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Interview - Pour « L’Orient-Le Jour », le ministre de la Culture dresse un bilan de 2002 et prévoit 2003 Salamé : Que le gouvernement à venir soit plus représentatif et plus soucieux de sa tâche

C’est indéniablement l’un des hommes dont 2002 au Liban se souviendra. Parce qu’il a été l’artisan de la réussite des sommets arabe, en mars, et francophone, en octobre. Parce qu’il est en train de construire, jour après jour depuis qu’il est en charge de son portefeuille, chantier après chantier (le dernier en date, lié à l’industrie culturelle, est un véritable défi, qui boostera sans aucun doute l’emploi – notamment chez les jeunes), un véritable ministère de la Culture. Parce qu’il a été l’auteur, toujours en 2002, de cette phrase que devrait faire sienne chaque homme, chaque femme, de ce pays, plutôt que de se lancer dans de forts douteux et un peu vains lavages de cœurs : « Le dialogue n’est pas une alternative au combat, mais une véritable forme de combat ». Ghassan Salamé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est l’un des rares ministres qui continuent, en ces temps de rumeurs et de castings gouvernementaux, de s’exprimer. Il ne sait pas s’il fera partie de la nouvelle cuvée Hariri, mais ça ne l’empêche absolument pas de continuer à travailler et à dormir. Sauf qu’on le verrait bien, par exemple, cumuler dans un éventuel futur cabinet la Culture, l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur. En attendant, il dresse, pour L’Orient-Le Jour, un bilan (mi-figue, mi-raisin) de cette année écoulée, et se lance dans quelques expectatives pour 2003. Pour le ministre de la Culture, cinq événements majeurs ont rythmé 2002 au Liban. Pas de Top5, mais un ordre chronologique : ça commence par la fin mars, avec le Sommet arabe. Même en l’absence de la moitié des chefs d’État ? « Oui. C’était un événement important pour trois raisons. D’abord, le fait qu’il se soit tenu, malgré les oppositions internes (Nabih Berry) ou extérieures. Il était important de dépasser les états d’âme, les rivalités. Puis il y a eu la réconciliation saoudo-irakienne, douze ans après. Même si c’est la guerre qui dira si elle durera ou pas. Et le retour des inspecteurs de l’Onu en Irak s’est également initié à Beyrouth, pendant le Sommet. » Last but not least, les Arabes, qui n’avaient jamais réussi à définir vraiment les conditions minima d’un accord avec Israël, l’ont fait, avec le plan Abdallah. « Grâce à l’Arabie saoudite, grâce à l’enthousiasme des uns ou la résignation des autres – certains grands absents par exemple. Six mois plus tôt, avec le 11 septembre, c’était le coup de massue pour les Arabes. À Beyrouth, ils ont donné l’impression, ou l’illusion, qu’ils étaient capables de prendre l’initiative. » Et même s’il y a eu, selon Ghassan Salamé, un véritable déficit dans le suivi, c’était un sommet important. « Il y a eu un esprit de Beyrouth – un mélange de franchise et de civilités. Cette phrase n’est pas de moi, je l’entends dans les capitales arabes », sourit-il. Le Liban doit être « gourmand » Second événement, toujours par ordre chronologique, « et au Liban, j’ai l’impression qu’il est sous-estimé » : la signature, en juin au Luxembourg, de l’accord de partenariat euro-méditerranéen. « La Turquie et la Tunisie ont donné un véritable coup de fouet à leur économie par un usage intelligent et agressif de cet accord. » Ghassan Salamé souhaite que le Liban soit un partenaire « gourmand » de l’Europe. Parce que l’accord en question ouvre beaucoup d’opportunités, « et pas uniquement pour vendre plus de tomates en Hollande. Il y a une pléthore de dossiers à activer – judiciaire, culturel, pédagogique, commercial, industriel... Tout dépend de notre appétit. Ceux qui ont été gourmands en ont tiré le maximum. Si le Liban se contente des hors-d’œuvre, ce serait bien dommage pour nous. » Qu’on se le dise. Le troisième événement majeur de 2002 au Liban, c’est l’affaire du Wazzani. « C’est très important. Nous avons pris la peine d’expliquer, et nous avons pu obtenir notre eau sans qu’un coup de feu ne soit tiré. C’est la panique des Européens et l’opposition de prime abord des Américains qui nous a poussés à mettre en avant nos bons arguments. » Quatrième événement – et toujours dans l’ordre chronologique : c’est le Sommet francophone d’octobre. « Nous avons dépassé la déception de 2001, cette espèce de fatalisme, comme quoi nous ne réussissons rien au Liban. Eh bien, le succès diplomatique a été énorme – personne n’avait réuni autant de chefs d’État et de gouvernement auparavant – ; la déclaration de Beyrouth a été acceptée, avec les points que l’on sait, par tous ; on a donné une toute autre image du Liban. » Bref, en un mot comme en cent, le sommet a été « tout bénéf » pour le pays et a permis d’accélérer et de réaliser Paris II, le cinquième événement majeur de l’année. Ghassan Salamé dixit. Déficit 0 en 2006, et le défi de 2003 Paris II. « Un des plus grands de 2002, sinon le plus important. » Ce n’est pas de l’aspirine ? « Ce n’est absolument pas de l’aspirine. C’est la correction d’un vieux tort fait au Liban. Vous savez, il y a une espèce de règle tacite qui veut qu’à chaque fois que deux belligérants s’embrassent sur la bouche, la communauté internationale leur donne une récompense. Les Kosovars ont eu 3 milliards de dollars, les Bosniaques 5, on en a promis 11 aux Afghans. Idem pour les Ivoiriens s’ils faisaient la paix. Nous, nous avons fait Taëf, et tout juste après, nous avons joué d’une malchance terrible. Trois mois après le sommet de Bagdad et les promesses d’aides financières arabes, il y a eu l’invasion du Koweït. » Pour le ministre de la Culture, Paris II a été le résultat d’un travail acharné de deux ans. Beaucoup d’actions de préparation ont été faites au Liban, « comme la réduction massive du déficit, qui est passé de 51 % en 2001 à 42 % en 2002, jusqu’à 25 ou 26 %, je l’espère, en 2003. Il y a eu également l’apparition, au cours du troisième trimestre, d’un surplus primaire dans le budget – et c’était une des conditions de Paris II. » Un surplus que l’on doit à une contraction des dépenses et à la TVA. « Une mesure plus que primordiale, la TVA. Elle a généré 800 millions de dollars, en permettant la transformation d’une fiscalité archaïque sur les importations en une fiscalité plus moderne, plus égalitaire, sur l’activité économique. On aurait dû le faire il y a vingt-cinq ans. » On l’aura compris : Paris II sera venu à la rencontre des Libanais en leur permettant de souffler un peu. « Sauf que fin 2002, un petit miracle a eu lieu : la chute brutale des taux d’intérêt bancaires, de 14 à 7 %. Sans cela, pas de relance économique. » Pour Ghassan Salamé, ces cinq événements sont inter-reliés. Et l’un a entraîné l’autre. Et ce constat, à l’issue de ce quintet : « 2002 a été une bonne année pour le Liban. » Sur le court, le moyen, ou le long terme ? « Les trois. D’autant plus que pour 2003, nous avons à faire face à un nouveau défi. En 2001 et en 2002, nous étions sous la menace d’un énorme rocher qui pouvait s’abattre sur nous à n’importe quel moment. Ce qui a impliqué une gestion strictement financière et fiscale, jusqu’à Paris II. Et on peut désormais envisager un déficit 0 en 2006. » Vraiment ? « C’est crédible, oui. À condition qu’on ne se considère plus comme étant un pays pétrolier, et qu’on n’agisse plus comme si la paix prévalait et qu’on dépense les dividendes de cette paix alors qu’elle n’a même pas été signée. » Les hariro-sinioriens apprécieront. « Le défi pour 2003, c’est de mettre de côté cette (bonne) gestion financière et fiscale et de s’appliquer dans une gestion purement économique. C’est une priorité. » Le Premier ministre en est conscient ? « Oui. » C’est quoi une gestion économique ? « Il faut réétudier tous les engagements déjà pris, et voir ce qui serait le plus créateur d’emplois et le plus producteur de plus-value. Il faut un travail de discrimination, il faut cibler les projets, les bons projets. Nous sommes en phase de convalescence sur quatre ans, et l’objectif n° 1 est d’arriver à une croissance de 3 à 4 %. » Les failles sécuritaires Revenons un peu sur ce dont s’enorgueillit le pouvoir depuis au moins trois ans : l’ultra-sécurité du pays. Or l’année 2002 a connu plusieurs gros points noirs qui ont dynamité la belle assurance des tenants du régime : l’assassinat de Hobeika, celui des SR de l’armée à Aïn el-Héloué, la tuerie de l’Unesco, le crime à la caserne de Dékouané, la tentative de meurtre contre le juge Nachar... « Le bilan est un peu contrasté. D’un côté, l’organisation de deux très gros événements (les sommets) sans qu’il n’y ait une seule gifle administrée – c’est la confirmation de la macro-sécurité du pays – et de l’autre, de très sérieuses failles au niveau micro-sécuritaire. » Il y a complot, comme se plaisent à le préconiser plusieurs voix ? « Je ne sais pas. Je n’ai pas toutes les informations pour répondre. Mais il y a plusieurs sources à cette insécurité. La récession économique (mais cela est gérable avec la croissance), les résidus tribaux (la récente vendetta dans la Békaa), et – c’est la plus inquiétante des trois – la confessionnalo-religieuse. Cela est lié soit à l’extrémisme religieux soit à des sentiments confessionnels exacerbés. C’est le cas en Jordanie, en Égypte, au Yémen, en Algérie. » Est-ce qu’il y a un lien entre les trois incidents de l’Unesco, de Dékouané, et du Palais de justice ? « Il y a un sentiment confessionnel diffus, alimenté par une mauvaise situation régionale, qui met l’islamisme en situation d’accusé. Certains individus appliquent inconsciemment ce vieil adage selon lequel “on punit au Moyen-Orient qui on peut et pas qui on veut”. Ainsi, leur violence contenue, loin de se diriger contre l’État, explose contre le voisin. C’est le propre d’une société incertaine sur son avenir, et en état de panique. Quant au discours d’Ahmed Mansour (le tueur de l’Unesco), il prouve une nouvelle fois que si ce pays a décidé d’éradiquer les traces physiques de la guerre (c’est le chantier des infrastructures), il ne fait aucun effort au niveau des mentalités (la superstructure). » Le Conseil des ministres En 2002, comme en 2001 (avec le putsch contre le Parlement et l’affaire du code de procédure pénale), les institutions ont été sans cesse dynamitées. Cette année, c’était au tour du Conseil des ministres. « Le Conseil des ministres, au Liban, est malade de quelque chose de très particulier. D’abord, c’est, par définition, un gouvernement de cohabitation. Deuxième problème : c’est une cohabitation multiple. On fait cohabiter le résultat des élections de 1998 avec celles de 2002, un président chrétien avec un Premier ministre musulman, des velléités de régime présidentiel avec un texte constitutionnel basé sur un régime parlementaire. Et pire que tout : il y a d’un côté le morcèlement socio-confessionnel du pays, et, de l’autre, l’inexistence de partis politiques solides. Le Conseil des ministres doit refléter le Parlement, et, à la fois, appliquer l’article 17 de la Constitution. Là, cohabitent deux principes complémentaires : la représentation et l’exécution. Au Liban, nous avons tendance à passer d’une extrême à l’autre. Le gouvernement Hoss a voulu être un gouvernement d’exécution, puis nous avons eu, en 2000, un gouvernement des Trente ultrareprésentatif. Je souhaite aujourd’hui que le nouveau gouvernement soit un peu plus représentatif que celui de 1998, et un peu plus soucieux de sa tâche que celui de 2000. » Le gouvernement idéal serait un gouvernement d’environ vingt ministres, ce qui correspond, précise Ghassan Salamé, au nombre de portefeuilles existants. Et les lavages de cœurs ? La troïka, les doïkas ? « Voilà les symptômes de la maladie organique de l’institution, et non pas les signes de complots individuels. Le système n’a pas encore produit les coutumes nécessaires à sa propre stabilité. » Est-ce que les différents responsables font tout pour ? « Il faut que chacun connaisse la limite des règles du jeu. » Justice et économie Et la justice ? A-t-elle existé en 2002 ? « Le troisième pouvoir a reçu des coups, dans pratiquement tous les cas où il était en contact avec le politique. L’ensemble de l’affaire du Metn n’a pas renforcé l’image du Conseil constitutionnel, loin de là. L’affaire MTV n’a pas été gérée d’une manière convenable. La Cour de cassation a dit qu’il s’agissait bien d’un cas conflictuel et qu’il fallait écouter la chaîne de télévision. Un des problèmes de ce pays est qu’ici, on pense pouvoir impunément jouer avec la justice, la manipuler. Or, l’évolution récente trahit quelque chose de très inquiétant : un lien insoupçonné, mais d’une force inouïe, entre la justice et l’économie. Hier, un investisseur étranger s’inquiétait du prix de la main-d’œuvre. Aujourd’hui, la première question posée par cet investisseur est la suivante : “comment va votre système judiciaire ?”... » Mal. Très mal. « Malheureusement, nous vivons dans un monde où l’on ne peut plus rien cacher à personne. Et le premier des remèdes serait une conscience nette chez les dirigeants que celui qui trafique avec la justice freine, voire arrête, la relance économique. Or, je vois peu de politiciens faire cette connexion. » Ghassan Salamé s’est arrêté longuement sur les jeunes, pour lesquels il travaille en permanence, loin des spots ; sur l’illégalité de la décision de fermeture de la MTV ; sur l’importance et l’urgence d’une loi électorale avec une tolérance zéro pour la triche et les ingérences ; sur le fait que démocratie et libertés sont comme une plante de salon : elles ne vivent pas sans entretien, et qu’en 2002, « on n’a pas suffisament entretenu » ces deux concepts régulièrement foulés aux pieds ; il s’est réjoui que les élections du Metn aient prouvé qu’il pouvait y avoir des batailles capables de ramener des milliers de jeunes à en finir avec un boycottage de plus de dix ans. Ghassan Salamé a en outre indiqué comprendre celles et ceux qui parlent de syrianisation du pays, « mais en 2002, il y a eu un redéploiement substantiel ». Et la tutelle ? « Je ne veux pas parler de syrianisation. Au cours d’un discours récemment à la Ligue arabe, j’ai évoqué ces mots que j’entends souvent au Liban : “plus ce pays s’arabise, moins il se démocratise”. Il y a là quelque chose de grave. J’ai ajouté, au siège de la Ligue, que ces gens-là n’ont pas nécessairement tort. Il y a une vieille brouille entre arabité et démocratie, et il faut que cela cesse. » Enfin, Ghassan Salamé parle de ces Américains, en escale à Beyrouth dans le cadre d’une tournée régionale. « “Dans toutes les capitales arabes, on nous parle de problèmes régionaux, de considérations à large échelle. Pourquoi lorsque l’on arrive au Liban, vous n’évoquez que des problèmes purement libano-libanais ? Pourquoi vous êtes devenus ennuyeux ?” Voilà ce que j’entends. Et une des conditions préalables à l’émancipation politique du Liban, à la fin de cette tutelle syrienne que vous évoquez, c’est qu’il mette un terme à son narcissisme. Que le Liban se considère comme partie prenante dans ce qui se fait, se décide dans le monde. Nous nous sommes infantilisés, nous avons perdu l’ambition de la vision globale. Cela fait mal quand on entend cela dans la bouche d’un Américain. » C’est un peu la conséquence de la tutelle syrienne, non ? « Certes. Mais rien n’empêche les non-politiques de voir plus loin que le bout de leur nez. » Ziyad MAKHOUL
C’est indéniablement l’un des hommes dont 2002 au Liban se souviendra. Parce qu’il a été l’artisan de la réussite des sommets arabe, en mars, et francophone, en octobre. Parce qu’il est en train de construire, jour après jour depuis qu’il est en charge de son portefeuille, chantier après chantier (le dernier en date, lié à l’industrie culturelle, est un véritable...