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Organisations - Le délégué du CICR remet à son successeur le dossier chaud des prisons Henry Fournier : La dynamique du dialogue au service de l’humanitaire(photo)

Il est de ceux qui détestent se retrouver sous les feux de l’actualité. Le délégué du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) a une obligation de discrétion que lui dicte la déontologie même de son métier. Tel un équilibriste, il jongle entre les subtilités de la politique et les exigences de sa mission humanitaire qui est son objectif ultime. Œuvrant en milieu conflictuel, il s’interpose entre les belligérants, s’infiltre dans les coulisses de la mort et cherche à alléger les souffrances des populations civiles. Mû par le souci de sauvegarder la dignité de la personne humaine, il impose, face aux antagonismes, une neutralité non moins engagée : pour et envers l’homme. C’est en tous les cas ce que laisse entrevoir le « bilan de 20 ans de carrière » établi par Henry Fournier, dont le mandat libanais – le second en deux décennies – vient de s’achever. Ayant connu le Liban par le « passé » – du temps de la guerre civile – et au « présent » – la période de l’après-Taëf –, le délégué du CICR raconte, à bâtons rompus, les moments-clés qui ont jalonné son parcours, mais aussi sa philosophie d’une profession psychologiquement éprouvante, mais non moins fascinante. Et débordante de générosité. Mettre en place une dynamique du dialogue, enclencher le rapprochement et susciter les gestes de bonne volonté, voilà en gros les ingrédients fondamentaux de ce qu’on appelle la diplomatie humanitaire. À cheval entre l’art de la négociation – qui suppose des contacts permanents avec les « autorités locales » – et l’engagement humanitaire, le délégué du CICR joue sur les deux fronts et essaye dans la mesure du possible de ressusciter les principes des droits de l’homme que l’on tend à bafouer en temps de conflit. Concrètement, cela revient parfois à négocier des arrangements sécuritaires en vue de récupérer les cadavres réclamés par l’une des parties belligérantes, « comme cela s’est passé au Liban-Sud, où il nous a fallu quatre mois de négociations pour ramener les corps de résistants libanais abandonnés depuis quatre ans », explique-t-il. « Nous ne sommes pas des faiseurs de paix, mais nous œuvrons en vue de trouver une plate-forme entre les parties en présence pour épargner aux populations les affres de la guerre civile », affirme M. Fournier. Autrement dit, c’est la protection de l’être humain qui est au centre de leurs soucis, bien que le moyen pour y parvenir soit « le politique ». « C’était le cas par exemple lors de la libération, en avril 2000, des 13 Libanais détenus en Israël. Nous étions certes les facilitateurs, mais il a fallu pour cela une décision du tribunal israélien », dit-il. C’est d’ailleurs l’humanitaire qui sert souvent de pont entre les parties et contribue au rapprochement entre les politiques. C’est ce que tente de faire cet homme depuis de longues années, depuis 1979, date du début de sa première mission au Liban, la première aussi au sein du CICR. C’était à l’époque de la guerre civile, où il fallait négocier le cessez-le feu, ramasser les morts et aider les familles dispersées à se retrouver. Une fonction dont le pendant médical n’en était pas moins vital pour les populations locales : création de dispensaires, construction d’hôpitaux, distribution de médicaments, bref tout ce qui peut rendre les conditions de vie moins pénibles. Que lui reste-t-il de cette époque ? Y a-t-il un souvenir précis qu’il aurait retenu de la guerre libanaise ? Henry Fournier répond sans hésiter : « Le spectacle de désolation qu’offrait un jour le village de Knat (Liban-Nord), après 3 jours d’opérations militaires. Et, parmi ces images, celle d’une femme que nous avions retrouvée grâce à ses poules qui s’étaient agglutinées autour du lit sous lequel elle était cachée, les deux jambes brisées. » Un souvenir autrement plus marquant est celui de la fin de l’occupation israélienne et la libération de la prison de Khiam, cette forteresse impénétrable que le CICR avait fini par investir et en humaniser un tant soit peu les conditions de vie. « Nous étions arrivés juste à temps pour recueillir les prisonniers et les acheminer vers la capitale, en opérant un détour par la Békaa, histoire d’échapper en chemin à la confusion qui régnait sur le terrain », raconte Fournier. Bref, un moment, qu’il se contente de qualifier « d’épique », sans jamais dévoiler ses sentiments ou son appréciation de la situation, impartialité oblige. C’est au nom de cette neutralité sacro-sainte du CICR que Henry Fournier sera sollicité quelques mois plus tard par les familles des membres de l’ALS, pour défendre leurs conditions de détention d’autant que la population carcérale avait augmenté de près de 40 %. Un dossier qui sera le « déclencheur du dialogue avec les autorités libanaises » et lui permettra de mettre sur pied le projet de visites des prisons libanaises, qu’il demande à effectuer « selon les critères » définis par la Croix-Rouge internationale. « Nous ne pouvions pas réclamer la visite des seuls détenus de l’ALS, car le CICR ne fait pas de discrimination parmi les prisonniers. Nous avons donc soumis aux responsables libanais une requête pour accéder à tous les lieux où sont incarcérés des civils, y compris ceux qui relèvent du ministère de la Défense », précise M. Fournier. Une victoire sur le cynisme Cela suppose, en termes humanitaires, que les membres du CICR puissent rencontrer les prisonniers individuellement et sans la présence de témoins, se rendre partout où ils le veulent et recueillir toutes les informations sur les conditions de vie en milieu carcéral. Une initiative qui a été favorablement accueillie par les responsables concernés – le président de la République, les ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense – qui ont tous signé en octobre dernier un décret autorisant l’organisation internationale à visiter toutes les prisons sans exception. « Malheureusement, il n’y a pas eu de suite à cette décision, le décret n’ayant jamais été mis en application depuis sa parution. Le problème réside au niveau de l’armée qui semble avoir une lecture tout à fait différente de la nôtre et même de celle des ministres signataires ainsi que du président de la République », confie le délégué, dans un langage tout à fait diplomatique. Pour le délégué du CICR, le message est on ne peut plus clair : le règlement de cette question – qui suppose que l’institution récalcitrante se soumette à la décison prise – ne peut que donner une image positive du Liban, du moins « en ce qui concerne la disposition des responsables à améliorer les conditions de détention et le traitement des détenus ». C’est d’ailleurs un des dossiers les plus fondamentaux qu’il aura à léguer à son successeur, sans oublier bien entendu celui des soldats israéliens « faits prisonniers » par le Hezbollah lors d’une opération au Liban-Sud, en octobre 2000. Une autre difficulté que le CICR n’a pas pu aplanir jusque-là, n’ayant jamais été autorisé à avoir accès à ces prisonniers. « Je regrette de n’avoir pas réussi à convaincre le Hezbollah d’un meilleur respect des règles de base du droit international humanitaire en ce qui concerne les prisonniers israéliens qu’il a capturés », commente M. Fournier Si la question des prisonniers se trouve au centre des préoccupations de la Croix-Rouge internationale, comment se fait-il que le CICR n’a pas été sollicité dans le cas des Libanais portés disparus et dont certaines des familles affirment qu’ils sont toujours détenus en Syrie ? « Depuis Taëf, ce dossier relève directement des autorités libanaises qui ont mis en place des commissions officielles. Dès lors, il était de la compétence du gouvernement de nous inviter à coopérer avec lui. Or, cela n’a pas eu lieu », fait remarquer le responsable du CICR, en rappelant au passage que plusieurs parlementaires avaient soumis en 2000 une requête en ce sens, réclamant une plus grande implication du CICR. « Depuis, personne ne nous a contactés », note de manière laconique M. Fournier. Éludant les analyses politiques, qui ne sont pas, dit-il, du ressort du CICR, le délégué rappelle avec insistance que le plus important reste de trouver un moyen de permettre aux familles de faire leur deuil, par l’obtention d’informations plus crédibles. « Cela doit se faire dans un contexte de réconciliation. Un pays ne pourrait parvenir à la paix s’il occulte le sort de plusieurs milliers de victimes», commente-t-il. Henry Fournier, qui a sillonné les points les plus chauds du monde – Cambodge, Indonésie, Afghanistan, Pakistan, Gaza, Zaïre etc. – et témoigné au quotidien de la cruauté des hommes, aura marqué une victoire sur le cynisme, cette maladie ravageuse qui gagne les âmes de nombreux délégués au sein du CICR. « Elle prend sa source dans le prétendu respect que l’on doit au pouvoir en place qui malheureusement est souvent incarné par des autorités en faillite dans des pays déchirés par les conflits. » Un cynisme que nourrit également la vue de scènes d’horreur qui sollicitent « une capacité à dédramatiser ». Des moments de frustration, il en a certes connus sans jamais abdiquer. « Mais, même lorsque l’on a l’impression d’être dans une impasse, on peut toujours faire quelque chose et confondre le bluffeur. Celui qui ne respecte pas les droits de l’homme ne peut être un vainqueur, c’est un bluffeur », conclut cet humaniste. Jeanine JALKH
Il est de ceux qui détestent se retrouver sous les feux de l’actualité. Le délégué du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) a une obligation de discrétion que lui dicte la déontologie même de son métier. Tel un équilibriste, il jongle entre les subtilités de la politique et les exigences de sa mission humanitaire qui est son objectif ultime. Œuvrant en milieu...