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USJ - Conférence sur « Le Liban et l’échéance irakienne » Cortbaoui et Frangié : Refaire de l’exemple libanais un modèle

Invités à donner une conférence sur « le Liban et l’échéance irakienne » à l’Université Saint-Joseph, l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, Chakib Cortbaoui, et le politologue Samir Frangié ont appelé hier les Libanais à œuvrer dans le cadre de la dynamique de changement qui touche la région pour « refaire de l’exemple libanais un modèle ». « Le patriarche Sfeir a raison d’avoir peur pour le monde arabe et pour le Liban. Car ce dernier se retrouve une nouvelle fois à la croisée des chemins. Il peut sombrer victime de ses contradictions internes, de l’incurie de ses dirigeants ou des mauvais calculs des uns et des autres. Mais il peut également, fort de l’expérience de la guerre qu’il a connue, jouer un rôle déterminant dans le monde arabe et retrouver ainsi tout à la fois sa raison d’être dans cette partie du monde et sa spécificité originelle en tant que lieu privilégié de dialogue et de convivialité », a indiqué M. Frangié en citant les propos de Mgr Sfeir contre la guerre. Se demandant quelle attitude adopter face au conflit irakien, qui masque en filigrane un autre conflit dont l’enjeu est la nature du nouvel ordre international, il a répondu: « Certains pensent que la situation que nous vivons est insupportable et que n’importe quel changement est mieux que cette mort lente à laquelle nous sommes condamnés. (...) Je voudrais dire à ceux qui n’en peuvent plus de vivre dans cette morne désespérance que suscite un avenir sans espoir que la question ne se pose plus de savoir s’il y aura ou non un changement: la guerre de l’Irak a tranché la question. Notre problème est désormais de savoir quoi faire pour éviter que le changement ne se fasse, encore une fois, à nos dépens et aux dépens du monde arabe. » « Le Liban a aujourd’hui un rôle de premier plan à jouer dans l’élaboration d’une stratégie de défense et de protection dans la région », soutient-il. Cette contribution doit se faire à deux niveaux, l’un culturel, l’autre politique. Au niveau culturel, il s’interroge sur la viabilité d’une modernisation à l’américaine dans la région – surtout si elle s’effectue « par la force des baïonnettes » – après l’échec des tentatives précédentes. Comment faire alors? Le rôle du Liban est justement de s’écarter du modèle de démocratie ethnocentriste pour trouver « une nouvelle approche de l’arabité appréhendée, cette fois, dans sa dimension culturelle ». Passant à la dimension politique, Samir Frangié se demande pourquoi les États-Unis, s’ils veulent vraiment démocratiser le monde arabe, ont « soutenu pendant le demi-siècle précédent les régimes les plus répressifs du monde arabe, couvert la violation systématique du droit international par leur principal allié, Israël, et pourquoi ils ont toujours été extrêmement critiques à l’égard de la seule démocratie dans le monde arabe, la démocratie libanaise ». Quoi qu’il en soit, souligne-t-il, « il est nécessaire de prendre les devants et de réfléchir sur les termes d’une refondation politique du monde arabe, car il n’est plus possible d’accepter le statu quo actuel ». Samir Frangié s’intéresse ensuite au mouvement d’opposition suscité par la guerre en Irak, « sur lequel il faut impérativement se greffer » et qui pourrait sortir les Arabes de leur isolement et rétablir leurs liens avec le monde. « Nous assistons à l’émergence d’une conscience planétaire », dit-il, autour de l’idée du refus de la violence, de la volonté de créer un monde plus solidaire, de la nécessité d’un retour à la loi et au respect de la dignité humaine. Et c’est au Liban de « se faire le porte-parole de cette conscience planétaire », souligne-t-il. Mais pour cela, conclut M. Frangié, « l’État libanais doit d’abord devenir un État de droit basé sur la souveraineté populaire, la société doit reprendre son autonomie vis-à-vis du pouvoir, un dialogue avec la Syrie doit être instauré pour parvenir à un “compromis historique” qui marquerait le début d’une relation entre les deux pays et il convient d’œuvrer à une paix régionale basée sur la justice (...) » – une action qui dépend avant tout de la volonté du citoyen libanais. Prendre son destin en main Chez Chakib Cortbaoui, le raisonnement est presque le même : le changement part en définitive d’une dynamique populaire, citoyenne, sur laquelle il repose aussi. Aussi sceptique que M. Frangié vis-à-vis des intentions américaines de démocratisation, l’ancien bâtonnier commence par dresser un tableau affligeant de la situation régionale à tous les niveaux. Dénonçant le « pessimisme et le négativisme » qui règnent sur la scène locale, il choisit de se positionner dans une perspective différente : « Je suis profondément convaincu que l’espoir est là, que le changement est possible. Mais il ne viendra pas tout seul, il faut y œuvrer. » Chakib Cortbaoui rassure immédiatement : « Je ne suis pas là pour vous donner de faux espoirs, mais pour vous entretenir avec réalisme. La grande idée qui me travaille est très simple: chaque peuple peut prendre son destin en main à condition que ce peuple n’abdique pas. » Selon M. Cortbaoui, il est faux de penser que « tous les problèmes du Liban sont nés dernièrement » ou « sont liés au contrôle syrien direct du pays ». « Ces problèmes ont leur source dans les années d’avant-guerre, quand nous Libanais n’avons pas su construire un État de droit. Dans cette région où tous les régimes totalitaires ont muselé leurs peuples et les ont appauvris, le Liban, fier du climat de liberté qui y régnait, a continué à vive insouciant dans une anarchie qui était devenue un style de vie », puis la guerre a enclenché un processus destructif. « Après quinze années de destructions, l’accord de Taëf a été signé. Cet accord, qui, dans l’esprit de beaucoup de ses artisans, était un moindre mal et un outil qui mènerait à une entente nationale, s’est avéré être un instrument très dangereux : en son nom, une mainmise syrienne totale s’est abattue sur le pays, et certaines milices prosyriennes ont pris possession du pouvoir, mettant l’État à leur service », a-t-il poursuivi. Résultat, affirme-t-il, le Liban n’est plus ni indépendant ni démocratique ; il a perdu les caractéristiques de l’État de droit, vit une crise économique très aiguë et une crise de confiance très poussée, caractérisée par l’exode des jeunes. Et, face à ces problèmes, « il est malheureux de constater que le pouvoir fait tout pour que les Libanais paraissent divisés entre eux, comme si une fraction des Libanais plaident pour un Liban asservi et antidémocratique ». Mais, somme toute, « face au terrorisme et aux thèses fanatiques qui font trembler le monde, l’exemple du Liban milite en faveur du dialogue des cultures et des religions et du respect d’autrui. À l’heure où les fusées frappent l’Irak, composé d’une mosaïque d’ethnies et de religions, l’exemple libanais bien compris peut servir de modèle ». « Un Liban indépendant, maître de ses décisions, ayant les meilleures relations avec la Syrie, mais d’égal à égal, un Liban État de droit, voilà la solution. Malheureusement, les Américains n’avaient pas compris l’importance de cet exemple libanais. Au contraire, ils avaient trouvé que le Liban carrefour des religions n’était pas viable. À l’heure actuelle, les événements ont montré que le modèle libanais est la seule réponse au fanatisme et à la guerre des cultures et des religions », insiste-t-il. Comme Samir Frangié, M. Cortbaoui pense qu’un tel modèle n’est réellement viable que si le Liban retrouve son indépendance dans un climat de cohésion nationale, devient un État de droit au sein duquel la justice est indépendante, lutte contre la corruption (...) et redéfinit les relations libano-syriennes. « Les deux pays ont besoin l’un de l’autre et doivent coordonner leurs politiques étrangères, surtout en ce qui concerne le problème palestinien face à la politique israélienne meurtrière. Mais ces résolutions, que nous voulons très liées, doivent être celles de deux pays indépendants, sans mainmise de la Syrie », dit-il en réclamant la révision de tous les traités bilatéraux. Et de conclure en citant successivement Vaclav Havel, Jean-Paul II, Jacques Chirac et Fouad Boutros, pour faire passer un même message, notamment aux jeunes Libanais : « Le Liban ne peut pas changer sans nous. Il faut s’engager dans la vie publique pour imposer le changement. » M. H. G.
Invités à donner une conférence sur « le Liban et l’échéance irakienne » à l’Université Saint-Joseph, l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, Chakib Cortbaoui, et le politologue Samir Frangié ont appelé hier les Libanais à œuvrer dans le cadre de la dynamique de changement qui touche la région pour « refaire de l’exemple libanais un modèle ». « Le...