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INTERVIEW - Une dizaine de jours pour que l’armée américaine entame le siège de Bagdad Le général Wehbé Katicha : Un gros risque de guérilla urbaine si Saddam n’est pas évincé du pouvoir(photos)

La progression vers Bagdad de la 3e division d’infanterie mécanisée de l’armée américaine s’est arrêtée lundi dernier en soirée à 70 kilomètres de la capitale irakienne. Dans la nuit de jeudi à vendredi, 1 000 parachutistes se sont déployés au Kurdistan irakien. Les deux divisions d’élite américaines, la 101e et la 82e, ne sont pas encore arrivées en Irak. Certes, les États-Unis ne comptent pas livrer la bataille de Bagdad avec uniquement les 18 000 hommes de la 3e division qui est remontée du sud irakien en début de semaine. Dans une interview à L’Orient-Le Jour, le général Wehbé Katicha a expliqué la situation actuelle sur le terrain en Irak, dressant un résumé clair du déroulement des opérations. Il a également formulé des pronostics sur la stratégie militaire qui sera adoptée par les forces de la coalition dans les jours à venir, et fait des prévisions sur la progression du combat. Avant d’évaluer la situation sur le terrain, le général Katicha résume la guerre d’Irak en une phrase : « Les Américains ne peuvent pas perdre la guerre et Saddam Hussein ne peut pas capituler. » Il indique qu’au « début de l’opération, l’armée américaine a progressé du sud de l’Irak, formant un axe d’effort, vers Bagdad, évitant les zones habitées et s’assurant une couverture au niveau des villes, notamment de Bassora et de Nassiriya ». « En remontant l’Euphrate, les soldats sont restés à 70 kilomètres des villes », ajoute-t-il. Et de poursuivre : « En même temps, à Routban, non loin de la frontière jordanienne, l’armée américaine s’est assuré le contrôle de deux petits aéroports situés au nord et au sud de la localité. » Qu’entend-on par couverture quand on sait que les forces de la coalition combattent les Irakiens à la frontière des villes du sud ? « Quand une armée progresse, c’est surtout ses unités arrière qui peuvent subir des pressions de l’ennemi. Au début des opérations, les troupes de la coalition ont réussi à occuper Fao et Oum Qasr et à assurer leur couverture au niveau de Bassora », relève-t-il, soulignant qu’actuellement, « nous sommes à la deuxième phase de l’offensive, les Américains ayant provoqué une guerre d’usure tout au long de la ligne sur laquelle ils se sont déployés au sud de Bagdad. » « Les Américains veulent éviter la guérilla urbaine à Bagdad. Ils préfèrent faire face à des affrontements dans d’autres villes du sud », ajoute-t-il, soulignant encore que « la 3e division a battu un record en parcourant 100 km par jour et en arrivant en quatre jours à 70 km de Bagdad. Rares sont les armées dotées de cette importante chaîne logistique. » Du côté irakien, au niveau de Nassiriya, l’armée irakienne a fait appel à de petites unités pour attaquer les lignes arrières des troupes américaines. Au niveau de Najaf et de Karbala, les attaques se sont intensifiées et les soldats américains ont arrêté leur progression vers Bagdad. Guerre d’usure Le général Katicha répond à une question qu’il s’était posée quand l’armée américaine avait arrêté sa progression : les Américains allaient-ils livrer la bataille de Bagdad avec uniquement 18 mille soldats ? « Au début de l’offensive, les experts militaires ont cru que l’armée américaine est arrivée aux portes de Bagdad afin d’attaquer tout de suite la ville, estimant qu’au cours de cette progression, des troupes héliportées se joindraient à la colonne de tanks qui remontaient l’Euphrate. Cela ne s’est pas produit », dit-il. « Cette division de 18 000 hommes s’est dirigée vers Bagdad sans renforts. Or il est impossible que l’armée américaine envoie uniquement une seule unité pour attaquer et envahir la capitale irakienne », ajoute-t-il. Présentant encore les faits pour expliquer la stratégie américaine, le général Katicha souligne que « la 3e division d’infanterie a affronté les Irakiens, au point qu’une brigade de la Garde républicaine de Saddam Hussein s’est déplacée du sud de Bagdad jusqu’à Najaf pour prendre part aux combats ». « Donc, les troupes américaines qui ont stoppé leur progression à 70 kilomètres de la capitale irakienne ne se rendaient pas à Bagdad. Elles ont effectivement pour but d’attirer hors de la capitale irakienne la Garde républicaine, menant ainsi une guerre d’usure aux frontières de diverses villes du sud, et visant à affaiblir la capitale avant de l’assiéger ou de l’envahir », indique le général Katicha, poursuivant que « les Américains, tout comme Saddam Hussein, ont opté pour une guerre d’usure ; les éventuelles pertes à Bagdad seront très lourdes des deux côtés ». Le général Katicha relève que « les troupes d’élite américaines, notamment les 82e et 101e divisions, ne sont pas encore entrées en scène. Ces divisions et d’autres en route vers le Moyen-Orient, notamment la 4e division d’infanterie, mèneront la bataille de Bagdad ». Et la 3e division d’infanterie restera sur place, déployée à 70 kilomètres de la capitale irakienne. Avant d’exposer la situation du front nord, le général Katicha souligne que « cette guerre d’usure a pour but de provoquer la chute du système irakien et cela de l’une des trois manières suivantes : l’assassinat de Saddam Hussein, le soulèvement civil, ou l’insurrection militaire. Ainsi, le prix à payer pour les Américains sera moins élevé que l’invasion de Bagdad et la guérilla urbaine ». Se penchant sur la situation du front nord, l’expert indique que « jusqu’à présent, la situation est apparemment vague entre les États Unis et la Turquie. Il y aurait des accords effectués en catimini entre les deux parties ». Sur le terrain, 1 000 parachutistes ont été déployés dans la nuit de jeudi à vendredi. « Il semble que toute la 82e division aéromobile sera déployée dans cette zone et marchera ensuite sur Bagdad », relève-t-il, ajoutant que « l’armée américaine a la capacité de transporter en 24 heures, par avion, une brigade mécanisée vers n’importe quel point du monde. » Et l’expert de souligner que les troupes auront le choix d’emprunter deux axes, à partir d’Ibril au Nord : celui d’Erbil-Mossoul-Bagdad ou celui d’Erbil-Kirkouk- Bagdad. « L’axe qui traverse Kirkouk est plus facile à emprunter : la route qui relie Kirkouk à la capitale irakienne est nettement plus courte que celle qui passe par Mossoul, elle est limitrophe à la zone kurde et elle est éloignée des villes importantes », relève le général Katicha, soulignant que la question du ravitaillement est le pire ennemi des soldats du monde entier. Et d’expliquer : « Pour une journée de combat, il faut compter par division : 5 000 tonnes de munition, 80 000 repas, 100 000 litres d’eau potable et 140 000 litres de carburant. » Revenant sur le siège de Bagdad, le général Katicha indique que la capitale irakienne sera prise en tenailles au nord et au sud. C’est la 101e division héliportée qui devrait rejoindre, à partir du Koweït, en quelques heures, les forces venues du nord. Elle sera probablement stationnée au sud de la ville. D’autres divisions de l’armée américaine, actuellement en route vers le Moyen-Orient, prendront aussi part à la guerre. « Une fois assiégée, la capitale sera prise directement d’assaut ou elle subira une guerre d’usure l’obligeant à se rendre, ce siège pourrait durer plusieurs semaines », indique le général Katicha, soulignant que « tout peut basculer entre-temps si Saddam Hussein est assassiné ou évincé du pouvoir ». « Si Saddam Hussein demeure au pouvoir, le risque de guérilla urbaine est très important », ajoute-t-il. Et il semble que l’assassinat de Saddam Hussein ne soit pas difficile, l’armée américaine s’étant préparée à plusieurs éventualités. Mais pour assassiner Saddam, il faut commencer par le localiser… « La guerre est encore à ses débuts », indique le général Katicha pour qui il « faut compter dix jours au moins pour que toutes les troupes américaines arrivent sur place et que le siège de Bagdad commence ». Enfin, peut-on comparer la stratégie américaine adoptée lors de cette première phase de la guerre en Irak avec l’invasion israélienne de 1982 ? « Une comparaison avec l’invasion israélienne de 1982 est fausse. Le relief et le peuple sont différents par exemple. Le seul point commun à relever, c’est cette progression rapide vers la capitale, avec une couverture au niveau du nord », dit-il. Patricia KHODER Un homme de terrain passionné de géopolitique Les Libanais l’ont découvert sur les écrans de la LBCI, le jeudi 20 mars au petit matin, quand il a fourni les premières explications de l’offensive américaine en Irak. Il n’est pas facile à un militaire d’expliquer des stratégies guerrières aux civils. Mais le général Wehbé Katicha est doué pour cela. Ancien élève de l’École supérieure de guerre à Paris et licencié en sciences politiques, le général Katicha, à la retraite depuis quatre ans, a donné des cours de tactique à l’École militaire. Mais l’expert est avant tout un homme de terrain. En 1970, il a échappé miraculeusement à la mort, alors qu’il faisait face aux troupes israéliennes à Maroun el-Ras. Et il était en charge, entre autres, du front de Souk el-Gharb (1985-1988). Passionné de stratégie, de géopolitique et de lecture, il aime à citer Sun Tze, théoricien militaire chinois (VIe siècle avant Jésus-Christ) : « Le stratège habile doit être capable de remporter la victoire sans engagement militaire, de prendre les villes sans les assiéger et de renverser un État sans ensanglanter des épées. » C’est ce que les Américains feront en Irak ? « Non, c’est ce qu’ils ont fait avec l’ex-Union soviétique », indique-t-il.
La progression vers Bagdad de la 3e division d’infanterie mécanisée de l’armée américaine s’est arrêtée lundi dernier en soirée à 70 kilomètres de la capitale irakienne. Dans la nuit de jeudi à vendredi, 1 000 parachutistes se sont déployés au Kurdistan irakien. Les deux divisions d’élite américaines, la 101e et la 82e, ne sont pas encore arrivées en Irak. Certes, les...