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Justice - Le premier juge d’instruction a publié l’acte d’accusation dans l’affaire du tueur du Palais de justice Khalil Sinno aurait agi individuellement, par souci de vengeance contre la magistrature

Deux semaines après la tentative d’assassinat du juge des référés Fadi Nachar, en pleine salle du tribunal, le premier juge d’instruction de Beyrouth Hatem Madi a publié l’acte d’accusation, requérant entre dix et vingt ans de travaux forcés contre l’inculpé Khalil Sinno et affirmant que l’enquête a montré qu’il s’agissait d’un acte individuel, sans aucun lien avec des groupes ou rassemblements politiques ou religieux. Après la tuerie de l’Unesco et les tirs à la caserne de Dékouané, il peut paraître difficile de croire à un simple incident, motivé par le sentiment d’injustice d’un détenu particulièrement démuni et désireux de se venger. C’est pourtant ce que déclare le procureur Adnane Addoum, qui a supervisé l’enquête et qui explique que « les magistrats sont les premiers concernés par cette affaire. Toutes les pistes ont été creusées et les enquêteurs ont fait un excès de zèle pour justement ne laisser aucune place au doute. Les investigations montrent une affaire purement individuelle ». Et si demain au tribunal, l’inculpé lance une bombe similaire à celle d’Ahmed Mansour, qui a affirmé avoir tué 11 de ses collègues pour des raisons confessionnelles ? L’acte d’accusation publié hier n’évoque aucune possibilité de ce genre, expliquant au contraire que les investigations menées dans toutes les directions ne permettent absolument pas de se lancer sur ce genre de piste. Un rapide rappel des faits s’impose : le 23 décembre, vers dix heures, Khalil Sinno tire sur le juge des référés Fadi Nachar en pleine salle de tribunal. Alors qu’il cherche à s’enfuir, il est arrêté par les forces de l’ordre et interrogé dans les plus brefs délais. Avant d’être mis aux arrêts, Sinno lance aux journalistes : « Si je parle, je suis un homme mort », semant le doute dans les esprits. Toutes les pistes sont creusées L’acte d’accusation occulte cette phrase et dans les coulisses du Palais de justice, on considère que l’inculpé a dû la lancer pour faire son petit effet, mais les investigations n’ont pas permis de trouver la moindre piste dans ce sens. Selon l’acte d’accusation, Khalil Sinno appartient à une famille très pauvre et vit dans une masure avec ses deux frères et sa sœur, depuis la mort de son père et le remariage de sa mère. En 1992, il se rend illégalement en Suisse et y reste deux ans, avant d’être rapatrié par les autorités helvétiques. De retour au Liban, le jeune homme décide de se spécialiser dans les vols et les opérations frauduleuses. Arrêté, il a été condamné à 5 ans de détention, qu’il a purgés entre la prison de Jbeil et celle de Roumié, avant d’être relâché en octobre 2002. Très pauvre, il était chargé en prison de nettoyer les toilettes de l’étage où il se trouvait. Les investigations n’ont pas pu permettre d’établir le moindre lien entre lui et les détenus de Denniyé, ces derniers se trouvant dans le bâtiment des personnes non jugées, alors qu’il se trouvait dans celui des condamnés purgeant leurs peines. Apparemment, c’est en prison qu’il a toutefois commencé à ressentir un profond sentiment d’injustice. Ses compagnons de cellule auraient jeté de l’huile sur le feu, lui disant que 5 ans de détention pour un vol, c’est beaucoup trop. La maladie aidant, sa frustration et son amertume n’ont cessé de grandir. À sa libération, il s’est retrouvé encore plus démuni qu’avant, contraint souvent de se nourrir en fouillant les poubelles. Il a alors décidé de se venger et il a demandé à son ancien complice dans les vols, Mohammed Ghalayini, de lui procurer un revolver de 7 mm, de fabrication tchèque. Il lui aurait dit avoir besoin de cette arme pour tirer le soir du réveillon pour le compte d’une connaissance, moyennant la somme de 50 dollars américains. Une arme en piteux état Ghalayini (arrêté lui aussi) a débrouillé l’arme auprès d’Ali Yahfoufi connu pour ce genre de commerce douteux et également sous les verrous. Le revolver et sa boîte de cartouches coûtent 200 dollars, une somme que Sinno réunit difficilement, après maints emprunts. Il essaye le revolver une première fois et il cale après la première balle, ce qui pousse l’inculpé à vouloir restituer l’arme au vendeur. Mais Ghalayini lui conseille de la nettoyer et elle marche. Khalil Sinno se rend une première fois au Palais de justice de Beyrouth, s’enquérant d’un magistrat en particulier. Mais on lui dit qu’il est à Baabda. Il le suit là-bas et apprend qu’il est désormais à la retraite. Il fait une seconde tentative le 23 décembre et s’enquiert d’un magistrat siégeant. On lui indique le premier étage. Voyant une foule devant la porte du tribunal où siégeait Fadi Nachar, il y entre et la suite des événements est désormais connue, le revolver ayant heureusement calé après la première balle. Interrogé par le procureur de Beyrouth Joseph Maamari et par le premier juge d’instruction Hatem Madi, Khalil Sinno ne nie pas les faits qui lui sont attribués et s’étend longuement sur la misère et l’injustice qu’il a connues en prison. Voulant pousser plus loin les investigations, le juge a convoqué tous ceux qui l’ont connu, son complice, le vendeur, ses compagnons de cellule et toutes les versions concordaient. L’enquête semblait sur le point d’être bouclée, mais ne voulant laisser aucune place au doute, le procureur près la Cour de cassation, Adnane Addoum, a demandé que l’inculpé soit interrogé par les services de renseignements. Il a répété les mêmes déclarations faites devant le juge et toutes les informations ont paru concordantes. De plus, selon les enquêteurs, s’il s’agissait d’un crime organisé, le tueur aurait eu en sa possession une arme en bon état et non pas ce revolver à moitié rouillé. L’enquête a tenu en tout cas à creuser toutes les pistes, quitte à prendre un peu plus de temps que prévu, mais finalement, selon le premier juge d’instruction, la seule conclusion possible est qu’il s’agit d’un acte individuel, dicté par des mobiles purement personnels. L’acte d’accusation requiert donc entre dix et vingt ans de travaux forcés pour l’inculpé principal et des peines minimales pour Mohammed Ghalayini et Ali Yahfoufi qui lui ont, respectivement, acheté et vendu l’arme. Après tout le tapage médiatique et la profonde crise de confiance provoquée par ce grave incident, l’acte d’accusation semble un peu faible, mais un juge interrogé sur ce sujet s’est écrié : « Nous ne pouvons pas inventer des faits pour faire plaisir aux médias et répondre au climat général. Aucun indice n’a permis de pencher vers une autre version. » C’est en définitive le procès qui donnera peut-être la clé de cette étrange histoire au timing plus que dérangeant. Scarlett HADDAD
Deux semaines après la tentative d’assassinat du juge des référés Fadi Nachar, en pleine salle du tribunal, le premier juge d’instruction de Beyrouth Hatem Madi a publié l’acte d’accusation, requérant entre dix et vingt ans de travaux forcés contre l’inculpé Khalil Sinno et affirmant que l’enquête a montré qu’il s’agissait d’un acte individuel, sans aucun...