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Droits de l’homme - En marge de la Journée internationale contre la torture Restart : une ONG au service des victimes de la violence

«Je ne comprends toujours pas comment un homme peut se transformer d’un jour à l’autre en une bête féroce. Mon plus grand souhait est de voir l’humanité renoncer à la barbarie. » Ces mots sont ceux de Tannous, 47 ans, une victime parmi tant d’autres de la torture. Kidnappé quatre fois durant la guerre civile par des miliciens de divers bords, y compris par des gens de sa propre communauté, Tannous revit dans les moindres détails cette période sombre qui allait le faire basculer dans l’abîme. À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la torture organisée la semaine dernière, il a tenu à raconter sa souffrance pour dire au monde comment un moment de folie peut briser la vie d’un homme et de toute sa famille.
Bien qu’ayant subi les formes les plus sophistiquées de la torture – la poulie, le supplice de la roue, l’électrocution, etc. –, Tannous affirme que ce n’est pas la violence physique qui l’a le plus marqué, mais les cicatrices morales et psychiques qu’il porte encore. « Ce sont les premiers coups que je ressentais le plus. Par la suite, mon corps devenait complètement insensible », témoigne cet homme.
Pourtant, les problèmes de santé l’ont vite rattrapé. Séquestré pendant des mois dans des cachots sombres, soumis à des coups répétés notamment sur la tête, Tannous risque aujourd’hui de perdre la vue et souffre d’angoisse et d’insomnie chronique. C’est une véritable lutte qu’il mène, chaque nuit, contre l’anxiété qui l’empêche de dormir. « Je me sens tout le temps tourmenté et je rêve continuellement de sérénité. Je n’arrive pas à trouver la paix », confie-t-il.
Père de cinq enfants, Tannous est toujours hanté par son passé, au point de transposer dans le présent son traumatisme qu’il inflige même à son fils. « Je me suis mis à mon tour à le battre sans comprendre pourquoi je le faisais, dit-il. Dans ma colère, je ne pouvais pas réaliser la gravité de mes actes. » Une situation qui a connu son point culminant le jour où il a découvert que son fils unique était devenu un délinquant. Sur les conseils d’un ami, Tannous s’est adressé à Restart, une association spécialisée dans le traitement des victimes de la torture. Depuis trois ans, il s’y rend avec toute sa famille pour recevoir les soins adéquats.
« Le plus souvent, ce sont le conjoint et les enfants, appelés victimes secondaires, qui souffrent en même temps que ceux qui ont subi la torture, d’où la nécessité d’un programme de réhabilitation adapté à toute la famille », explique Suzanne Jabbour, psychologue et directrice de Restart. À l’aide d’une équipe multidisciplinaire – un psychiatre, deux psychothérapeutes, deux psychologues, une assistante sociale, une nurse, une éducatrice spécialisée, un physiothérapeute –, les responsables du centre accueillent toutes les personnes victimes de la torture et de la violence.
« Près de 400 personnes, les victimes et leurs familles respectives, se rendent régulièrement au centre pour recevoir le traitement médical et le soutien social dont elles ont besoin », note Mme Jabbour, en précisant que le centre ne fait aucune discrimination entre les victimes. « Nous accueillons des Libanais de tous bords, les anciens détenus dans les geôles aussi bien israéliennes que syriennes », ajoute la directrice, qui indique toutefois que la seule différence entre les deux catégories de victimes est que « les uns sont considérés comme des héros alors que les autres sont acculés à garder un profil bas. Mais la souffrance est la même dans les deux cas ».

Un partenaire du HCR
Restart ne reçoit pas que des Libanais. L’association, qui travaille en partenariat avec le Haut-Commissariat des réfugiés aux Nations unies (UNHCR), accueille une grande majorité d’étrangers, des Irakiens ayant subi les foudres du régime de Saddam Hussein, des Égyptiens torturés par les services de renseignements, des Palestiniens sortis des prisons syriennes ou tout simplement des demandeurs d’asile politique parfois maltraités par les services de sécurité au Liban. Un rapport sur l’état de santé des victimes est établi chaque année par le centre et transmis au UNHCR.
Malgré l’adoption par 132 pays, dont le Liban, de la convention pour la lutte contre la torture, rares sont ceux qui respectent les termes de ce texte, et les actes de torture n’ont pas pour autant cessé. D’où l’importance des campagnes d’information et d’éducation que Restart assure régulièrement pour sensibiliser l’opinion publique et les États signataires à la gravité d’un tel problème.
Entièrement formée au Danemark, l’équipe est imprégnée d’une culture des droits de l’homme et de la victime qu’elle applique au quotidien. « Même si elle est coupable d’un crime, une personne qui a été soumise à un traitement inhumain doit pouvoir bénéficier de notre aide et de notre soutien », explique Mme Jabbour.
L’association assure également des formations à d’autres ONG, avec lesquelles elle travaille en partenariat, telles que le Conseil des Églises du Moyen-Orient, l’association Amal et la Croix-Rouge libanaise. Parmi ses projets d’avenir, celui d’assurer une formation aux détenus à l’intérieur des prisons afin de pouvoir les préparer à réintégrer la société en toute confiance.
« Dans les prisons, ce ne sont plus désormais les geôliers ou les gardiens qui violentent les détenus, mais les prisonniers eux-mêmes, affirme le Dr Samy Richa, psychiatre à Restart et à la prison de Roumieh. La torture est ainsi pratiquée par d’anciens prisonniers auxquels on a délégué certains pouvoirs dans les lieux de détention. Ils finissent toujours par en abuser. »

Des associations
incontrôlables
Pour Mme Jabbour, la prison ne doit pas être synonyme de sanction. En réhabilitant les prisonniers à temps, on peut assurer une véritable sécurité au sein de la société.
Toutefois, la violence n’est pas uniquement pratiquée dans les prisons. Elle a également pour cible des personnes fragilisées de par leur statut social ou économique ou qui sont faibles physiquement. Il s’agit notamment des femmes battues par leur conjoint mais aussi des orphelins, des handicapés ou des vieux maltraités dans les centres caritatifs qui les accueillent.
« Il existe plusieurs associations qui échappent au contrôle du ministère des Affaires sociales. Dans de tels endroits, tous les débordements sont permis », confie la responsable de Restart en relevant les nombreux cas de violence à l’encontre des personnes prises en charge par ces ONG. Elle cite au passage une association qui s’occupe de 5 000 orphelins et de 4 000 cas sociaux. « Comment voulez-vous qu’une seule ONG puisse s’occuper d’autant de personnes à la fois, surtout que le personnel employé n’est pas qualifié ? » s’interroge Mme Jabbour. « Se cachant derrière le label de l’humanitaire, ces ONG finissent par perpétrer les actes les plus inhumains », ajoute la responsable, en se demandant si des associations de ce genre ne sont pas plutôt en train de produire de futurs délinquants.
Outre l’aide médicale, Restart offre également une assistance légale à tous ceux qui en ont besoin. Cinq avocats travaillent bénévolement pour conseiller ou prendre la défense des victimes de la torture et de la violence. L’association, actuellement basée à Tripoli, prévoit d’étendre à l’avenir ses activités à l’ensemble du territoire libanais en lançant un projet mobile qui profitera à toute la population.

Je.J.
«Je ne comprends toujours pas comment un homme peut se transformer d’un jour à l’autre en une bête féroce. Mon plus grand souhait est de voir l’humanité renoncer à la barbarie. » Ces mots sont ceux de Tannous, 47 ans, une victime parmi tant d’autres de la torture. Kidnappé quatre fois durant la guerre civile par des miliciens de divers bords, y compris par des gens de...