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SYMPOSIUM - Biotechnologies, assistance médicale, euthanasie, dons d’organes, acharnement thérapeutique, procréation assistée… Les défis de la bioéthique au Liban (photo)

La première année du diplôme universitaire sur l’éthique médicale, instauré en 2002 par l’Université Saint-Joseph, a été clôturée samedi au cours d’un symposium sur « L’éthique biomédicale » organisé au campus des sciences médicales, rue de Damas, en présence du président de l’Ordre des médecins, Mahmoud Choucair, et de nombreux professionnels. Introduisant le thème de la journée, le ministre des Déplacés et président du Comité consultatif national libanais d’éthique (CCNLE), Marwan Hamadé, a signalé qu’après avoir créé le CCNLE, l’essentiel restait encore à faire : « Initier le pouvoir politique comme le public au nécessaire débat et à l’inévitable action en faveur d’une éthique des sciences de la vie ». La tâche n’est toutefois pas facile « dans un pays où surgissent, à chaque détour de palais, de sérail, de ministère et de dossier, des problèmes de morale publique et de rigueur civile », a souligné M. Hamadé. « Le Liban n’est pas encore le pays où les chercheurs scientifiques bousculent les décideurs politiques, a-t-il poursuivi. Mais avec la globalisation des effets de la science, surgissent chez nous aussi, quoiqu’en microcosme, les grandes questions qui se posent à l’humanité. » « Même dans mon souci préventif du clonage de notre nomenklatura politique et administrative, je ne peux occulter le fait qu’elle est désormais aux prises avec toute la panoplie des valeurs éthiques et qu’elle ne pourra esquiver longtemps encore sa participation au débat sur le devenir », a ajouté M. Hamadé. Il a estimé que des questions telles que les biotechnologies, l’assistance médicale, l’euthanasie, les dons d’organes, l’acharnement thérapeutique, la procréation assistée se sont déjà installés dans la société libanaise, « creusant dans nos méninges des interrogations surmultipliées par la diversité culturelle et religieuse ». Face à ces défis, le CCNLE a été créé il y a vingt-deux mois. Et malgré les embûches rencontrées, l’élan de ses membres, « obsédés » par le sursaut moral, n’a pas été affecté. « Nous n’avons nullement l’intention d’établir une autorité sui generis, pas plus un conseil constitutionnel qu’un conseil d’État ou un quelconque ministère de l’éthique. Nous avons l’ambition légitime de privilégier la conception pour laquelle Axel Kahn plaidait, où les comités d’éthique contribueraient au débat démocratique en le préparant et en l’alimentant par des avis comme par des argumentaires », a conclu M. Hamadé dans un appel aux autorités politiques du pays, aux hiérarchies religieuses, aux Ordres professionnels, ainsi qu’« au pouvoir exécutif parfois méfiant, au pouvoir législatif souvent hésitant et au pouvoir judiciaire un peu trop ombrageux ». Création d’un comité national d’éthique Le secrétaire général du CCNLE et ancien président de l’Ordre des médecins, Fouad Boustany, a pour sa part dressé un état des lieux de la bioéthique au Liban, exposant les défis qu’elle soulève et continuera à provoquer. « Née des interrogations que le développement scientifique pose à l’homme, la bioéthique cherche à définir ce que nous pouvons faire, ce que nous devons et ne devons pas faire », a-t-il expliqué. Précisant qu’une pareille discipline ne pouvait s’accommoder de la solitude de la pensée et de l’ostracisme à l’égard des autres, le Pr Boustany s’est interrogé sur la possibilité d’aboutir au Liban à une bioéthique laïque, destinée aux hommes en tant qu’êtres humains, loin de la rigidité et du confessionnalisme. Le Pr Boustany, qui a dressé une liste des questions qui se posent en bioéthique, notamment en ce qui concerne l’étendue du champ d’action des chercheurs et des scientifiques, a précisé que les sujets débattus en bioéthique dépassent largement les limites d’une profession, si prestigieuse fut-elle. « Pour les laïcs francophones, la première prise de conscience remonte à 1985, suite au discours de M. Robert Badinter (qui a déploré le clonage, la procréation assistée…) devant le Conseil de l’Europe », a noté le Pr Boustany, précisant que « tous ces projets et réalisations techniques et scientifiques, qui semblaient transgresser les barrières que l’homme a imposées à la nature et qui nous effrayaient, ne trouvèrent écho auprès de l’opinion publique libanaise que vers l’an 1992 avec l’organisation des premiers séminaires de bioéthique par des comités onusiens. » Depuis, conférences et colloques se sont multipliés et des cours d’éthique médicale ont été institués par les facultés de médecine de l’Université américaine de Beyrouth et de l’USJ. « Le début de l’institutionnalisation de la bioéthique au Liban est dû à l’Ordre des médecins de Beyrouth, qui créa en 1996 un comité de bioéthique pluridisciplinaire et pluraliste, qui contribua fortement à la diffusion de cette discipline », a indiqué le Pr Boustany. Et ce n’est qu’en 2001 que le Comité consultatif national libanais d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a été créé. Attaché à la présidence du Conseil, ce comité comprend des philosophes, des sociologues, des médecins, des juristes et des chercheurs. Il est de même membre titulaire de l’International Association of Bioethics et du Réseau interislamique du génie génétique et biotechnologique. À ce jour, le CCNLE a présenté aux ministères concernés des recommandations concernant les principes généraux pour l’expérimentation de nouveaux médicaments chez l’homme, l’acharnement thérapeutique, la création de comités locaux d’éthique dans les hôpitaux et la position du Liban à l’égard du clonage reproductif et thérapeutique. De nombreuses études ont été également publiées par le CCNLE, qui a soumis à la Chambre quatre projets de loi, déjà agréés par le ministère de la Santé et le conseil d’État. Il s’agit des projets de loi concernant les droits du malade et le consentement, les techniques de procréation médicalement assistée, les tests génétiques et la formation de comités d’éthique locaux dans les hôpitaux. Survalorisation de l’autonomie L’homme, son corps et sa dignité ont été au cœur de l’intervention de Mme Françoise le Corre, philosophe et directrice adjointe de la revue Études. Rappelant les deux principes technologique (tout ce que nous pouvons, nous le ferons) et économique (tout ce que nous voulons, nous l’aurons) des sociétés modernes, Mme Le Corre s’est demandée « sur quels fondements devons-nous appuyer la notion de dignité rapportée au corps humain pour que ces deux principes ne menacent pas en nous l’humain ? » Mme Le Corre a ensuite développé la notion du corps-sujet : le corps que l’on voit, que l’on touche, qui bouge, le relief, la forme, la taille, le volume, le poids, etc., mais aussi le « moi » qui pense, qui parle, qui sent et qui rend tout un chacun singulier. Une description qui ne s’applique hélas que quand le sujet est bien portant, puisque nous évoluons dans une société où la norme d’évaluation de la dignité demeure la santé physique et psychique. La vulnérabilité du sujet, ses déficiences, les privations auxquelles il est soumis, les limitations qui adviennent du corps singulier ainsi que la loi de « gravitation » (le sujet tend à s’effacer ou défaille, chaque fois que le corps s’impose), la douleur qui cloue, la maladie qui rend le corps étranger à lui-même, la tentation de se retirer et « de mourir dans la dignité » quand l’image que le sujet a de lui-même est altérée par la maladie… autant de thèmes évoqués par Mme Le Corre, qui s’est attardée sur les difficultés contemporaines : le rapport à l’image, la survalorisation de l’autonomie confondue avec l’autosuffisance, le corps pris comme objectif en soi et le déficit d’incarnation. « Hors de toute référence religieuse, l’incarnation c’est, au-delà de la matérialité du corps, l’enracinement du corps-sujet-vulnérable, c’est-à-dire ce qui le lie à l’espace et au temps, aux proches qui lui permettent de vivre, à la culture dont il est issu, à sa lignée, à sa race », a expliqué le philosophe. Et de conclure en évoquant une parole de l’Évangile, « qui propose de ne pas faire porter aux autres des fardeaux inutiles que nous ne pourrions pas porter nous-mêmes ». N.M.
La première année du diplôme universitaire sur l’éthique médicale, instauré en 2002 par l’Université Saint-Joseph, a été clôturée samedi au cours d’un symposium sur « L’éthique biomédicale » organisé au campus des sciences médicales, rue de Damas, en présence du président de l’Ordre des médecins, Mahmoud Choucair, et de nombreux professionnels....