Par ailleurs, la meilleure façon de résoudre un problème étant apparemment de l’occulter, les membres de la troïka ne semblent avoir aucun scrupule à s’absenter du pays à tour de rôle. Le chef du gouvernement doit ainsi s’envoler aujourd’hui à destination du Brésil pour une semaine environ. Quant au président de la Chambre, Nabih Berry, il se rendra le lendemain dimanche en Italie. Une visite officielle du chef de l’État en Bulgarie est également prévue au programme. À quand, dans ces conditions, la prochaine réunion du Conseil des ministres?
Entre-temps, les ministres Karim Pakradouni et Marwan Hamadé, qui ont défrayé jeudi la chronique politique par leur litige, sont au moins d’accord sur un point: ce ne sont nullement les présidents de la République et du Conseil qui sont en cause. De fait, M. Hamadé a déclaré hier: « Je ne représentais pas le président Hariri en me retirant de la réunion, et je ne pense pas que le ministre Pakradouni ait posé le problème à la demande du président Lahoud. »
Sur le fond, la rencontre nocturne de jeudi, qui avait groupé, au domicile du ministre de l’Économie, MM. Hamadé, Pakradouni et Ghazi Aridi, n’a visiblement pas abouti à un règlement, ou même à un compromis. En réalité, les protagonistes tentent de noyer le poisson.
De fait, le ministre d’État chargé du Développement administratif confiait hier soir à L’Orient-Le Jour que l’incident était réglé... sur un plan personnel. En revanche, M. Pakradouni persiste à réclamer l’application du décret de 1990 stipulant que seuls le ministre des Finances ou son directeur général sont habilités à représenter le Liban au sein des institutions monétaires internationales, et non le ministre de l’Économie. Quant à M. Hamadé, s’il affirme aussi que son litige avec M. Pakradouni n’a rien de personnel, il campe tout de même sur ses positions et ne regrette pas d’avoir claqué la porte jeudi soir. Selon lui, en effet, seul un ministre peut représenter le pays au sein des institutions internationales. « C’était la coutume dans les gouvernements précédents, et je ne ferai aucune concession à ce sujet quelles que soient les justifications données hier (jeudi) par le ministre Pakradouni », a-t-il dit lors d’une conférence de presse. Interrogé sur les résultats de sa réunion nocturne avec le chef des Kataëb, M. Hamadé a répondu: « J’ai discuté avec les ministres Pakradouni et Aridi des moyens de dynamiser l’action de l’Exécutif, d’autant plus que l’opinion publique n’arrive plus à supporter les controverses stériles. » De son côté, M. Pakradouni a indiqué à L’Orient-Le Jour que la conversation avait notamment porté sur la nécessité « d’approfondir la coopération entre le PSP et le parti Kataëb » et « d’assainir la solidarité au sein du gouvernement ».
Apaisement et ras-le-bol
En tout état de cause, l’incident de jeudi a suscité en gros deux genres de réactions : le ras-le-bol et le dégoût d’une part, la volonté d’apaisement d’autre part. C’est cette dernière tendance qui prévaut surtout chez les décideurs, et chez les deux protagonistes en particulier. En effet, MM. Hamadé et Pakradouni mettent tous deux l’accent sur la nécessité de promouvoir l’entente. Le leader du PSP, Walid Joumblatt, approuve cette tendance en affirmant qu’il n’est pas question pour son parti de boycotter le gouvernement. « Je me rendrai la semaine prochaine chez le président de la République, car ce genre d’incident, qui n’est vraiment pas opportun, aurait pu être réglé plus calmement. » « Certes, a-t-il ajouté, M. Hamadé s’est senti gêné hier (jeudi), mais Karim Pakradouni s’est rendu chez lui en soirée, et tout s’est bien passé. » M. Joumblatt, qui s’est entretenu hier avec M. Omar Karamé, a enfin insisté sur l’unité des rangs internes et sur « l’alliance objective avec la Syrie face aux périls qui s’annoncent ».
Abondant aussi dans le sens d’un apaisement politique, le ministre des Travaux publics, Nagib Mikati, a déploré « l’importance excessive » donnée à l’algarade Hamadé-Pakradouni. Il a estimé par ailleurs que le chef de l’État n’avait pas l’intention de proroger son mandat présidentiel.
Pour le ministre de l’Information, Michel Samaha, « c’est au cabinet en place et à la classe politique d’assumer la responsabilité de la laideur du paysage gouvernemental ». Et d’ajouter : « Le pays connaîtra de vrais problèmes si nous continuons à agir de la sorte (...). Certes, le différend entre les deux présidents existe, mais nous devons savoir le gérer. »
Reste ceux qui ont déploré et dénoncé ce type d’incident. Parmi eux, le député Neemtallah Abinasr, qui voit là un signe de « la faillite politique qui n’a plus rien à envier à la faillite financière » du pays. Quant au député Mohammed Abdel Hamid Beydoun, il se félicite que « le différend ait éclaté entre deux ministres et non entre les présidents ».
Enfin, des voix dans les milieux spirituels se sont élevées contre les tiraillements au sein du cabinet. Le catholicos arménien, Aram Ier, s’est dit « inquiet » hier de « la fréquence des conflits au sein du pouvoir », alors que le vice-président du Conseil supérieur chiite, cheikh Abdel Amir Kabalan, déclarait avec amertume : « Les corps au sein du Conseil des ministres sont proches, mais les cœurs ne le sont pas. »
José JAMHOURI
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