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Opinion L’aventure judiciaire de la MTV Par Joe KHOURY-HÉLOU Avocat à la Cour

Il était bien normal que la fermeture de la chaîne MTV fasse tant de remous. Non parce qu’elle est de nature à exacerber encore plus les conflits politiques entre loyalistes et opposants ; encore moins parce qu’elle est un des épisodes de la saga familiale du Metn. L’intérêt pour ce genre de considérations s’émousse vite et, au bout du compte, le commun des mortels se moque éperdument de ces histoires. Ce qui est grave, c’est d’avoir compromis si dangereusement la plus importante de nos institutions, la justice. Pour l’observateur, profane ou professionnel du droit, il s’agit d’un imbroglio judiciaire qui a abouti, bon gré mal gré, à ce qui est l’antipode de la mission judiciaire : un déni de justice empêchant un justiciable d’exercer ses droits élémentaires, dont celui de la défense. Voilà donc qu’un tribunal, celui des imprimés, se saisit du dossier de la chaîne MTV qui aurait violé l’obligation de s’abstenir de toute publicité électorale avant le scrutin. D’inspiration française, le texte de l’article 68 de la loi électorale donne, en effet, à ce tribunal le pouvoir d’ordonner la fermeture. Le tribunal a tranché sans entendre aucune défense ; attitude justifiée par le motif que la saisine, et la sentence rendue, rentrent dans le cadre d’une procédure gracieuse, et non contentieuse, deux termes savants qui signifient en gros ceci : – En règle générale, un tribunal tranche un « litige « porté devant lui par un justiciable contre un autre. La procédure suivie exige le respect du « contradictoire », qui impose le déroulement de celle-ci constamment en présence de toutes les parties, avec le droit de chacune de contrer les arguments avancés par l’autre. C’est la procédure dite « contentieuse ». – Et à titre exceptionnel, un juge peut ordonner des mesures, en dehors de tout « litige », à la requête d’une seule partie, et sans « contradictoire », et ce dans les rares cas prévus par la loi. C’est la procédure dite « gracieuse ». – Mais même dans ce dernier cas, les droits de la partie lésée demeurent intacts, puisqu’elle est en droit, a posteriori, de faire opposition contre la sentence gracieuse rendue, auprès du même tribunal. La MTV fit donc opposition. Le burlesque c’est que le même tribunal, mais composé de nouveaux membres en raison de permutations judiciaires subites, a rejeté la demande sur le plan de la forme, au motif que la sentence attaquée n’est pas une sentence gracieuse susceptible d’opposition, mais véritablement une décision contentieuse (qui suppose le principe du contradictoire), la qualification donnée par le tribunal lors de la première phase ne le liant guère lors de la seconde phase. Les décisions du tribunal des imprimés étant susceptibles d’appel auprès d’une des chambres de la Cour de cassation, celle-ci a rejeté à son tour le recours sur le plan de la forme, au motif cette fois-ci que la première sentence de fermeture de la chaîne est non seulement de nature contentieuse, mais que la procédure suivie était bel et bien le déroulement d’un procès pénal, et qu’un jugement pénal n’est pas susceptible d’opposition comme le serait une sentence gracieuse. En vulgaire, la justice du Liban a eu l’air d’achever la MTV, par une mesure prise d’office, pour ensuite l’envoyer paître. En droit, c’est une bourde de nature à faire trembler les murs de toutes les académies de droit du monde. En premier lieu, la recevabilité d’une demande gracieuse, et par conséquent la qualification, relève de l’appréciation du juge saisi. En contrôlant la légalité du caractère gracieux, il va rechercher la loi qui confirme ce caractère. En cas de loi précise et claire, le problème ne se pose pas. En cas de flou, c’est à lui que revient le droit d’interpréter et de qualifier. Pour le tribunal des imprimés, la mesure édictée à l’article 68 rentrait dans cette catégorie. Dès lors, on ne peut se comporter vis-à-vis de la sentence rendue que selon la qualification et la forme décidées par le tribunal, quitte à ce qu’une Cour suprême, à la demande d’une partie qui y a intérêt, ne disqualifie ultérieurement, et ne reprenne la procédure dès la base. Mais dans l’entre-temps, la sentence n’a que la valeur et la force des décisions gracieuses, et le recours contre celle-ci doit inexorablement s’opérer sur ce fondement. C’est le b.a.-ba. Suivre une démarche contraire ressortirait du domaine du hasard et de l’aléa, avec comme toile de fond le bon vouloir du juge. Or, en matière de procédure, les règles doivent être bien définies et strictes. Aurait-on pu imaginer la MTV renoncer à la qualification gracieuse donnée par le tribunal pour faire un recours comme si la décision était de la catégorie du contentieux, par une sorte de devinette aventurière ? Est-ce que la Cour suprême ne l’aurait pas déboutée, lui reprochant cette fois-ci de n’avoir pas respecté la nature de la sentence attaquée, telle qu’explicitement énoncée dans cette dernière ? En second lieu, et au-delà de ces arguties purement techniques, il existe des règles fondamentales qui régissent l’office du juge. Son rôle de catalyseur pour éviter l’arbitraire et assurer la protection des droits fondamentaux, dont la sacralisation du droit de la défense, est une évidence. Autrefois, à l’Institut de la magistrature, on inculquait aux nouvelles recrues les règles d’interprétation des lois, l’ouvrage-clé en la matière de François Gény Méthode et sources d’interprétation devenant une sorte de bréviaire pour les jeunes stagiaires. Deux géants de la magistrature de l’époque, MM. Nassib Torbey et Salim Jahel administraient des cours sur la psychologie judiciaire, sur la base notamment de l’ouvrage de Jacques Nomand Le juge et le litige. « Le juge doit avant toute chose rechercher la justice et l’équité. Vient par la suite la coloration juridique, soit rechercher la règle de droit à appliquer. » C’était, il est vrai, d’autres temps, d’autres hommes.
Il était bien normal que la fermeture de la chaîne MTV fasse tant de remous. Non parce qu’elle est de nature à exacerber encore plus les conflits politiques entre loyalistes et opposants ; encore moins parce qu’elle est un des épisodes de la saga familiale du Metn. L’intérêt pour ce genre de considérations s’émousse vite et, au bout du compte, le commun des mortels se...