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Le bras de fer se poursuit entre les avocats et le ministère de l’Intérieur Nouveau mouvement de grève décrété par les barreaux de Beyrouth et de Tripoli (photo)

Le conflit qui oppose depuis deux semaines les Forces de sécurité intérieure à l’Ordre des avocats s’est-il transformé en épreuve de force ? C’est en tous les cas ce qui ressort à la suite des incidents survenus hier au Palais de justice de Baabda, où les avocats ont été soumis à des mesures de sécurité renforcées, couplées de scènes d’humiliation qui ont culminé par une altercation violente avec l’un d’entre eux. Ces développements sont d’autant plus étonnants que les avocats s’attendaient, au contraire, à une suppression pure et simple des opérations de fouille imposées à l’entrée des Palais de justice. Une décision prise jeudi dernier, au cours d’une réunion élargie, qui avait regroupé le ministre de la Justice, le président du CSM, le procureur général, le directeur de l’Inspection judiciaire et des deux bâtonniers de Beyrouth et du Liban-Nord. À l’issue de cette réunion, les participants, respectivement Samir el Jisr, Tanios Khoury, Adnane Addoum, Tarek Ziadé, Raymond Chédid et Khaldoun Naja, étaient parvenus à un accord selon lequel les avocats devaient, à partir de lundi (hier), simplement présenter leur carte de membre, sans être contrôlés par les forces de l’ordre. C’est d’ailleurs à la suite de cette décision que les bâtonniers avaient décidé de suspendre leur grève, qui avait duré cinq jours en tout. Au lieu de cela, en arrivant lundi au Palais de justice de Baabda, les avocats ont découvert avec surprise que non seulement le nouvel accord n’était pas entré en vigueur, mais que les anciennes mesures de sécurité ont été renforcées pour l’occasion. Pour certains, il s’agit clairement d’une provocation. « Nous avons mis exactement deux heures ce matin pour pouvoir arriver à l’entrée du Palais. Plusieurs d’entre nous avaient déjà raté leur audience », raconte l’un des avocats. « Le plus grave, dit-il, c’est la façon dont les FSI nous ont traités. Tout est passé au crible : les sacs à main, les attachés-cases et même les stylos. Vous vous imaginez un peu ce que c’est que de dévisser le stylo de chaque avocat ? », s’indigne le juriste. « Ils s’en sont même pris aux femmes, à qui l’on a demandé d’enlever la ceinture », lance un autre. Entre-temps, la tension est montée d’un cran. Debout sous une pluie battante, les avocats, qui protestaient contre ces mesures extrêmement contraignantes, se sont impatientés. Des bousculades ont eu lieu et un des avocats sur place a été poussé et insulté par les FSI. Ces derniers ont alros fermé la porte d’entrée principale, interdisant ainsi aux avocats l’accès au Palais. Alerté, le conseil de l’Ordre de Beyrouth a immédiatement décidé la suspension des audiences à Baabda. Une heure plus tard, les membres du conseil siégeaient à Beyrouth, en présence notamment du bâtonnier de Tripoli – les membres du conseil de l’Ordre du Liban-Nord ont été joints par téléphone durant la réunion –, et du secrétaire général de l’Ordre, Mohammed Chéhab, qui représentait le bâtonnier de Beyrouth, en voyage pour quelques jours. « Nous nous sommes réunis en toute urgence pour stigmatiser le renforcement des mesures de sécurité qui ont eu lieu ce matin aux Palais de justice », a affirmé Me Naja qui n’a pas caché son étonnement de voir que les « mesures » décidées jeudi dernier n’ont pas été appliquées. Dénonçant l’humiliation subie par ses confrères « à Baabda mais également à Beyrouth et à Tripoli », Me Chéhab a souligné que des contacts ont été effectués avec les responsables pour trouver une solution. Mais que s’est-il exactement passé depuis la réunion de jeudi dernier ? Le ministre de la Justice, Samir el Jisr, a-t-il informé le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, de l’accord auquel sont parvenus les participants ? « C’est le ministre de la Justice qui devait en principe entrer en contact avec le ministre de l’Intérieur, plus précisément avec le ministre de la Défense (Khalil Hraoui), qui assure l’intérim en l’absence du ministre concerné. Nous ne savons pas ce qui s’est passé exactement », a indiqué Me Chéhab. Du côté des FSI, on affirmait qu’aucune directive n’a été donnée par le ministère de l’Intérieur pour supprimer les mesures de sécurité prises à l’encontre des avocats. « Au contraire, affirme une source proche des FSI, nous avons reçu une note administrative stipulant un renforcement de ces mesures. » À la question de savoir s’il y a eu coordination entre les deux ministères (de la Justice et de l’Intérieur), une source proche de l’Ordre a affirmé tout ignorer à ce sujet. « Tout ce que nous savons, c’est qu’il ne s’agit pas d’une affaire politique. En tous les cas pas à notre niveau en tant qu’avocats. Pour nous, il s’agit d’ une question purement professionnelle : nous voulons exercer notre métier tranquillement. Or, dans ces conditions, il nous est impossible de le faire », dit-il. En début de soirée, les deux conseils de l’Ordre, de Beyrouth et de Tripoli – qui n’avaient vraisemblablement pas obtenu de réponses à toutes ces questions – se sont réunis pour la seconde fois et ont décidé de relancer la grève pour trois autres jours à partir d’aujourd’hui. Réunis devant le bureau du bâtonnier, plusieurs avocats sont venus exprimer leur solidarité avec le conseil de l’Ordre. Si, pour les uns, il est nécessaire de relancer la grève, pour d’autres, il faudra désormais recourir à l’escalade, « la grève n’ayant apparemment pas servi à grand-chose ». « Plus l’Ordre des avocats fait preuve de fermeté et de détermination, plus les mesures de sécurité sont renforcées », constate un avocat. Il cite pour preuve ce qui s’est passé la semaine dernière au palais de Baabda auquel on accédait grâce à trois portes d’entrée : une pour les civils, une autre pour les avocats et une troisième pour les juges. « Lorsque la grève a été décrétée par l’Ordre (lundi dernier), deux des trois portes ont été fermées, rendant l’accès au Palais encore plus difficile », poursuit le juriste. À la question de savoir qu’est-ce qui pourrait justifier une telle réaction de la part des FSI, un avocat répond : « Je ne crois pas qu’il s’agit d’une simple question de mesures de sécurité. Peut-être le pouvoir cherche-t-il à mettre au pas l’Ordre des avocats qui, traditionnellement a toujours été le grand défenseur des libertés publiques. » Me Rafic Ghanem ne partage pas son avis. « On ne peut pas parler de défi ni d’épreuve de force avec le gouvernement. Il y a eu erreur, c’est tout. Il s’agit de la rectifier. » Pour Me Ghanem, les exigences de sécurité – dont les avocats ne contestent pas le principe – ne sauraient cependant se faire au détriment de leur dignité et du bon fonctionnement de la justice. « Comment voulez-vous qu’un avocat, qui fait la queue sous la pluie pendant des heures aux côtés de son client, puisse conserver son prestige une fois au tribunal ? », s’interroge-t-il. En attendant que M. Jisr – injoignable hier – sorte de son mutisme pour mettre au clair ce qui s’est passé, les palais de justice seront à nouveau désertés cette semaine par les avocats. Jeanine JALKH
Le conflit qui oppose depuis deux semaines les Forces de sécurité intérieure à l’Ordre des avocats s’est-il transformé en épreuve de force ? C’est en tous les cas ce qui ressort à la suite des incidents survenus hier au Palais de justice de Baabda, où les avocats ont été soumis à des mesures de sécurité renforcées, couplées de scènes d’humiliation qui ont...