ne quitte pas ses lèvres. Il garde de son passage au Liban plusieurs souvenirs, puisque c’est là qu’il a appris à écouter les autres, à les respecter et à accepter qu’ils puissent parler, vivre et penser différemment. Il chérissait le rêve de devenir astronaute dès sa tendre enfance, lorsqu’il avait entendu son professeur déclarer que la science avance vite et que, dans quelques années, il sera possible d’aller dans l’espace comme dans n’importe quelle autre ville du monde. Mais la tâche s’est avérée assez rude. Et Jean-François Clervoy n’a pu devenir astronaute qu’après des études poussées dans les grandes écoles au prytanée militaire de La Flèche, à l’École polytechnique de Paris, à l’École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace de Toulouse et à l’École du personnel navigant d’essais et de réception d’Istres. À cet impressionnant parcours s’est ajoutée une grande expérience acquise notamment au Centre national d’études spatiales, au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge et à l’Esa.
En 1992, il est détaché par l’Esa au Bureau des astronautes de la Nasa, à Houston aux États-Unis, où il suit une année de formation avant de recevoir sa qualification de spécialiste de mission pour la navette spatiale. Actuellement, il est ingénieur en chef de l’armement, détaché comme astronaute de marque auprès du projet ATV (Automated Transfer Vehicle) de l’Esa, aux Mureaux, en France.

Trois missions
parfaitement réussies
Jusqu’à ce jour, Jean-François Clervoy a fait partie de trois missions spatiales, d’un total de vingt-huit jours, « parfaitement réussies ». Pour son premier vol dans l’espace, il participe à la mission STS-66 de la navette Atlantis, en novembre 1994. Baptisée Atlas-3, cette mission avait pour objectif d’étudier la composition de l’atmosphère terrestre et les effets de l’énergie solaire.
Il effectue sa deuxième mission spatiale, STS-84, du 15 au 24 mai 1997. Il s’agissait d’amarrer la navette spatiale à la station Mir. En sa qualité de commandant de la charge utile, il est également responsable de plus de vingt expériences et gère le transfert de quatre tonnes de matériel pendant les cinq jours de vol conjoint Atlantis-Mir.
En décembre 1999, Jean-François Clervoy est sélectionné pour son troisième vol, dont le principal objectif est de remplacer le système de pointage défaillant du télescope spatial Hubble. Son rôle est celui d’ingénieur navigant et il est responsable également des opérations du bras télémanipulateur de la navette lors de plusieurs phases très délicates de la mission, notamment lors de la capture initiale du télescope et des trois sorties dans l’espace.
« C’est un domaine encore réservé aux professionnels, car il est risqué d’une part et met en jeu des sommes importantes d’autre part, souligne l’astronaute. Dans un vol habité, les Américains dépensent en moyenne vingt dollars par citoyen par an. Les Européens dépensent deux euros. Si on compare cette somme avec celle consacrée annuellement à l’éducation nationale ou à la santé, elle est deux ou trois fois plus importante. Un vol de navette est estimé à quelque 500 millions de dollars. Avec cette somme, l’Europe établit sur dix ans le développement d’un vaisseau spatial pour le vol habité. Mais il ne faut surtout pas croire que si les vols habités sont arrêtés, l’argent servira à payer les retraites ou les allocations de chômage. Au contraire, il va se disperser et se dissoudre sans rien changer ailleurs. »
« L’exploration spatiale, que ça soit les vols habités ou inhabités, s’inscrit dans le domaine de la recherche fondamentale, poursuit Jean-François Clervoy. C’est avant tout le besoin d’assouvir la soif de l’homme à explorer. Plus nous avons de connaissances sur nous-mêmes, sur ce qui nous entoure et sur les risques à l’extérieur, plus nous arriverons à assurer la survie de notre espèce. » Et d’ajouter que l’espace est un environnement propice à la recherche pour trois raisons fondamentales : le phénomène de l’apesanteur qui permet de mieux comprendre certains mécanismes de la physiologie humaine cachés par la gravité sur terre, le vide total qui aide à réaliser des expériences sur certains matériaux trop chères à effectuer au sol, l’espace enfin est un site d’observation géographiquement privilégié puisqu’on est en dehors de l’atmosphère. « Nous arrivons à observer les objets célestes dans des longueurs d’onde qui sont cachées aux télescopes placés sur Terre, indique Jean-François Clervoy. De même, c’est un lieu privilégié d’observation de la Terre. Certains satellites automatiques, comme Hubble et Soho, le font dans un cadre bien défini et programmé à l’avance. Alors que, quand l’homme est à bord, il peut mettre en œuvre des appareillages beaucoup plus complexes. »
« Il faut considérer l’exploration spatiale comme une façon de répondre à un rêve et à un destin qui est en nous, insiste-t-il. On y va parce qu’on a envie. Mais il faudrait quand même mesurer les dépenses. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs nous ne sommes pas encore sur Mars et que les fusées pour touristes ne sont toujours pas développées. D’ailleurs, les deux personnes qui ont payé 20 millions de dollars pour effectuer un vol spatial avec les Russes ont appris la langue et ont suivi, un an durant, le même entraînement à la Cité des étoiles que les astronautes français. »

Seize fois le tour de la Terre
Plusieurs sensations se mêlent quand l’astronaute est à bord. « Il y a un sentiment de puissance et une très forte pression pour réussir la mission, d’autant que du décollage jusqu’à l’atterrissage sa première obsession est de ne pas faire d’erreurs, raconte Jean-François Clervoy. Nous constituons en fait le dernier maillon d’une chaîne de milliers de personnes au sol qui ont préparé le vol, la navette, les expériences… Nous n’avons pas envie de gâcher le dévouement de cette immense équipe d’ingénieurs et de techniciens. Nous pensons aussi à notre famille et à nos amis qui sont venus assister au décollage et nous souhaitons, en notre for intérieur, que la navette décolle. Puis, en quelques fractions de secondes, il y a toute notre vie qui passe dans notre tête. Nous savons que nous vivons quelque chose de très fort. Mais quand la navette décolle, nous nous concentrons sur notre travail. »
Et la peur? « La peur est un sentiment lié à l’inconnu, répond Jean-François Clervoy. Nous avons peur quand nous ne savons pas. Mais nous sommes parfaitement entraînés. Nous connaissons bien la navette, toutes les pages des livres de procédure, etc. Il n’y a pas d’inconnues, donc il n’y a pas de peur. Par contre, nous sommes soumis à une forte pression, car nous voulons réussir. Et au moment d’effectuer la mission, nous n’éprouvons aucun sentiment de panique, car nous l’avons répétée plusieurs fois dans le simulateur, dans des conditions de panne bien plus complexes que celles que nous rencontrerons dans le vol. Mais il faut être conscient que le travail à l’intérieur du commandement de bord est celui d’un chef d’orchestre. Chacun a son rôle et la moindre fausse note peut tout gâcher. »
Avant de partir en mission, les astronautes reçoivent deux ans d’entraînement de base et un an d’entraînement spécifique à chaque mission. Mais une semaine avant le décollage, ils sont mis en quarantaine pour éviter qu’ils attrapent un virus.
Une fois dans l’espace, la sensation est incomparable. « En une journée, nous assistons à 32 levers et couchers du soleil, précise Jean-François Clervoy. Nous effectuons le tour de la terre en une heure et demie, soit seize fois la journée, et nous changeons chaque quarante-cinq minutes de saison. En plus, vue de l’espace, la Terre est très belle. Elle est très vivante et en même temps très fragile, puisque la couche atmosphérique est très fine. »
Tout au long de leur mission, les astronautes sont en communication régulière avec le sol. Ils correspondent avec leur famille par e-mail et, une fois la semaine, ils sont en vidéoconférence. De plus, tous les matins, ils reçoivent environ dix mètres de fax concernant les nouvelles du jour, les résultats des élections, les matches de foot, les informations techniques sur la navette, etc.
De retour sur Terre, les astronautes sont heureux de revoir leur famille et leurs amis et de leur raconter une nouvelle aventure. Ils sont toutefois déçus, car ils auraient préféré rester quelques semaines de plus, « pour pouvoir profiter au maximum de ce voyage et notamment regarder la Terre et arriver à la connaître par cœur ». Car, l’obsession de Jean-François Clervoy est celle de reconnaître les villes à partir de l’espace sans avoir recours à la carte. Il en est déjà à la moitié.

Nada MERHI

Le rendez-vous spatial de l’Europe aura lieu l’année prochaine

L’Agence spatiale européenne (Esa) est partenaire avec l’Esa américaine, les Russes, les Japonais et les Canadiens pour le programme de station spatiale internationale, « qui est en profil bas en ce moment, car le dernier vol de la navette s’est mal terminé, sept membres de l’équipage ayant péri », explique Jean-François Clervoy. « Il faudrait au moins un an pour corriger les défauts et remettre la navette en service », poursuit-il.
Et d’ajouter : « À partir de l’année prochaine, les Européens vont lancer un vaisseau de ravitaillement qu’on appelle ATV (Automated Transfer Vehicle). Le premier ATV a été baptisé Jules Verne, car il ouvre à l’Europe les portes au voyage extraordinaire de l’espace, ce qui nous donne la maîtrise du rendez-vous spatial, une chose qui n’a jamais été possible jusqu’à présent. »
Le rendez-vous spatial consiste à maîtriser la technique qui permet à un vaisseau spatial de rejoindre un autre déjà dans l’espace, une chose qui requiert certaines techniques et technologies. En Europe, ce rendez-vous spatial aura lieu donc pour la première fois l’année prochaine, à l’aide d’un vaisseau pesant vingt tonnes et qui va amener huit tonnes de charges utiles. Après avoir tout délivré dans les stations, il va servir de poubelle, « car les déchets ne sont plus jetés par-dessus bord ». Ils sont transportés par un vaisseau ravitailleur qui sera détruit d’une façon contrôlée au-dessus du Pacifique à la fin de la mission.
Une autre grande contribution de l’Europe sera notée à partir de 2005. Il s’agit d’un gros module laboratoire de haut niveau, qui sera attaché en permanence à la station spatiale et qui aura pour but la recherche spatiale et la recherche fondamentale en physiologie appliquée.
Il a quitté le Liban alors qu’il avait 16 ans. Vingt ans plus tard, il le revoit… de l’espace. Jean-François Clervoy, astronaute à l’Agence spatiale européenne (Esa), a reconnu le pays de son enfance aux deux traits blancs que forment les deux chaînes de montagnes. En visite au Liban, il a partagé avec les journalistes et les élèves du Grand Lycée franco-libanais de...