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Hommage Émile Bitar : homme d’État, humaniste, un modèle à suivre...

Il y a aujourd’hui quinze ans, je perdais un ami très cher, la médecine libanaise perdait un de ses plus grands noms, et le Liban tout entier perdait un ancien ministre qui avait marqué l’histoire politique de notre pays et était devenu une référence morale et l’exemple parfait de l’homme d’État intègre, compétent, dynamique, volontariste, courageux et indépendant. Émile Bitar n’était pas un ministre comme les autres. Comme l’écrira Édouard Honein : « Émile Bitar œuvrait comme si le sauvetage du Liban de toutes les calamités qui se sont abattues sur lui depuis l’époque des Ottomans et du mandat français incombait à lui et à lui seul. Il portait en lui la grandeur des cèdres. » Je voudrais aujourd’hui retracer à l’intention de la nouvelle génération de Libanais les principales étapes de l’itinéraire d’Émile Bitar, pour qu’elle ne cède pas à la désillusion et au dégoût, pour qu’elle réalise que la politique peut être noble et qu’elle n’est pas toujours synonyme de magouilles et de compromissions. Son père, le bâtonnier de l’Ordre des avocats et député du Liban-Nord, Wakim Bitar, avait dans les années 30 sauvé sa région de Batroun d’une catastrophe agricole. Il fut l’un des plus brillants orateurs du Parlement libanais. Mais Émile Bitar n’a pas hérité d’un quelconque poste. Le jeune et brillant médecin humaniste est arrivé au pouvoir en 1970 lorsque fut formé un gouvernement de jeunes professionnels choisis pour leur compétence et non pas pour leurs affiliations politiques. En moins d’un an et demi, Émile Bitar transforme en profondeur et modernise le ministère de la Santé, qui deviendra un ministère actif et performant au service de l’intérêt général. Sa toute première décision a consisté à supprimer l’humiliant certificat d’indigence (chahadat foukr el-hal) que chaque citoyen était contraint de demander afin d’avoir accès aux soins. C’est sous le mandat d’Émile Bitar qu’est mise en place l’assurance-maladie le 1er février 1971. C’est aussi à lui que nous devons la mise en place du Carnet de santé, la création du Bureau national des médicaments, la fondation de l’École nationale des infirmières, la fondation d’hôpitaux et de dispensaires au Sud, dans la Békaa, au Nord et dans l’ensemble des régions défavorisées, les campagnes de prévention et d’hygiène, le renforcement du secteur hospitalier public, le passage aux 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans les hôpitaux, jusque-là non appliqués au Liban, la réforme de la structure du ministère de la Santé, la politique de motivation des fonctionnaires... Les Libanais de ma génération ont également retenu la belle leçon qu’a donnée Émile Bitar à la classe politique libanaise en démissionnant avec panache du ministère lorsque son projet de réduction du prix des médicaments s’est heurté à de puissants intérêts privés. Émile Bitar a d’abord demandé la confiance du Parlement et, à deux reprises, l’a obtenue à l’unanimité. Mais lorsqu’il s’est rendu compte que certains hauts personnages de l’État n’étaient pas prêts à aller jusqu’au bout dans cette bataille, il a préféré démissionner délibérément et volontairement pour défendre ses principes plutôt que de renier ses idéaux pour conserver le pouvoir. Il s’est alors montré, comme l’a écrit Édouard Bassil dans La Revue du Liban, « le plus incorruptible des Libanais ». Quelques mois plus tard, alors qu’Émile Bitar était au sommet de sa popularité, le président de la République lui proposera de briguer le siège de député de Batroun, qu’il était sûr de gagner. Encore une fois, Émile Bitar refusera car la politique était pour lui un moyen et non pas une fin en soi. Il reviendra à la médecine et à son poste de chef de service de rhumatologie à l’Hôtel-Dieu et de professeur à la faculté française de médecine. Il sera également vice-recteur de l’Université Saint-Joseph et continuera de servir le Liban de diverses manières, sans ostentation. Avec son ami Bassem el-Jisr et quelques autres, Émile Bitar a fondé le Parti démocrate, parti qu’il présidera après sa démission du ministère. Ce qui était au départ un club d’intellectuels et de membres des professions libérales a ensuite attiré, en raison de l’enthousiasme qu’a suscité l’action d’Émile Bitar au ministère de la Santé, plusieurs centaines de membres et est devenu un grand parti moderne et pluriconfessionnel, porteur d’un projet d’avenir démocratique pour le Liban, bref un parti comme on en trouve dans les pays développés. Au déclenchement de la guerre, Émile Bitar préféra toutefois geler les activités du parti plutôt que de risquer de perdre son indépendance. Car Émile Bitar est resté tout au long de sa vie farouchement libre et indépendant, indépendant vis-à-vis de tous les pays étrangers et de toutes les milices. Il a représenté pendant la guerre les Libanais qui ont refusé de se vendre et de servir des intérêts étrangers, quels qu’ils soient. Ce sont toutes ces raisons qui ont valu à Émile Bitar de faire l’unanimité autour de lui. Pour Marwan Hamadé, Émile Bitar était « l’exemple du ministre qui étudiait ses dossiers avec le plus grand soin, avec sérieux, avec rigueur scientifique, et le symbole de l’homme d’État qui place l’intérêt du peuple et l’intérêt de la nation au-dessus de tous les intérêts personnels et catégoriels ». Marwan Hamadé dira aussi que si Émile Bitar demeure après sa mort une figure aussi populaire, « c’est parce que dans le long registre de ceux qui ont occupé des postes de responsabilité, il fait partie de ceux, très rares, qui brillent et se distinguent, ceux qui viennent effacer de l’histoire des gouvernements libanais toutes les tâches et les indignités, et elles sont fort nombreuses, et permettent ainsi de sauver l’honneur d’une génération politique tout entière ». Pour le journaliste et politologue Samir Atallah, « Émile Bitar a été le premier homme qui a tenu au peuple libanais un langage de vérité ». Notre collègue et ami Fouad Boustany écrivit dans L’Orient-Le Jour qu’Émile Bitar était dans la classe politique libanaise « un pur dans la jungle ». Pour Fouad Daaboul d’al-Anwar, Émile Bitar « représente un rêve évanoui, et les Libanais continueront longtemps d’espérer qu’un homme de sa trempe soit au pouvoir ». Émile Bitar est décédé en 1988 à l’âge de 56 ans. L’une de ses plus grandes qualités était la fidélité et un sens de l’amitié à toute épreuve. Aussi, je souhaite dire à son épouse Andrée, à ses enfants Wakim et Karim, que nous restons quant à nous fidèles à sa mémoire et que nous continuerons d’œuvrer pour construire ce Liban nouveau, libre, uni, moderne et démocratique dont il rêvait et dont il fut un symbole et un pionnier. Je laisserai le mot de la fin à Ghassan Tuéni, son collègue au ministère et son collègue dans la démission, qui écrivit dans le Nahar sous le titre « Émile Bitar al-Tariq ila al-Moustaqbal » : « Émile Bitar représentait au Liban une nouvelle classe politique, une génération, une école qui est celle de la noblesse, la noblesse de ceux qui sont sortis vainqueurs de leur expérience au pouvoir, la noblesse de ceux qui ne se sont pas enrichis, qui n’ont pas cédé aux tentations lors de leur passage au gouvernement, la noblesse du refus véritable, le refus de la violence, le refus du recours à la violence, le refus de voir la violence s’insérer et pervertir toute chose. Cette noblesse représentée par Émile Bitar aurait dû être, et elle doit être, le chemin vers l’avenir du Liban. » Professeur Gédéon MOHASSEB Président de l’Association des amis d’Émile Bitar
Il y a aujourd’hui quinze ans, je perdais un ami très cher, la médecine libanaise perdait un de ses plus grands noms, et le Liban tout entier perdait un ancien ministre qui avait marqué l’histoire politique de notre pays et était devenu une référence morale et l’exemple parfait de l’homme d’État intègre, compétent, dynamique, volontariste, courageux et indépendant....