Rechercher
Rechercher

Actualités

POÉSIE - Antoine Boulad et Michel Cassir dans « Levée d’ancre », la nouvelle collection de L’Harmattan Ce « vide périlleux » qu’est le sens de la vie

Dans une nouvelle collection intitulée Levée d’ancre , la maison d’édition L’Harmattan publie une anthologie de quatorze poètes francophones méditerranéens parmi lesquels figurent deux Libanais, Antoine Boulad et Michel Cassir. L’ouvrage s’intitule Méditerranée, ombrageuse voyance et présente une sélection de poèmes de chaque auteur, précédée d’une « poétique » dans laquelle ces derniers parlent de leur relation aux mots, de leur conception de la poésie. Antoine Boulad est actuellement directeur de collège et préside une association qui a fondé la première bibliothèque municipale de Beyrouth. La cinquantaine, Boulad a silloné pas mal de pays et publié, avant de s’assagir, plusieurs recueils de poèmes dont Je réclame le ministère de l’Intérieur, pas moins, Dans pour dans – toujours cette lancinante question d’Intérieur –, Le lampadaire d’eau claire, Le passeur et Georges Shéhadé, déménageur dans l’éternel, qui a autant à voir avec Shéhadé que Shéhadé avec Lamartine. Né à Alexandrie, Michel Cassir a passé sa jeunesse au Liban, avant de faire des études de chimie en France, d’enseigner au Mexique puis de rentrer à Paris où, marié, il poursuit, de pair, une carrière dans l’enseignement supérieur (il est professeur et directeur de recherche à l’École nationale supérieure de chimie de Paris), et une autre dans l’écriture et l’édition. Il est codirecteur de la collection Levée d’ancre, aux éditions L’Harmattan. Cassir a publié une douzaine d’ouvrages, dont Une étoile avala moi, Il se peut que le rêve d’exister, Ralenti de l’éclair. Ses expériences d’écritures « automatiques » avec son ami Antoine Boulad feront l’objet d’un prochain ouvrage. Outre ces deux poètes, Méditerranée, ombrageuse voyance présente des poèmes de Asimina Chassandra (Grèce), Milo de Angelis (Italie), Fernando Beltran (Espagne), Abdallah Zrika (Maroc), Andréas Pagoulatos (Grèce), Moncef Ghachem (Tunisie), Serge Pey (France), Amina Saïd (Tunisie), Abdelmonem Ramadan (Égypte), Ayten Mutlu (Turquie), Halit Bedirboz (Turquie) et Gérard Augustin (France), codirecteur de la collection Levée d’ancre. Autant de poètes qui ont choisi pour patrie la Méditerranée, espace clos et ouvert à la fois. Il est évidemment exclu de présenter ici quatorze poètes. Quatorze poètes, c’est quatorze «levées d’ancre», quatorze Amériques à découvrir. Lequel touchera terre ? Laissons à Antoine Boulad l’honneur de le dire. Sous le titre Poétique , il nous livre l’un des plus beaux textes de cette anthologie : «Comme l’œil qui a deux paupières, la bouche et la blessure deux lèvres, les mots, tels les cours d’eau, ont deux rives. Le poète, jamais riverain, est un passeur. Som embarcation a ceci de particulier qu’elle ne peut atteindre l’autre berge sans traverser les eaux souterraines, le regard, la parole, la douleur et l’inconnu. À l’intérieur des mots, une fois le tremblement du vertige passé, la poésie, elle-même une voie, s’ouvre vers l’effroyable simplicité des choses de ce monde où la vie et la mort sont l’envers d’une même nudité. De l’intérieur à l’embouchure du mot, d’un mot à l’autre brèche, d’un phrasé à l’autre fêlure, d’une strophe à l’autre déchirure, à la fois passeur, guerrier et couturier, le poète jette des ponts, lance des flèches et tisse des liens au-dessus du vide périlleux qu’est le sens de la vie. Comme la vie des mots, le Liban a deux rives ; de même chacun des pays qui ont cette mer en partage. Jamais riverain, le poète traverse la Méditerranée. Habité par la furie indomptable de l’horizon, touché par l’aile du désir, torturé par la soif insatiable de l’au-delà, le poète marche du Levant à Gibraltar, de Djerba à Dubrovnik et Anafi pour connaître son propre pays. Irascible pèlerin sur le chemin de lui-même, il n’est de poétique sans ce mouvement dialectique et amoureux par lequel deux mots mêlent leurs différences et leurs similitudes, la chair de leurs syllabes, l’odeur de leur sens et leur belle vue pour en créer de la musique. C’est ainsi que les pays, de même, se touchent. » Chercher à dire Aucun des poètes de cette anthologie ne laisse indifférent. Certains jugent la poésie hermétique. Il ne faut pas s’en faire. C’est normal parfois de ne pas comprendre la poésie, puisque ce que le poète cherche à dire nous le cherchons avec lui. Et que cherchons-nous ? Le sens de la vie, ce «vide périlleux» selon Boulad au-dessus duquel nous avançons sur un fil, comme des funambules, seuls face à la mort. Car les grands poètes sont de grands solitaires, des hommes proches de la mort, des hommes qui écrivent à distance d’homme de la mort. Le poète est aussi un homme de l’écrit. La fascination de la poésie tient beaucoup de celle du cinéma muet. Le poète envoie des sémaphores, des messages destinés à des planètes qui pourraient être habitées. La page écrite balise la vie du poète. Les phrases sont des éclairs dont les zébrures lui permettent de s’orienter durant quelques secondes. Ce sont aussi des sondes qui lui indiquent à quelle profondeur il navigue. C’est ainsi qu’il avance d’éclair en éclair, « à la recherche du sens caché derrière la réalité », pour reprendre Halit Bedirboz qui cite aussi Shelley disant : « La poésie qui n’est pas en vous, vous ne la trouverez nulle part. » Voir, s’orienter. Le poète a beau valoir y échapper, il est toujours soumis aux déterminismes. Il doit étreindre. Il doit choisir une vérité. Il doit avancer. Et c’est normal que parfois, mystique à l’état sauvage, fatigué par cette tension permanente vers le sens et la beauté, un poète respire. Car le poète passe souvent sa vie à trouver autre chose que ce qu’il cherche, à sauter d’un hasard à l’autre, au risque d’oublier ce qu’il est venu faire. Voilà pourquoi il y a des lecteurs. Pour découvrir ce que le poète est venu faire. Dans cette ombrageuse voyance, on a besoin de vous. Dans un magnifique poème, Sentier de lumière, Amina Saïd le dit : « (...) j’ai pris très tôt des bateaux pour nulle part j’ai demandé une chambre dans la patrie des autres je n’avais rien accompli avant nos adieux j’ai habité le couchant, le levant et l’espace du vent (...) j’ai dit qu’il était temps que j’aille vers toi j’ai rampé jusqu’à tes lèvres sur un lit de ronces j’ai cru que ce qui nous unissait était ce qui nous ressemblait je me suis cherché en toi un pays, une langue en m’éloignant du rêve je m’en suis rapprochée j’ai noirci des pages avec la nuit du poème l’oiseau noir du silence les froissait une à une j’ignore encore quelle langue me parle et m’absout (...) pourquoi chercher un lieu quand nous sommes le lieu mon ombre a gravi un long chemin jusqu’à moi un jour je suis entrée dans la maison de la langue j’ai niché deux oiseaux à la place du cœur j’ai traversé le miroir du poème et il m’a traversée je me suis fiée à l’éclair de la parole j’ai déposé un amour insoumis dans le printemps des arbres et délivré mes mains pour que s’envolent des colombes. » Ouvrez ce livre, prenez le temps d’écouter ses confidences. « En écrivant, j’ai appris à être », dit Amina Saïd. La poésie décape. Elle a quelque chose de la lessive des fondeurs et de la potasse. Rappelez-vous nos mères. « Changer la vie », disait Rimbaud. « Transformer le monde », disait Marx. « Changer les cœurs », dit le Chemin. Fady NOUN
Dans une nouvelle collection intitulée Levée d’ancre , la maison d’édition L’Harmattan publie une anthologie de quatorze poètes francophones méditerranéens parmi lesquels figurent deux Libanais, Antoine Boulad et Michel Cassir. L’ouvrage s’intitule Méditerranée, ombrageuse voyance et présente une sélection de poèmes de chaque auteur, précédée d’une «...