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Interview - Adnane Hobballah dresse pour « L’Orient-Le Jour » les portraits psychanalytiques de Bush et de Saddam Meurtre paternel, possession de la mère, l’élu de Dieu et le père suprême(photo)

La psychanalyse. Elle a ses aficionados incurables, ses détracteurs féroces, cette « méthode d’investigation » psychologique dont le but – avoué – est d’élucider « la signification inconsciente » des conduites. Une méthode d’investigation ? Parfait. L’Orient-Le Jour a justement demandé à l’un des trois fondateurs de la Société libanaise de psychanalyse, Adnane Hobballah, de jouer l’inspecteur Columbo des âmes. De démêler la signification inconsciente des conduites de deux hommes que tout semble, a priori, séparer, et dont les noms sont aujourd’hui sur toutes les lèvres, les traits du visage sur toutes les rétines : l’Américain du Texas George W. Bush et l’Irakien de Tikrit Saddam Hussein. Avant de se lancer, dans une première étape, dans un portrait psychanalytique du 43e locataire de la Maison-Blanche, Adnane Hobballah, en écho à son dernier ouvrage, L’événement politique – interprétation psychanalytique, évoque l’Événement avec un É majuscule. Qui se caractérise par « un réel qui surgit, et qui modifie l’ordre du monde et la représentation que chacun s’en fait. Rien ne reste en place. Comme il y a eu un avant et un après-11 septembre, il y a un avant et un après-jeudi (20 mars 2003, début de l’offensive anglo-US contre l’Irak). Cet événement a un côté irréversible, un caractère impossible. L’événement est attendu : Dieu sait combien le président américain avait préparé l’opinion publique à la guerre, pour finir par être amené à prendre une décision douloureuse et tragique. Partant du fait que l’Onu n’a pas fait son devoir, Bush est devenu – et il y a là un véritable renversement de valeurs – le référent de l’éthique mondiale, en décidant de se charger lui-même de ces devoirs en question », souligne le psychanalyste. Œdipe, Thèbes et l’abstinence d’alcool George W. Bush. En commençant à disséquer l’inconscient de cet homme, Adnane Hobballah évoque Lacan. Et son « plus de jouir ». Voilà, selon lui, le moteur, l’essence de Bush fils. Comprendre par ce « plus de jouir » que tout le monde aspire à retrouver l’Éden perdu de la jouissance suprême et fusionnelle avec la mère, tout le monde a ce désir de toute puissance absolue, de retrouver l’omnipotence totale, comme lorsqu’il (ou elle) tétait le sein de sa mère et était le roi (la reine) du monde. Et c’est cet « objet petit a » – volonté, économique, de contrôler le pétrole irakien ; ou alors volonté, géopolitique, d’en finir avec l’axe du mal ; ou bien volonté, démocratique, d’en finir avec un régime autocratique –, qui, lorsqu’il est mis en lieu et place du désir subjectif, devient « cause du désir », c’est-à-dire la cause d’une guerre. Parallèlement à cela, Adnane Hobballah pose une question : « Qui prend la décision politique finale ? » et y répond : « C’est toujours le président. » Sauf que ce président est « un être humain comme nous tous. Ses motivations personnelles peuvent ou non coïncider avec le reste. Pour Clinton, c’était l’Amérique. Pour Bush, arrivé au pouvoir avec un héritage paternel clair, il y a la rivalité – consciente ou inconsciente – avec le père ». Chaque enfant, explique le psychanalyste, est amené à dépasser le père et à commettre « un meurtre symbolique ». Il a été reproché à Bush père de ne pas avoir accompli un travail, et Bush fils est « convaincu à 100 % qu’il doit mener à bout ce que le père n’a pas voulu ou pu faire (en 1991, au cours de la deuxième guerre du Golfe) : aller aux portes de Bagdad ». Nous sommes en plein Œdipe. Dans son décorticage psychanalytique de cette relation père-fils, Adnane Hobballah estime que George W. est un enfant, « un vrai enfant », et que le regard du père sur le fils est tel que le rapport qui s’est instauré entre eux est un rapport de « supériorité ». « Le fils est réllement subordonné », souligne-t-il. Et il veut sortir de cette tutelle. « Il ne peut le faire qu’en dépassant, qu’en faisant mieux que le père. Dans cette optique, l’Irak sera une véritable tragédie grecque, Bagdad l’équivalent de Thèbes (dont la légende en a fait le théâtre du cycle d’Œdipe), et les puits de pétrole, les fruits défendus. » Le psychanalyste va plus loin. Ainsi, « il ne sera pas étonnant que Bush commette, en Irak, des crimes monstrueux ». Pourquoi ? « Parce qu’il vivrait une lutte constante entre cette force pulsionnelle qui le pousse à avancer, à réussir à tout prix à tuer le père, et une culpabilité qui le fait reculer. » C’est la dynamique psychanalytique chez Shakespeare, dans la destruction de la personnalité de Hamlet. Puisque dans ce scénario où se débat Bush, Saddam Hussein est « l’image inversée du père, l’image détestée ». L’image inversée du père ne doit-elle pas, logiquement, être au contraire l’image chérie ? Adnane Hobballah rappelle que le sentiment de tout un chacun envers le père est foncièrement « ambivalent », une valse entre amour et haine. « Et cette haine a besoin d’une représentation extérieure, d’un transfert, pour qu’elle se déverse. Saddam Hussein est le double du père adoré. Il a empêché ce père d’accomplir son projet (d’envahir l’Irak). » Comprendre par là que pour Bush fils, c’est comme si le raïs irakien avait commis « un meurtre politique » sur la personne de son père. Sauf que George W. Bush a une autre ambition, ajoute Adnane Hobballah. « Il était alcoolique jusqu’à l’âge de 40 ans, et il s’en est sorti, a-t-il dit, grâce à sa femme et grâce à Dieu. Et pour rester dans l’abstinence, dans la sobriété, il a besoin de la protection divine. » D’autant plus que pour lui, s’il a réussi à se débarrasser de ses démons éthyliques, c’est qu’il a reçu un don divin. Dieu lui a confié une tâche. Dans sa tête, « il est l’élu, celui qui a été choisi pour accomplir une mission. Il est devenu ultracroyant, il prie plusieurs fois par jour, il le dit lui-même : son seul conseil spirituel, c’est de la lecture de la Bible qu’il le tire. Dans sa conquête de l’Irak, Bush a une vision de missionnaire. Et comme l’Amérique et son peuple sont particulièrement religieux et croyants, il y a donc un besoin constant de visualiser ces valeurs dans l’action. Bush fils a vu en lui-même un missionnaire, qui doit rétablir la justice, la paix et la démocratie – par la force si c’est nécessaire ». Et comme tout religieux, « pour l’économie psychique, et parce qu’il est l’envers de Ben Laden », il divise le monde en deux : le Bien est en lui, le Mal est à l’extérieur. « Et quand la représentation est duelle, il y a, automatiquement, la violence au bout », martèle Adnane Hobballah. D’autant plus que lorsque l’on mène une action au nom d’une idéologie, on peut commettre les crimes les plus abominables sans aucune culpabilité. Encore plus lorsqu’il y a dichotomie entre le Bien et le Mal. L’enfance maltraitée et l’absence de père Pour évoquer Saddam Hussein, le psychanalyste mêle aux éléments biographiques du leader progressiste devenu tyran absolu, le fait qu’il a été le fils de son temps culturel et idéologique. Parce que contrairement à Bush fils, Saddam n’est pas un religieux, mais un idéologue. Son idéologie ? « Le monde arabe », dit Adnane Hobballah. « Dans son enfance, Saddam a été maltraité. Ils étaient huit garçons à Tikrit qui pêchaient ou traînaient dans les rues. C’est son oncle maternel Khairallah qui l’a élevé, son père les a quittés lorsque Saddam avait cinq ans. Et lorsqu’il n’y a plus de médiation du père avec le monde extérieur, on se détache du monde extérieur. » Axiome psychanalytique corroboré par ce que l’on sait de l’homme, tellement craint que plus personne n’osait lui dire la vérité. « Et c’est surtout après la bataille de Fao (lors de la guerre Iran-Irak) qu’il s’est carrément détaché de la réalité. » Comme tous les enfants maltraités (ou, au-delà, comme les femmes battues ou le peuple juif), Saddam « a développé une intuitivité extraordinaire contre le danger, sa sécurité personnelle devient mono-obsessionnelle. Il sent le danger à l’avance, il prend des précautions avant les autres. C’est pour cela qu’il a éliminé tous ses amis et tous ceux qui pouvaient s’avérer être de potentiels rivaux ». Pour son dernier séjour connu hors des frontières d’Irak – c’était en Jordanie en 1989 –, Saddam Hussein n’a pas passé la nuit dans un grand hôtel d’Amman, comme ses pairs arabes, mais dans la villa d’Ahmed Louzi, auquel il a demandé l’hospitalité à sa descente d’avion dans la capitale jordanienne. De Bagdad, comme le rapportent Georges Malbrunot et Christian Chesnot (Saddam Hussein, portrait total), le raïs a acheminé sa nourriture, son cuisinier, ses goûteurs ; et pendant la réunion du Conseil de coopération arabe, il avait refusé de s’asseoir sur les sièges prévus par le protocole : un fauteuil spécial l’avait accompagné dans son avion. Et au terme des débats, quelques heures avant le retour prévu en Irak, Taha Yassine Ramadan, un proche parmi les proches, demande au chef de la sécurité jordanienne la suite du programme organisé pour Saddam. Interloqué, celui-ci lui répond : « Mais vous n’êtes pas au courant ? Saddam est reparti pour Bagdad. » L’idéal, le père spirituel de Saddam ? « C’est Nasser », martèle Adnane Hobballah. « Sa disparition prématurée a laissé une place vide et tous avaient l’ambition de l’occuper : Kadhafi, Hafez el-Assad, etc. Et dans l’inconscient collectif du peuple arabe, on attendait l’arrivée du chef sauveur. Saddam voulait cette place vide, et réaliser à n’importe quel prix ce que Nasser n’a pas réussi à faire : l’unité du monde arabe. » Même processus donc que son ennemi juré, George W. Bush : le meurtre du père. Saddam, après la semi-victoire finale de Fao, ne parlait plus, il pensait, « noyé dans une extase intérieure indescriptible », raconte le psychanalyste. « Happé par l’idéal, il a perdu le contrôle de ses moyens, il est tombé dans le piège que lui ont tendu les Américains – le Koweït – qui connaissaient son complexe. On ne peut pas endiguer une passion idéologique : la domination de la nation (la oumma) arabe devenait la possession de la mère. » Saddam Hussein ne voit aucun sens à la vie sans le pouvoir. « Catapulté au sommet par un coup d’État, il s’est approprié ce pouvoir, dont il a fait un patrimoine personnel qu’il compte léguer à ses enfants », tout cela après avoir mis en scène sa réélection au suffrage universel : 100 % des voix et 100 % de participation. « Saddam est devenu le pouvoir, auquel il s’est identifié. Oui, Saddam est cruel et violent. Il s’est arrogé le droit de tuer. Et quand un chef d’État autorise le meurtre, il peut alors gouverner. N’oubliez pas que nous sommes dans les 1 001 nuits. Dans son enfance, Saddam était le bouc émissaire de son groupe d’amis. Un jour, il prend une barre de fer, et va derrière un d’eux qui le battait constamment. Il le frappe avec la barre de fer, et depuis ce jour – il avait sept ou huit ans – tous ses amis se sont soumis à lui. Quant à son premier meurtre, c’est celui d’un cousin qui avait humilié son oncle Khairallah. Après cela, la vie humaine ne compte plus. Saddam ne gouverne plus en fonction de la loi. Il s’est identifié à la loi, il la fait. » Et cet homme aux nombreuses manifestations paranoïaques s’est substitué au père spirituel disparu, pour incarner « le père suprême ». « Tous ses collaborateurs sont traités comme des enfants, habillés comme des boy-scouts en tenue militaire, au garde-à-vous, alors que lui est en costume, avec un cigare à la bouche. Cela indique parfaitement sa personnalité, son autorité indiscutable. Idem lorsque l’on sait qu’il accepte que ses sosies – puisqu’il est capable, obsédé par sa sécurité, d’en avoir – meurent à sa place. Cela interroge. » Il a peur de la mort ? « Je ne pense pas. S’il a accepté de faire face à la coalition, c’est qu’il a déjà envisagé la mort. » Il se suiciderait, comme Hitler ? « S’il voit la défaite, c’est possible. Dans ce cas, lorsque sonnera l’heure de la vérité, il y a deux options. S’il a des armes de destruction massive, il les utilisera jusqu’au bout. Peu lui importe le monde, puisqu’il va mourir. Il sortira par la porte de Chamchamal. S’il n’a pas d’ADM, il se sacrifiera avec ses proches. Il sortira là par la porte de Kerbala. » Ziyad MAKHOUL
La psychanalyse. Elle a ses aficionados incurables, ses détracteurs féroces, cette « méthode d’investigation » psychologique dont le but – avoué – est d’élucider « la signification inconsciente » des conduites. Une méthode d’investigation ? Parfait. L’Orient-Le Jour a justement demandé à l’un des trois fondateurs de la Société libanaise de psychanalyse,...