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Actualités - ANALYSE

Hariri tient à l'entente avec Lahoud

«Mais bien avant M. Berry, nous affirmions à qui voulait l’entendre que nous n’avions aucune envie de rester là-bas, nous avions fait une conférence de presse en Israël pour refuser ce mot indigne, ce mot horrible, lourd de connotations, ce mot : “réfugiés”. Et M. Berry, avec tout notre respect, ne s’est jamais mis à notre place, le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas. D’ailleurs personne ne le pourrait». Ces derniers mots*, Marie les hurle presque et puis elle se lève. L’odeur du café libanais Elle a envie de faire du café, Marie. Ce geste quotidien, elle a tout fait pour ne pas l’oublier, elle a tout fait pour avoir à portée de main du café turc et un réchaud à gaz dans sa chambre d’hôtel un peu cage dorée à Rosh Hanikra, de l’autre côté de la frontière, «pour ne jamais oublier l’odeur du café libanais». Ses deux jumeaux de 12 ans, Mike et Stéphanie, et puis les deux Joseph, un de ses beaux-frères et son cousin, sont venus s’installer autour de la table du salon. Tout le monde commente les 50 jours de Marie en Israël, de Nazih et de leurs enfants, 50 jours qui ont duré comme 50 ans. Tout le monde a reparlé de cette «tragédie qui soude», cette tragédie qui a uni pour les repas, pour la piscine ou pour les excursions, les familles musulmanes, les familles chrétiennes, les familles druzes. Tout le monde n’en peut plus de l’abandon par l’État, «depuis toujours», du Liban-Sud. «Et de ses habitants…» «Que personne ne doute du patriotisme des gens du Sud, de leur amour viscéral pour leur terre. Je défie quiconque d’avoir vu un autre drapeau flotter aux côtés des couleurs libanaises, et ce au cours des 22 ans de présence israélienne». Joseph, le beau-frère de Marie, n’a jamais été en Israël et Joseph donne en exemple son frère malade, l’époux de Marie resté en Israël. «En 85, je combattais dans les rangs de l’armée à Souk el-Gharb, dans des conditions horribles, pour 20 dollars mensuels, au même moment où l’ALS offrait un salaire cinq fois supérieur. Mon frère a menacé de me tuer si je m’enrôlais dans l’ALS, il m’a dit qu’un membre de la famille, c’était déjà un de trop, il ne voulait pas que je fasse comme lui, il m’a aidé à ouvrir un garage de carrosserie. Personne n’a tenu les armes de son plein gré, personne». Joseph tremble un peu, Joseph aime son pays, il aime son Sud, et même si ses mots restent un peu maladroits, ses gestes sont éloquents. «La seule région où il n’y a eu aucun problème entre des chrétiens et des druzes, des druzes et des chiites, des chiites et des chrétiens, c’est ici, c’est au Sud...». Vivement dimanche... Marie revient, sur le plateau les tasses de café, l’odeur est partout, on a l’impression d’être à la maison. Une question qui brûle les lèvres, comment elle fait pour vivre, Marie, et ses cinq enfants, maintenant que le père est malade, là-bas, et une réponse qui cloue sur place : «Figurez-vous qu’il y a les 400 dollars de pension que l’État continue de verser à mon mari, c’est sa retraite de l’armée». Mais ce n’est pas possible d’y arriver rien qu’avec cela, vous m’aviez dit que votre mari réunissait au bas mot 2000 dollars par mois, non ? Vous n’avez rien économisé ? «Mais vous plaisantez, tout l’argent était dépensé au Liban, il fallait acheter un appartement pour notre fils à Beyrouth, pour qu’il aille à l’université, nous travaillions comme des fous, nous élevions des chèvres, nous voulions éduquer nos enfants, qu’on en soit fiers...» Et Marie qui raconte que justement, ils ont ouvert des écoles, là-bas, en Israël, pour ne pas priver les enfants exilés de l’indispensable éducation. «Il y avait des enseignants libanais qui ont fui avec nous, ils leur dispensaient les cours, les livres de classe venaient même du Liban». Mike et Stéphanie sourient, ils savent déjà qu’eux aussi, ils vont pouvoir parler, s’épancher. Comment s’est faite la décision de revenir au bercail ? «C’était dur, tellement dur, j’étais partagée entre mon mari et l’avenir de mes enfants». Elle n’a jamais pensé à elle, Marie, rien qu’à elle ne serait-ce que l’espace d’une minute ? «Jamais. Je donnerai mon sang pour mon mari et j’ai tout sacrifié pour lui et je continuerai. Bref, j’ai fait la demande un mercredi aux autorités locales, pour sortir d’Israël. J’ai obtenu l’accord dimanche matin et dimanche après-midi, je rentrais seule au Liban, avec mes enfants, grâce à l’Onu que les Israéliens ont contactée». Et qu’est-ce qui s’est passé ? «On est venus nous chercher, les renseignements de l’armée, on nous a emmenés au port de Naqoura, on m’a posé un tas de questions, pourquoi je suis revenue, comment, tout ce que j’ai fait là-bas. On m’a demandé si mon mari avait décidé de voyager, de partir pour l’étranger, j’ai répondu que non. Je n’ai dit que la stricte vérité, j’ai dit qu’il ne voulait pas partir en Amérique, qu’il ne voulait pas rester en Israël, que tout ce qu’il voulait, c’était revenir au Liban…» Embrasser les murs de sa maison La première chose que Marie a faite, c’était de retrouver sa maison, à Rmeich. Elle y pensait à ça, là-bas, au cours de ces interminables journées passées dans sa chambre d’hôtel, elle y pensait à cet instant où elle allait ouvrir la porte de son chez-elle ? «Embrasser les murs de ma maison, je ne pensais qu’à ça». C’est quoi la première chose que vous avez faite ? «Des spaghettis… Ce n’est pas que la nourriture israélienne est mauvaise, simplement les enfants ne mangeaient pas beaucoup, ils n’y étaient pas habitués…» Et les enfants partagés, déchirés entre le bonheur de retrouver leur lit, leurs amis, leurs terrains de jeu, et leur papa laissé là-bas, de l’autre côté de la frontière. C’était comment Mike, là-bas ? «C’étaient 50 jours d’ennui, même si on allait à la piscine, au Luna Park… J’ai appris à pêcher à la ligne, je suis un bon pêcheur maintenant.» Et à l’école, ça se passait bien, vous avez fait la connaissance d’autres enfants ? «Oui, on a connu des enfants juifs, et il n’y a pas eu de problèmes, on jouait au football, au basket». Qu’est-ce qu’il n’oubliera jamais, Mike ? «Cette nuit où nous sommes partis, il y avait 6 000 personnes assises par terre et les petits enfants enveloppés de couvertures». Marie sourit au chiffre évoqué par Mike, elle le corrige, «c’était juste 2000, habibi». Stéphanie, elle, parle de «quand on nous a réveillés, habillés et montés là-haut, et toutes ces couvertures sur la route et les enfants qui pleuraient et les mamans…» Marie sourit, Mike et Stéphanie, presque naturellement, sont venus se mettre debout, derrière le fauteuil de leur maman. «Vous savez, je leur ai dit que nous allions voir tante Suzanne, ma sœur qui est installée là-bas, nous étions à des années-lumière de nous imaginer que les hôtels étaient déjà prêts… Mon Dieu, comme une mère ça peut hurler...» Nous demandons au frère aîné, Bassem, si la tentation de rejoindre sa famille ou l’envie de soutenir sa maman ne l’ont jamais effleurées. Bassem regarde Marie avec toute la tendresse du monde et son rire vient exorciser l’émotion, la calmer : «Tu plaisantes, au moins j’étais tranquille sans elle...» Bassem explique simplement qu’il ne voulait pas rater ses examens de l’université, que cela n’aurait servi à rien, qu’il savait que ses parents préféraient de loin qu’il assure son avenir. «Oh oui, j’ai envie d’aller rejoindre mon père, j’en crève d’envie, et le soutenir...» Du travail et l’amnistie Comment pense-t-elle pouvoir se réinsérer, Marie ? Qu’est-ce qu’elle demande à l’État ? Que ce soit Marie, son beau-frère ou le cousin, aucun ne veut répondre à cette question – sachant qu’ils ont fait de leurs revendications à l’État leur leitmotiv – avant de parler du président de la République. Ils en ont gros sur le cœur, tous… Dans tous les cas, il n’est pas inutile de rappeler que le chef de l’État tient lieu d’idole locale au village de Rmeich. «Si le général Lahoud, à la place de cheikh Nasrallah, avait parlé d’amnistie et de peines légères, vous pouvez être sûrs que tout l’ALS aurait combattu les Israéliens…» Pourquoi vous l’appréciez autant, le président de la République, est-ce qu’il vous est possible d’expliquer cet «amour», de le raisonner ? Marie ou Joseph ne veulent rien entendre, «il est certainement sous pressions, mais nous sommes sûrs qu’il travaille, pour nous, les gens du Sud, en secret... Il est beaucoup plus courageux que tous les autres, mais son “heure” n’est sans doute pas encore arrivée. Dans tous les cas, si les hommes du Hezbollah ne s’en sont pas pris à nous lorsqu’ils sont rentrés dans Rmeich, c’est uniquement grâce au général Lahoud...» Ils pourraient en parler pendant des heures, du chef de l’État, c’est à trois reprises qu’il faut leur répéter la question... «Ce qu’on demande à l’État ? Du travail, du travail, du travail... Sans parler des ressources hydrauliques et électriques ! Vous savez que notre eau vient toujours d’Israël, n’est-ce pas ? Dans tous les cas, il est impératif que l’État trouve un palliatif à la prospérité qu’indirectement Israël générait. Et le plus important, c’est que l’armée vienne s’installer sur toute la longueur de la frontière – si l’armée est là et si elle est forte, il n’y aura plus aucun parti, aucune milice, aucun problème». Marie pleine de hargne, de foi : ce qu’elle dit, c’est la vérité, sa vérité... «Et puis l’amnistie pour les ex-membres de l’ALS. La guerre est finie, non ? Et ça, c’est une partie de la guerre. Est-ce qu’on avait emprisonné les miliciens Kataëb et PNL lorsqu’il s’étaient entretués, ou ceux du Hezbollah et d’Amal, pourquoi les membres de l’ALS ne sont pas traités comme eux ?» On a beau leur dire que même si l’on est le plus ardent défenseur d’une justice équitable et clémente, le rapprochement n’est pas très judicieux, ils ne veulent rien entendre. Surtout Marie. Elle la veut vraiment, l’amnistie, Marie, de toutes ses forces, même si quelque part, elle sait pertinemment que le combat est vain. Le courage des oiseaux «S’il y avait un génie qui accepterait de me réaliser trois vœux, là, tout de suite ? Que mon mari puisse revenir, que notre famille soit à nouveau réunie. C’est tout ce que je veux. C’est tout… Jusqu’aujourd’hui, mon plus jeune fils me demande pourquoi j’ai laissé papa tout seul…» Cette femme superbe que n’importe qui aurait envie de prendre dans ses bras et de serrer contre sa poitrine, cette femme a un courage extraordinaire. Elle a le courage des oiseaux, Marie... (*) Voir L’Orient-Le Jour du samedi 30 septembre
«Mais bien avant M. Berry, nous affirmions à qui voulait l’entendre que nous n’avions aucune envie de rester là-bas, nous avions fait une conférence de presse en Israël pour refuser ce mot indigne, ce mot horrible, lourd de connotations, ce mot : “réfugiés”. Et M. Berry, avec tout notre respect, ne s’est jamais mis à notre place, le voudrait-il qu’il ne le pourrait...