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Manifestation - Plus de dix mille personnes dans les rues pour dire « non » à la guerre Colère et frustration ont uni Libanais, Palestiniens et Irakiens dans une même marche du refus (photos)

À Londres, comme à New York ou même à Tel-Aviv (mais dans une proportion bien moindre) et à Beyrouth, les populations du monde entier sont descendues dans la rue pour dire non à la guerre. À Beyrouth, sans doute plus qu’ailleurs, la frustration des manifestants est immense, tant les citoyens semblent avoir honte des dirigeants arabes. Palestiniens ne pouvant s’exprimer dans leurs territoires occupés, mais aussi Libanais nostalgiques de la gauche et du Mouvement national, vieux militants un peu blasés, jeunes déterminés à en découdre avec un ordre mondial (et local) qui contredit tous les principes dans lesquels ils veulent croire, femmes ayant souffert des guerres diverses et refusant de connaître à nouveau ce genre d’expérience, commandos prêts à mourir pour une cause, n’importe laquelle, il y avait de tout dans la manifestation gigantesque de samedi, qui a abouti devant l’Escwa avant d’être dispersée par la pluie. « Réveillez-vous, Ô Arabes ! » Une banderole plus petite que les autres, brandie par un manifestant isolé, mais qui résume à merveille le sentiment général des dix mille personnes qui sont descendues samedi dans la rue, pour dire « non » à la guerre. Depuis bien longtemps, aucune manifestation n’avait jeté autant de monde dans les rues de Beyrouth et chaque partie, comme il se doit, voulait s’en attribuer le bénéfice. Le groupe de Maan Bachour, le parti baas pro-irakien brusquement réapparu sur la scène libanaise, les diverses factions de l’OLP, les groupuscules ayant survécu à la guerre, comme les Mourabitoun ou l’Organisation populaire nassérienne et même les aounistes, les Kataëb, les proches du Rassemblement de Kornet Chehwane, les nouveaux venus, comme le Parti démocrate de Talal Arslane, les islamistes comme la Jamaa islamiya ou le parti de l’Unification islamique de Tripoli (revenu à la vie, par la grâce de la crise irakienne), le Jihad islamique et le Hamas palestiniens, plusieurs ONG, dont le Rassemblement des femmes libanaises et, bien sûr, Greenpeace, tout le monde voulait être de la partie, chaque groupe à part, avec ses banderoles et ses drapeaux, dont certains longs de plusieurs mètres. Les plus remarqués, les drapeaux palestiniens et irakiens, en grande quantité d’ailleurs. Au point que l’on se demande où étaient cachés tous ces drapeaux irakiens. Quelques drapeaux libanais et de nombreux portraits des présidents palestinien et irakien, Saddam Hussein étant surtout représenté en prière, l’image du parfait musulman. Le matin les Kurdes, l’après- midi les antiguerre Devenue pèlerinage obligé des manifestants de tous bords, la place de l’Escwa avait été investie dans la matinée par les Kurdes, mais, dès 14h, les survivants du Mouvement national ont pris la relève. Chansons arabes de Feyrouz ou révolutionnaires d’Ahmed Kaabour et Marcel Khalifé diffusées à pleins tubes par les haut-parleurs pour créer une ambiance, les militants sont venus tôt pour veiller à une organisation parfaite. Le petit jardin s’est très vite rempli de vieux qui ne peuvent plus faire de longs trajets à pied mais tiennent à participer à la manifestation. Certains rêvent à haute voix : « Vous verrez, la guerre n’aura pas lieu. La France a réussi à gagner six mois et il n’en faut pas plus pour faire sauter Bush. » Tous les manifestants, de cœur ou de facto, parlent avec émotion de la France. Même les plus « progressistes », qui, pendant la guerre du Liban, en voulaient à « la tendre mère » d’avoir des sympathies pour les chrétiens de droite, ont oublié leurs griefs. D’ailleurs, de nombreuses banderoles louent ce pays, ainsi que l’Allemagne et la Belgique, qui sont qualifiés de « nouveaux pays arabes ». Par contre, les manifestants, et ceux qui attendent le défilé assis sur les bancs, n’ont pas de mots assez durs pour parler des « anciens » pays arabes, notamment les monarchies du Golfe, la Jordanie ou l’Égypte, dont l’inertie apparente leur paraît plus que coupable. Certains slogans sont d’ailleurs carrément hostiles au président Moubarak ou à d’autres dirgeants de la région, mais tout le monde loue le « courage » du président de l’Autorité palestinienne et la « fermeté » des présidents syrien et libanais. Qu’ils soient jeunes ou vieux, chrétiens ou musulmans, libanais ou palestiniens ou encore irakiens, tous pensent que la guerre annoncée contre l’Irak n’a aucune légitimité. Pour Oum Hassan, en 1991, l’Irak avait envahi le Koweït, il y avait donc une raison. Mais là, selon elle, les Américains n’ont pas réussi à apporter une preuve convaincante de l’existence de liens entre Saddam Hussein et le réseau el-Qaëda ou de la possession par l’Irak d’armes de destruction massive. « Ce qu’ils veulent, en fait, c’est le pétrole et contrôler toutes les richesses de la région », lance-t-elle, provoquant une série d’approbations chez ses auditeurs. Un homme passant par là renchérit : « Les Américains veulent piétiner encore plus les Arabes pour permettre à Sharon de poursuivre ses objectifs et détruire totalement la cause palestinienne. » En filigrane, la frustration engendrée par le conflit palestino-israélien Et comme pour corroborer ses dires, un groupe défile brandissant une banderole sur laquelle est écrit : « Qui gouverne la Maison-Blanche, Bush ou Sharon ? » Pour les manifestants, la guerre contre l’Irak ne peut être dissociée du conflit palestino-israélien et tant que les États-Unis continueront à laisser le champ libre au Premier ministre israélien, ils ne pourront que leur être hostiles. Ce n’est donc pas tant le désir de défendre le régime irakien qui les pousse à défiler dans la rue, que la frustration face à une hégémonie américaine qui se rallie totalement aux vues israéliennes. Tous sont cependant émus de penser que pratiquement à la même heure, dans la plupart des grandes capitales du monde, les gens protestent aussi contre la guerre. « Jusqu’à quand Bush et Blair pourront-ils faire la sourde oreille face aux cris de la rue ? s’écrie Joumana, bien emmitouflée dans une belle écharpe rouge. Et puis, c’est quoi cette démocratie qui piétine la volonté des peuples ? »... La manifestation bat son plein et le défilé est des plus colorés. Les groupes les plus remarqués sont les jeunes commandos du Jihad islamique avec leurs kalachnikovs en plastique et leurs uniformes en léopard, les petites filles vêtues de blanc du Hamas, comme de jeunes vierges prêtes au sacrifice, les barbus de la Jamaa islamiya, les yeux baissés pour ne pas voir les manifestantes profanes en jeans et chapeau dernier cri, et çà et là, entre deux groupes bien déterminés, des solitaires marchonnant consciencieusement une « kaaké », la marche leur creusant sans doute l’estomac. Greenpeace se fait remarquer avec ses ballons rouges et ses banderoles suffisamment grandes pour attirer l’attention, l’association des femmes libanaises fait signer une pétition contre la guerre et espère recueillir plus d’un million de signatures pour pouvoir l’envoyer aux Nations unies, un vieil homme avance dans un fauteuil roulant, une épée reposant sur les genoux, la fanfare palestinienne fait hurler ses tambours, un camion de légumes est muni de haut-parleurs et avance au pas avec des slogans vengeurs contre Sharon et Bush. Hoss appelle les dirigeants arabes à assumer leurs responsabilités Face à cette foule variée et haute en couleur, les officiels passent plutôt inaperçus. Il y a pourtant l’ancien Premier ministre Sélim Hoss, qui prononce un discours très ferme à l’égard des dirigeants arabes – les appelant à adopter une position claire et à mettre la main sur le dossier irakien pour éviter toute action unilatérale américaine –, plusieurs députés et ministres de Beyrouth, dont MM. Béchara Merhej, Bassem Yamout et Adnane Arakji (bloc Hariri), Marwan Hamadé, Akram Chehayeb et Abdallah Farhat (bloc Joumblatt), Mme Nayla Moawad (Kornet Chehwane), M. Marwan Farès (PSNS), etc. Le représentant du mufti de la République, cheikh Araymet, prononce une allocution dans laquelle il appelle les dirigeants arabes à chasser de leurs territoires « les forces d’invasion américaines, car leur présence est illégale et contraire à la charia ». Ces propos provoquent l’étonnement des présents – ou du moins de ceux qui parviennent à les entendre tant le chaos est grand –, car ils pensent aussitôt aux troupes américaines à Bahreïn, à Qatar et en Arabie saoudite, pour ne citer que ces pays. Mais face à la foule déchaînée, toutes les déclarations sont permises et sont plus destinées à la consommation locale qu’à entrer dans l’histoire. Cette histoire, justement, qui, une fois de plus, semble s’écrire sans les Arabes et à leurs dépens, face à l’impuissance d’une population brimée qui regarde vers l’Europe comme seul espoir. Samedi, donc, la rue a dit son mot, mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Scarlett HADDAD
À Londres, comme à New York ou même à Tel-Aviv (mais dans une proportion bien moindre) et à Beyrouth, les populations du monde entier sont descendues dans la rue pour dire non à la guerre. À Beyrouth, sans doute plus qu’ailleurs, la frustration des manifestants est immense, tant les citoyens semblent avoir honte des dirigeants arabes. Palestiniens ne pouvant s’exprimer dans...