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Interview - Il faut protéger et armer le Hezbollah, affirme le chef du PSP à « L’Orient-Le Jour » Joumblatt : Je ne suis pas contre une reconduction du mandat Lahoud

Il y a près de dix jours, Walid Joumblatt a affirmé, dans un entretien accordé à la presse : « (Le Premier ministre) Rafic Hariri m’a perdu. » Une déclaration jugée tonitruante, ou pour le moins déroutante, en ce sens que le chef du PSP se désolidarisait de son allié des législatives de l’an 2000 et choisissait de se rapprocher du président Émile Lahoud, à un moment où les querelles entre les pôles du pouvoir battaient leur plein. Sauf que, pour M. Joumblatt, il n’y a rien de « tonitruant » dans ces propos : « J’ai juste rappelé certains principes de la politique qu’il faut adopter. Je suis leader d’un parti de gauche. J’avais participé à la manifestation des professeurs pour empêcher la taxe des 5 % (dans le cadre du projet du budget au début de l’année) et nous avions réussi à obtenir gain de cause. La politique économique que nous suivons actuellement est impossible et intolérable. »
Walid Joumblatt nie avoir affirmé qu’il abandonnait Rafic Hariri en faveur d’Émile Lahoud : « J’ai rappelé que je participe au gouvernement actuel suivant certains principes : non à la privatisation, oui à la protection du secteur public. Oui, aussi, aux biens-fonds maritimes, qui ont été oubliés alors que les projets privés florissent un peu partout. Personne ne m’écoute et on va lentement, mais sûrement, à la dérive. »
Certes, des sujets évoqués à maintes reprises par Walid Joumblatt. Mais de là à expliquer ce revirement d’alliance... « Ce n’est pas un revirement. Les gens oublient », dit-il, critiquant, à titre d’exemple, les gains de certains responsables grâce à l’argent des compagnies de téléphone cellulaire. « Chacune des deux sociétés gagne trois millions de dollars par mois, indépendamment de la part qui revient à l’État. C’est aberrant. Cet argent revient au peuple. On pourrait très bien nous-mêmes gérer une société de téléphonie mobile en faisant en sorte que l’argent revienne finalement à l’État ! » s’insurge-t-il.
Sur la privatisation, Walid Joumblatt évoque la proposition de loi avancée par le député Salah Honein sur les actions nominales, en mettant en garde contre les « grands requins » qui pullulent dans le monde de la finance et de la Bourse. « Je préfère que ça reste à majorité dans le secteur public, avec peut-être gérance par le secteur privé, mais pas à trois millions de dollars par mois. À l’époque de Fouad Chéhab, l’électricité, l’eau et le téléphone étaient très bien gérés par le secteur public et rapportaient de l’argent. Ils étaient gérés par les personnes adéquates. À croire qu’elles n’existent plus au Liban », dit-il.

« Pour un régime
présidentiel »
Au niveau politico-national, Walid Joumblatt met en exergue « les problèmes structurels du système de Taëf ». « Il faut maintenir les spécificités libanaises, c’est-à-dire garantir aux chrétiens des avantages culturels et politiques. Dans ce cadre, je suis pour l’élection, par le peuple, d’un président chrétien, de n’importe quelle communauté. Cela permettrait de débloquer le système », affirme-t-il. Selon le chef du PSP, le blocage vient de l’attribution du pouvoir exécutif au Conseil des ministres. « Au sein de ce pouvoir collégial, tout le monde bloque tout le monde », souligne-t-il, et « cela ne sert plus à rien de rejeter la responsabilité sur quelqu’un : tout le monde est responsable ». « Il faut débloquer, instaurer la séparation des pouvoirs. Or elle n’existe pas. Chacun a ses sbires au gouvernement. Je suis en faveur d’un régime présidentiel. Peut-être que cela pourrait marcher. » Un retour au régime précédent ? « Non. Avant (dans le système de 1926), le président n’était pas responsable. Il faut qu’il soit élu chaque quatre ans au suffrage universel et, par conséquent, qu’il soit responsable devant le peuple », répond-il. En définitive, c’est un contrôle de la part du peuple sur le président de la République que souhaite Walid Joumblatt. Il plaide également en faveur d’une dépolitisation de l’Administration et d’un retour au système d’avant-Taëf, qui interdisait l’accès de l’Administration aux partis politiques.

La prorogation
du mandat de Lahoud
Quand on lui dit que son inclinaison en faveur du président Lahoud risque de créer un nouveau déséquilibre au niveau de la balance des pouvoirs, Walid Joumblatt s’explique: « Certains ont ouvert la bataille de la présidence de la République un an et demi avant l’échéance. Je sais très bien que M. Hariri est contre le renouvellement du mandat du président Lahoud. Il ne le cache pas, d’ailleurs. Mais ce n’est pas le moment d’initier un débat sur le sujet. Entre-temps, c’est-à-dire d’ici à un an et demi, tout est paralysé. Comment peut-on expliquer cela aux Libanais ? C’est pour cela que j’ai affirmé que, lorsque l’échéance se présentera, si je juge que le président Lahoud est nécessaire pour sauvegarder l’intérêt national, je ne suis pas contre » la reconduction de son mandat.
Hariri ne représente-il plus une garantie pour les libertés au Liban, face au pouvoir grandissant de la caste militaro-sécuritaire, comme certains le pensent toujours? « La bataille des libertés, on l’a perdue (en août 2001) lorsque nous n’avons pas pu imposer cette fameuse loi sur le code de procédure pénale. À l’époque, Hariri a fait marche arrière pour des raisons qui n’étaient pas valables. Puis après, il y a eu la MTV, affaire dont il n’était pas responsable. Maintenant, c’est au tour de la NTV. N’importe qui peut désormais présenter une information devant la justice, qui servirait de précédent pour fermer un journal. Cela devient anarchique ». Concernant la MTV, il estime que « la justice a été malmenée ».
Ce que réclame avant tout Walid Joumblatt, c’est la restauration de l’État de droit. « Il faut essayer de rétablir l’État de droit et protéger ce qui reste des libertés », indique-t-il. Mais, d’après lui, le président de la République n’assume-t-il pas une responsabilité à ce niveau, notamment en ce qui concerne les abus des services de sécurité ? « Certainement. Je fais partie de ceux qui ont dénoncé le pouvoir des services. Mais, depuis le 11 septembre, il faut faire attention. On ne peut pas laisser le pays sans aucun contrôle. Il faut maintenir les services en place et les rendre responsables. »

Protéger et armer
le Hezbollah
Existe-t-il une portée régionale dans sa préférence actuelle pour Émile Lahoud, au détriment de Rafic Hariri ? « Certainement. Je maintiendrai toujours ma position de principe : protéger les intérêts syriens même si les Syriens sont en dehors du Liban. » Est-ce que l’un des deux hommes protège mieux les intérêts syriens que l’autre ? « On verra », rétorque-t-il, sans donner d’autres précisions.
Joumblatt déplore l’attentat à la roquette contre la Future TV, qui constitue une « brèche dans le système sécuritaire », et « une atteinte aux libertés ». « Entre régulariser le fonctionnement du système sécuritaire et laisser les choses aller au chaos, il faut choisir. Je suis pour la nomination de nouveaux cadres à la Sûreté générale comme le veut (le directeur de la SG) Jamil Sayyed. La guerre contre Sayyed est stupide. C’est quelqu’un qui a construit un système efficace. Il faut évoquer aussi l’assassinat de l’ingénieur FL, Ramzi Irani. La régularisation du système sécuritaire est la mission de Lahoud, et il peut le faire. Chaque secteur sécuritaire doit s’occuper de sa mission. Le problème au Liban, c’est de savoir de qui relève le système. Or il faut éviter toute confessionnalisation. En Syrie, par exemple, ce système relève du président. Ici, chacun veut posséder sa part. Il faut que le système relève du président », dit-il. Mais donner autant de pouvoirs à un seul homme n’est-il pas dangereux ? « Il faut bien qu’il y ait quelqu’un. » Et cet élément stabilisateur, actuellement, est le président de la République ? « D’après moi, oui. »
Au niveau régional, Walid Joumblatt est loin de partager « l’anxiété » des responsables concernant une « feuille de route » pour le Liban et la Syrie. « On est en train de la mendier aux Américains », déplore-t-il, avant d’ajouter: « La paix est impossible avec les Israéliens. » « La seule façon, c’est de protéger et d’armer le Hezbollah et d’ouvrir les frontières vers l’Irak. Il faut donner l’espoir de la lutte antiaméricaine et antibritannique en Irak », poursuit-il.
Mais, il y a un peu plus d’un an, lui-même critiquait l’action du Hezbollah et toute l’affaire des fermes de Chébaa... « Non. À l’époque, on s’était disputés avec le Hezbollah sur la question du cellulaire. C’était ridicule. »
Que pense-t-il de ceux qui ne comprennent pas ses revirements politiques ? « Mais je ne suis pas un sphinx ! Dans la politique, il y a des changements et des constantes. » Mais cela étonne quand même de le voir passer d’une alliance sur certains principes avec le Rassemblement de Kornet Chehwane à une alliance avec le président Lahoud... « Ce que n’ont pas compris certains grands ténors de Kornet Chehwane, c’est qu’il y a eu le 11 septembre. Et puis, par ailleurs, je n’ai jamais demandé le départ des Syriens. » En chemin, il affirme que les menaces de mort que le ministre Assem Kanso avait lancées à son encontre au Parlement, en 2001, font partie du passé. « La Syrie a été et sera toujours un élément de protection pour le courant arabe au Liban. Il faut plus que jamais protéger les intérêts syriens qui constituent le dernier rempart contre l’impérialisme américain, indique-t-il, lequel va bientôt demander à l’armée libanaise de se déployer au Liban-Sud pour démanteler le Hezbollah. » « La force de Hassan Nasrallah est dans son discours politique. Elle est plus grande que quelques katiouchas au Sud. Il faut plusieurs Hassan Nasrallah dans le monde arabe. C’est la seule manière de répondre aux laquais des Américains, à la débâcle arabe devant les Américano-Sionistes. Je compte chaque jour les Américains, et maintenant les Anglais, tués en Irak », affirme-t-il.
Ses rapports avec les forces politiques au plan local, Walid Joumblatt les voit sous l’angle de « l’espoir de résistance culturelle, économique et politique contre l’influence américaine à long terme ». Pourrait-on s’attendre à une nouvelle ouverture de sa part vis-à-vis de l’opposition, Kornet Chehwane en tête ? « Il faut établir un programme commun pour sortir des dédales libanais. Kornet Chehwane nous a bloqués et s’est bloqué lui-même dans les dédales libanais, en réclamant notamment le retrait syrien. Le retrait syrien ne change rien. Ce qui compte, c’est que l’espoir de la lutte antisioniste continue à exister », dit-il.
Selon Walid Joumblatt, l’acteur syrien doit continuer à agir sur la scène interne. « L’on ne sait pas où certains Libanais peuvent nous mener, dans les dédales américains par exemple... », dit-il. Une allusion au général Aoun ? « Il y a de grands ténors musulmans qui ont signé le 17 mai. Ce n’était pas uniquement un acte chrétien ». Voit-il un nouveau 17 mai se profiler à l’horizon ? « Je vois un 17 mai arabe. Et le Liban est bien un pays arabe. C’est pourquoi il faut être prudent. Beaucoup veulent enterrer la hache de guerre pour enterrer le Hezbollah, qui est le seul moyen de préserver notre identité », conclut-il. En applaudissant, au passage, aux propos du patriarche Sfeir sur la renonciation de la communauté maronite à toute aspiration nationale.

Michel HAJJI GEORGIOU
Il y a près de dix jours, Walid Joumblatt a affirmé, dans un entretien accordé à la presse : « (Le Premier ministre) Rafic Hariri m’a perdu. » Une déclaration jugée tonitruante, ou pour le moins déroutante, en ce sens que le chef du PSP se désolidarisait de son allié des législatives de l’an 2000 et choisissait de se rapprocher du président Émile Lahoud, à un moment...