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Bagdadtown, D.C.

Choc et stupeur : avec la foudroyante, la déconcertante chute de Bagdad, le nom de code décerné par les stratèges du Pentagone à leur guerre contre l’Irak aura tout de même fini par trouver sa pleine justification. Non point bien sûr que l’issue militaire de ce conflit faisait le moindre doute, compte tenu de l’inégalité criante des forces en présence ; mais ni la résistance acharnée que les forces de la coalition ont, à leur grande surprise, rencontrée dans les villes du sud de l’Irak, ni le ton bravache de Saddam Hussein et de ses porte-parole, et à leur tête le truculent ministre de l’Information Sahhaf, ne laissaient prévoir une si totale débandade là même où les assaillants s’étaient préparés à livrer la plus longue et la plus coûteuse des batailles. Le dictateur irakien a-t-il été pulvérisé par les quatre bombes de près d’une tonne larguées lundi sur le bâtiment où il était censé se trouver avec ses fils ? A-t-il réussi à passer entre les mailles du filet se resserrant alors sur Bagdad pour gagner son fief de Tikrit, objectif désigné des ultimes opérations ? Le raïs aurait-il plutôt négocié son départ vers quelque asile sûr en laissant sur la porte, en échange, la clé de sa capitale, tous ponts rigoureusement intacts ? Le mystère n’est pas encore levé. Mais que la Cité des Califes ne se soit pas défendue avec toute l’énergie du désespoir ne devrait chagriner que les jusqu’auboutistes, généralement prodigues au plus haut point du sang des autres : en réalité, et malgré la vague de désillusion qui déferle actuellement sur le monde arabe, l’effondrement subit d’hier, c’est autant de souffrances épargnées pour une population qui, depuis des décennies, a eu plus que son lot de malheurs. De se soumettre à temps aux innombrables injonctions internationales, de coopérer systématiquement avec les inspecteurs de l’Onu eut-il pu, suivant la même logique, prévenir le cataclysme ? C’est moins sûr, tant il se confirme en effet que le hold-up exécuté contre l’Irak, pays imbibé de pétrole et occupant une position stratégique de tout premier plan, était préparé de longue date – et bien avant les attentats terroristes du 11 septembre 2001 – par les faucons du Pentagone. De fait, la soudaineté même de la déroute de Bagdad ne fait que mieux illustrer le caractère fallacieux et mensonger des prétextes invoqués par l’Administration Bush pour motiver son entreprise néocoloniale et s’en aller abattre la bête noire qu’elle s’était façonnée sur mesure et avec le minimum de risques. Depuis la guerre du Golfe de 1991 déjà, il était clair que l’armée irakienne promptement délogée du Koweït – et en particulier le corps d’élite de la Garde républicaine – n’avait plus d’autre vocation militaire, désormais, que la protection du régime baassiste. Des divers pays de la même région du Golfe, l’Irak était en outre le moins suspect de coopération avec l’organisation d’el-Qaëda, abondamment financée par les royaumes pétroliers les plus proches de l’Amérique. Et pour couronner le tout, l’armée américaine est bien en peine, jusqu’à cette heure, de produire le moindre indice laissant croire que l’Irak détient des stocks d’armements biochimiques et qu’il avait la volonté, ou seulement la capacité, d’en user lui-même ou d’en équiper les réseaux de la terreur. Que les coalisés l’aient gagnée haut la main ne fait toujours pas de cette guerre une cause juste et honorable, quelque authentiques et sincères que soient par ailleurs les explosions de joie populaire qui ont éclaté dans la capitale irakienne. Pour la première fois dans l’histoire, une capitale arabe (et non la moindre !) est occupée par l’armée américaine, et va devoir être durablement administrée par celle-ci, ce qui risque de s’avérer extrêmement délicat pour les gouvernants, comme pour les gouvernés. Bien davantage que les scènes de pillage ressassées par les chaînes de télévision, entre deux déboulonnages de statues de Saddam Hussein, les règlements de comptes et lynchages signalés à Bassora donnent une idée du chaos « démocratique » qui menace l’Irak, à moins que soit mise rapidement sur pied une force de police nationale ou alors que les soldats américains et britanniques soient directement assignés au maintien de l’ordre public, avec tous les risques de friction que cela impliquerait. À plus long terme, le vice-roi de Bagdad, le général à la retraite Jay Garner, grand ami d’Israël, mais peu familier des réalités irakiennes et arabes, devra s’atteler à résoudre la quadrature du cercle : c’est-à-dire à la formation d’un gouvernement au sein duquel les Kurdes du Nord conserveraient l’autonomie dont ils bénéficient de facto depuis des années, où les chiites obtiendraient la participation accrue aux affaires qu’ils revendiquent du fait de leur supériorité numérique et où, enfin, les sunnites pourraient se doter de représentants autrement plus crédibles que les chefs de l’opposition en exil parachutés de Londres et de Washington. Le caractère ouvertement sectaire parfois des slogans arborés hier par les foules en liesse, dans certains quartiers de la capitale « libérée », laisse craindre que ce ne sera pas là chose facile. Quelle bonne paix peut-elle émerger d’une guerre en tout point suspecte ? C’est sur ce terrain que sera jugée avec le plus de sévérité une Amérique qui a longtemps encouragé et protégé les systèmes les plus oppressifs avant de se découvrir soudain vocation de missionnaire. Bye-bye Saddam Hussein ? Même les plus chatouilleux des Arabes, choqués à juste titre par la prise de Bagdad, s’y feront sans trop de mal. Reste à espérer le plus réconfortant des happy ends : une Amérique, un monde débarrassés de George W. Bush. Issa GORAIEB
Choc et stupeur : avec la foudroyante, la déconcertante chute de Bagdad, le nom de code décerné par les stratèges du Pentagone à leur guerre contre l’Irak aura tout de même fini par trouver sa pleine justification. Non point bien sûr que l’issue militaire de ce conflit faisait le moindre doute, compte tenu de l’inégalité criante des forces en présence ; mais ni la...