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Interview - Le chef des Kataëb affirme avoir toujours été fidèle à son parti Karim Pakradouni : « Nous venons en éclaireurs, ce gouvernement est le premier pas en vue d’une meilleure représentativité »(photo)

Quel parcours pour le jeune Arménien qu’au départ, nul ne prenait au sérieux! Avec ce sourire un peu narquois et les mêmes lunettes à monture noire, il a traversé les crises, les échecs et les victoires, en restant égal à lui-même et à son ambition. Avec une aisance, que l’on pourrait prendre pour de la désinvolture, si on oublie un instant sa grande intelligence et sa détermination à éviter les animosités personnelles, il évolue entre les ennemis d’hier devenus les alliés d’aujourd’hui et les alliés d’hier devenus des ennemis, gravissant une à une les marches d’un pouvoir que rien ne le prédestinait à conquérir. Si ce n’est son immense confiance en lui-même. Ministre d’État pour le Développement administratif, Karim Pakradouni se veut un éternel militant des Kataëb, ce parti qu’il préside depuis moins d’un an et qui constitue finalement l’élément déterminant de sa vie. Depuis qu’il a pris en charge les Kataëb, Karim Pakradouni n’a cessé de proclamer qu’il comptait ramener ce parti dans le giron de l’État et lui redonner sa place au sein du pouvoir. Les militants voulaient bien le croire, mais ils attendaient du concret, un avant-goût des avantages de cette politique. Et ce fut le nouveau gouvernement avec, pour la première fois depuis onze ans, un Kataëb au sein de l’équipe. Karim Pakradouni savait fort bien qu’il aurait sa part, mais il n’en tire aucune fierté, estimant qu’il ne s’agit là que d’un retour à la normalité. « Les Kataëb, dit-il, auraient dû faire partie de tous les gouvernements de l’après-Taëf, en raison de leur rôle déterminant dans l’adoption de cet accord. Il y a eu, pendant des années, une véritable politique d’exclusion, totalement illogique. Nous l’avons cassée. » Au prix de quels compromis ? « Aucun. J’ai simplement revendiqué le droit des Kataëb et ma voix a été entendue. » Comment se fait-il que sa voix ait été entendue et non celle de ses prédécesseurs ? « Je pense qu’il y avait un problème entre le Dr Georges Saadé et le président Élias Hraoui. Sachant cela, j’ai tout de suite noué d’excellentes relations avec le président Lahoud. Enfin, sous le mandat de Mounir el-Hajj, il n’y a pas eu de changement ministériel. » La rumeur laisse pourtant entendre que c’est Karim Pakradouni qui a été désigné en raison de ses bonnes relations, et non le parti qu’il préside... « Je ne le pense pas. J’ai été nommé ministre en tant que représentant de mon parti. S’il y avait un autre président que moi, il aurait été nommé à ma place. » Au sein du gouvernement, fait-il partie du quota du chef de l’État ? « La politique des Kataëb est d’appuyer le président de la République, mais nous ne sommes le quota de personne. » Ni cadeau ni récompense en politique Comment explique-t-il que les Kataëb soient représentés au sein du gouvernement alors qu’ils ne sont plus très représentatifs de la population ? « Les Kataëb font partie des artisans de l’accord de Taëf. C’est normal qu’ils soient représentés au sein du gouvernement. Tout comme il est normal que ceux qui refusent cet accord en soient exclus. » Le portefeuille ne constitue-t-il pas plutôt une récompense, suite à ses propres prises de position ? « Il n’y a pas de récompense en politique. Il faut prendre des options. Le patriarche maronite défend le document d’entente nationale par choix, non pour obtenir des cadeaux. C’est d’ailleurs sans doute pourquoi il a refusé de proposer des noms de ministrables lorsqu’on le lui a demandé. Je respecte son attitude et je pense qu’il perdrait un peu de son autorité morale, s’il acceptait de désigner des noms. Il deviendrait un politicien. » Pourquoi, dans ce cas, les chrétiens se sentent-ils mal représentés dans ce gouvernement ? « À mon avis, ce gouvernement est plus représentatif que le précédent. Il constitue un pas de plus, mais ce n’est pas encore le gouvernement d’union nationale. C’est vrai que Taëf a poussé vers la formation d’un tel gouvernement, mais celui-ci n’est possible que si toutes les parties sont d’accord sur une même ligne politique fondamentale. Or, il existe encore des divergences entre ceux qui s’inscrivent dans la ligne de Taëf et ceux qui continuent à faire des paris sur l’étranger. Il est difficile de concilier ces deux tendances au sein d’un même gouvernement, fût-il d’union nationale. » Pourtant, toute la classe politique s’est tenue aux côtés de la Syrie durant cette crise régionale ? « Je crois que l’unanimité est plus verbale que réelle. L’attitude du patriarche Sfeir a fourni une couverture à l’opposition. S’il est un des principaux artisans de l’accord de Taëf, l’opposition, elle, continue à attendre des développements régionaux et c’est lui qui a rempli tout l’espace, donnant l’impression d’une grande unanimité. » Représentativité politique et répartition confessionnelle Est-il vrai qu’il était opposé à sa désignation ? « Pas du tout. Lorsque je l’ai rencontré, récemment, il m’a lancé en guise de boutade : alors, votre patriarche n’est pas content ? » Et c’était vrai ? « Oui, je ne représente pas les Arméniens. Il y a une grande différence entre représentation politique et répartition confessionnelle. Si chaque communauté choisit ses représentants, le régime deviendra une fédération de communautés. Ce ne sera plus Taëf et les partis seront contraints à devenir à cent pour cent confessionnels. Assaad Hardane représente le PSNS, non les grecs-orthodoxes, Michel Moussa, le bloc Berry et non la communauté grecque-catholique, Assem Kanso, le Baas et non les chiites, Abdallah Farhat le bloc Joumblatt et non les maronites, etc. À mon avis, il faut donc une répartition confessionnelle pour maintenir l’équilibre, mais la représentation politique, c’est autre chose. » Les partis politiques sont-ils représentatifs de la population ? « Certainement, d’une partie d’entre elle en tout cas. Mais ils ne représentent pas les communautés. De toute façon, les représentants des partis constituent moins d’un tiers du gouvernement. Le reste est consacré à une représentativité régionale notamment. Pourtant, les partis politiques sont l’ossature de la démocratie. Deux logiques s’affrontent donc, celle de la communauté et celle de la nation. Je suis pour la seconde, évidemment. En tout cas, je considère que nous sommes pour l’instant des éclaireurs. Si notre expérience s’avère concluante, il y aura d’autres gouvernements avec une meilleure représentativité chrétienne. Ce gouvernement est le premier pas dans une longue marche. » C’est en tout cas apparemment mal parti pour le nouveau gouvernement... « La séance de jeudi dernier était mauvaise. Si elle se répète, ce sera le coup de grâce, avant même l’état de grâce. Les dissensions internes seront fatales au gouvernement. Car nous ne pourrons surmonter les problèmes économiques et la situation régionale qu’en étant solidaires. Vouloir placer les problèmes secondaires et personnels avant les intérêts du pays entraînera la paralysie du gouvernement. Celui-ci ne peut commencer son action là où son prédécesseur avait démissionné. D’ailleurs, je pense que ce qui s’est passé jeudi dernier constituait les séquelles du précédent gouvernement. J’espère qu’à partir du vote de confiance, un nouveau climat règnera. » Lahoud ne doit sa présidence qu’à Lahoud Pakradouni appuie aujourd’hui le président de la République. Mais tous ceux qu’il a appuyés ont « mal fini ». Faut-il craindre pour le président ? « Comment ils ont mal fini ? Bachir et Sarkis sont devenus des présidents de la République. Samir Geagea est devenu commandant en chef des FL. Quant au général Émile Lahoud, il ne doit sa présidence à personne d’autre que lui-même. D’où sa force. Il ne doit et ne veut rien. » On le qualifie de « champion du retournement de veste ». Comment se retrouve-t-il dans ses multiples volte-face ? « Je suis membre des Kataëb depuis 1959. Où sont donc les changements? Je suis resté fidèle au même parti et si les Kataëb ont changé, je n’en suis pas le responsable, puisque je ne suis devenu décideur qu’il y a quelques mois. J’étais simplement membre d’une équipe. Il faut me rendre justice. Je suis resté solidaire de mon parti et lorsque j’ai senti une profonde divergence entre lui et les FL, j’ai quitté ces dernières à leur apogée, sans dire un mot. J’étais personnellement en faveur de l’élection de Mikhaël Daher à la tête de l’État, en 1988, parce que j’étais opposé au vide constitutionnel. Ce que les Américains avaient appelé le chaos. L’avenir m’a d’ailleurs donné raison. » Certains pensent qu’il va délaisser le parti, maintenant qu’il a atteint son but, le portefeuille ministériel... « Cela fait une semaine que je suis ministre. Comment peut-on dire que j’ai délaissé le parti ? De toute façon, si j’ai à choisir entre les deux, je garderais le parti. C’est, pour moi, une option de vie. Le portefeuille ministériel est passager. Je suis un militant et je le resterai. Mais lorsque j’accepte des responsabilités, je les assume jusqu’au bout et je tiens à réussir. J’ai pu assurer la relance du parti et j’espère en faire de même avec le ministère. Surtout qu’avec les expériences de Maurice Gemayel et de Joseph Chader, nous pouvons apporter beaucoup à la réforme administrative. » Pourquoi réussirait-il là où d’autres ont échoué, alors que la réforme administrative se heurte aux interventions politico-confessionnelles ? « C’est vrai. Il faut d’abord une réforme des politiciens et des mentalités en général. Ce ministère devrait d’ailleurs s’appeler celui du Développement politique. En fait, mon ministère est au service des autres et il ne peut réussir que si ceux-ci acceptent d’initier une réforme chez eux. Ma mission a deux volets : la restructuration des ministères et des établissements publics et l’informatisation de l’Administration. Mon rôle sera de préparer le terrain et pousser mes collègues à entamer une réforme chez eux. En même temps, je poursuivrai l’action de mon prédécesseur au niveau de la sensibilisation de l’opinion publique et de la coopération avec la société civile. Je suis heureux que les Kataëb aient, à travers ce portefeuille, l’occasion d’appliquer ce qu’ils réclament, à savoir une réforme de l’État... » Scarlett HADDAD
Quel parcours pour le jeune Arménien qu’au départ, nul ne prenait au sérieux! Avec ce sourire un peu narquois et les mêmes lunettes à monture noire, il a traversé les crises, les échecs et les victoires, en restant égal à lui-même et à son ambition. Avec une aisance, que l’on pourrait prendre pour de la désinvolture, si on oublie un instant sa grande intelligence et sa...