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Patrimoine - « Aucune armée n’a jamais respecté les conventions internationales », déplore J.L. Huot, directeur de l’IFAPO 5 000 ans d’histoire menacés par le feu, le fer et le pillage en Irak(photos)

Peut-on intégrer la préservation d’un patrimoine archéologique, d’une mémoire universelle, dans une stratégie de guerre ? Dans le fracas du fer et du feu, les Américano-Britanniques entendront-ils le cri d’alarme lancé par l’Unesco pour épargner l’héritage mésopotamien ? « Aucune armée n’a jamais respecté les conventions internationales. Les destructions, les pillages et les fouilles clandestines sont les risques inhérents à toute guerre », déclare M. Jean-Louis Huot, directeur de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (IFAPO), qui signale que les autorités irakiennes avaient engrangé tous les trésors archéologiques de pierre, d’or, d’argent et de bronze, dans le musée central de Bagdad. L’établissement conserve des milliers de tablettes de terre cuite mais aussi des sculptures et des bas-reliefs, pièces lourdes de plusieurs tonnes qui ne peuvent être ni démontées ni déménagées. Il ajoute que ce musée, qui abrite 5 000 ans d’histoire, est « le plus grand en Orient. Il est aussi important pour nous que le Louvre ou le Pergamon de Berlin ». Il est situé à proximité du ministère de la Défense ! M. Huot, qui a à son actif dix-sept ans de sondages au sud de l’Irak, indique que le pays des deux fleuves n’est pas doté de vestiges spectaculaires en pierre comme Persépolis, Baalbeck ou Palmyre. Sauf dans la montagne et dans le nord, où se trouvent les célèbres ruines de Hatra ou Khadra’(verte). L’Irak est un « pays de terre, d’argile », dit-il. Les monuments historiques sont construits en brique crue, matériau sensible à l’usure du temps, et sont, par conséquent, « difficiles à conserver ». À moins d’un entretien régulier, « les édifices retournent très vite à la ruine. Ils fondent sur place », affirme le spécialiste. Aussi, nombreuses sont les villes antiques encore ensevelies, « enterrées ». Donc « protégées ». « Elles sont du ressort de l’exploration scientifique ». Babylone, qu’il cite à titre d’exemple, ne doit rien à la fouille archéologique. Le décor est une « reconstitution architecturale » lancée en 1978 par les services des antiquités irakiennes. L’expert ajoute, par ailleurs, que les mines dont les combattants ont truffé les terrains, interdiront dans un proche avenir les opérations d’excavation. Il faudra attendre des dizaines d’années pour débarrasser les zones de combat des engins explosifs. Quant à la ville de Bagdad, elle conserve « un nombre infime d’architectures archéologiques ». Le directeur de l’IFAPO rappelle que la capitale, détruite par les Mongols, a été plusieurs fois immergée par les crus du Tigre et de l’Euphrate qui « ont effacé tous les souvenirs anciens ». En substance, la menace pèse sur des bâtiments comme le khan Murjan, les madrassas ou le vieux minaret abbasside, « reconstruits à l’identique ». Sur des églises, des mosquées et des demeures datant des XVIIIe et XIXe siècles. Sur l’école Mustansiriya construite sous le règne du 37e calife abbasside al-Muntasser Billah (1226-1242). Et toujours à titre d’exemple, sur les vestiges de la citadelle al-Mada’in, (ou Salman Paq) qui exhibent un arc spectaculaire construit au IIIe siècle de notre ère. « L’arche de Ctésiphon, qui a subi des dégâts lors des bombardements de 1991, est très fragile. Il ne résistera pas à de nouvelles ondes de choc », révèle Jean-Louis Huot. Quant à la ziggourat d’Agargouf, haute de 57 mètres, elle est « en brique massive, donc très solide ». À moins qu’elle ne soit la cible des bombardements destructeurs visant à faire disparaître les témoignages d’un passé qui a façonné l’Irak. Un pays dont la mémoire, irrésistiblement enchaînée à des civilisations millénaires, évoque des cités de gloire et de légendes : Ur, Babylone, Ninive, Assur, Hatra... patrimoine de l’humanité. May MAKAREM 10 000 sites archéologiques Selon certains experts, 10 000 sites archéologiques sont répartis sur le territoire irakien. – La carte historique du centre du pays couvre Babylone (90 km de la capitale) où se dressent les vestiges du palais du Sud de Nabuchodonosor ; Kish ou al-Uhaimir ; Borsippa (15 km de Babylone) ; Kerbala à 102 km de Bagdad ; la muraille du château Ukhaider, bâti en pierre et en plâtre, datant de l’époque abbasside ; mais aussi Najaf, Hilla, Kufa... – Le Sud dresse son inventaire avec Nippur ; Uruk ; Our ; Wasit ; Sumer ; Larsa et Basrah à 50 km de la frontière du Koweït. – Au Nord, Samarra ; Mossoul avec les ruines imposantes de la citadelle Bash Tapia qui fait partie de l’ancienne muraille de la ville ; les vestiges du palais du sultan Badreddine Lu’lu’(palais noir) datant du XIIIe siècle ; la grande mosquée (1172) dont le minaret étonnamment courbé accuse une hauteur de 52 mètres. Plus loin, Ninive ; Nimroud ; Dour Shourukin appelé également Khorsabad ; Assur et Hatra classé patrimoine mondial. Lors de la dernière guerre du Golfe, certains hauts lieux de l’histoire ont été touchés par les bombardements : la ziggourat d’Our ; des maisons traditionnelles à Kirkouk ; une église du Xe siècle à Mossoul...
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