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Actualités

Langues mortes

Rappelez-vous bien, mes enfants, qu’il n’existe rien de constant si ce n’est le changement BOUDDHA Il n’y a pas d’Américains à Bagdad, soutenait mordicus jusqu’à la toute dernière minute le célébrissime ministre irakien de l’Information Mohammed Saïd al-Sahhaf. Il n’existe pas de troupes étrangères au Liban, clame sur un autre registre mais d’un ton tout aussi catégorique le ministre des AE Jean Obeid. C’est ce qu’il a affirmé lundi après un entretien avec l’ambassadeur des États-Unis, venu réclamer le départ des forces syriennes stationnées sur le sol libanais. À peu de nuances près, c’est ce qu’il a réaffirmé hier en réponse cette fois au chef de la diplomatie française Dominique de Villepin qui venait de déterrer, de sous des tonnes de poussière onusienne, la résolution 520 décrétant précisément le retrait de toutes les forces étrangères du Liban. Ce que s’évertue à faire accroire à la planète le nouveau patron du palais Bustros on ne le sait que trop, depuis le temps que nous le serine la phraséologie officielle : les forces syriennes stationnent au Liban à la demande expresse des autorités locales, leur présence est « légale, nécessaire et provisoire » ; et il s’agit en tout état de cause, là, d’une entente entre alliés, entre frères, cette affaire ne concernant en définitive personne d’autre. Or pareil discours, pareille langue de bois a fait son temps. Non point, bien sûr, que l’ère syrienne soit sur le point de s’achever, qu’il faille prendre pour argent comptant les rappels à l’ordre multipliés ces derniers temps par Washington à l’adresse de Damas et que l’heure de l’émancipation ait enfin sonné pour les Libanais assoiffés de souveraineté, d’indépendance et de démocratie. On ne saurait oublier en effet que c’est avec l’aval du même Washington que la Syrie a pris pied au Liban en 1976, puis qu’elle y a consolidé sa présence. Voilà pourtant que le dossier syro-libanais figure en bonne place aujourd’hui sur le grand tapis vert autour duquel va se jouer une partie des plus serrées dont l’enjeu n’est autre que la configuration future de l’ensemble de la région. Ce bazar persan ne se déroule pas sous les meilleurs auspices : malgré la chute de l’oppresseur Saddam Hussein et l’indéniable soulagement ressenti par le peuple irakien, l’expédition victorieuse US reste une opération éminemment suspecte dans ses motivations réelles et, de surcroît, terriblement dangereuse dans ses implications. Déjà empêtré dans les contradictions ethniques et sectaires de la mosaïque irakienne, l’unique superpuissance prétend étendre sa mission salvatrice à d’autres pays arabes peu familiers de la démocratie, il est vrai. Mais – et c’est là où le bât blesse – l’Amérique fait l’impasse sur le seul État ouvertement raciste du Proche-Orient, Israël, un État où l’on trouve des citoyens de deuxième catégorie, un État invoquant la Bible pour justifier l’acquisition de territoires par la force, un État qui, non content d’exploiter à outrance l’infamie de l’Holocauste, a trouvé dans les Palestiniens ses juifs à lui, tout juste bons à servir de force ouvrière ou alors de souffre-douleur. Pour douteuses cependant que soient les intentions réelles de l’Administration Bush, force est d’admettre que peu d’États du Proche-Orient ont la capacité de demeurer insensibles à l’onde de choc partie d’Irak. En l’espace de quelques jours, la Syrie a dû se plier à nombre d’exigences dictées par le taureau yankee frappant de ses gros sabots à sa frontière orientale. Plus déchirantes encore que celles à caractère régional pourraient être les révisions affectant la structure du régime baassiste de Damas en lequel l’Amérique, pour peu que cela l’arrange et au moment de son choix, pourrait voir plus d’une similitude avec celui, déchu, de Bagdad. C’est dire que le jeune président Bachar el-Assad devra vraisemblablement se résoudre à une libéralisation de la vie publique en Syrie qu’il passe pour souhaiter lui-même, mais qui tarde à venir. La Syrie trouvera-t-elle un jour sa rémission et son salut par là où elle a péché, c’est-à-dire le Liban ? Il faut le souhaiter, dans l’intérêt bien compris des deux pays et dans le respect absolu de leurs spécificités. Jamais la communication à sens unique ne pourra tenir lieu d’interdépendance, d’authentique communauté de destin : tout ce qu’on obtient dans ce cas, c’est des rapports de suzerain à vassal eux-mêmes tributaires d’une conjoncture donnée, fatalement sujette à bouleversement. Et tant qu’à subir la loi du changement, pourquoi ne pas aborder celui-ci de front, pourquoi perpétuer ce qui est dénoncé comme une occupation en règle, pourquoi ne pas retirer les troupes syriennes du Liban comme le stipule clairement ce même accord de Taëf que notre diplomatie brandit incongrûment pour, au contraire, défendre l’indéfendable statu quo ? Tout au long du dernier quart de siècle, c’est la Syrie qui a déteint sur le Liban sans aucune possibilité, hélas, de réciprocité : ingérences continuelles dans les grandes et petites affaires, nominations de hauts responsables et de fonctionnaires de divers échelons, catapultage de députés, développement exponentiel des services secrets, arrestations arbitraires, procès politiques, atteintes répétées aux libertés d’expression et d’opinion, la liste est longue des dérives d’importation qui ont réduit à leur plus simple expression les traditions démocratiques libanaises. Il est temps pour la Syrie de détacher son fourgon de queue libanais aux essieux usés. D’en faire, pourquoi pas, une locomotive sur la voie ardue sans doute, périlleuse peut-être, mais absolument incontournable de la démocratie. La machine est toute trouvée. Croisons les doigts pour qu’il y ait un conducteur à bord. Issa GORAIEB
Rappelez-vous bien, mes enfants, qu’il n’existe rien de constant si ce n’est le changement BOUDDHA Il n’y a pas d’Américains à Bagdad, soutenait mordicus jusqu’à la toute dernière minute le célébrissime ministre irakien de l’Information Mohammed Saïd al-Sahhaf. Il n’existe pas de troupes étrangères au Liban, clame sur un autre registre mais d’un ton tout...