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Actualités - OPINION

Majeurs et vaccinés

C’est une démarche en tout point exceptionnelle qu’entreprend depuis quelque temps, avec autant de sagesse que de courage et de détermination, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt : démarche visant au changement, à l’instauration de rapports plus équilibrés entre le Liban et la Syrie, mais aussi entre les familles libanaises elles-mêmes. Ce n’est pas la première fois, certes, qu’une personnalité locale exprime de telles vues devant les plus hautes autorités syriennes, comme l’a fait M. Joumblatt que recevait mercredi à Damas le président Bachar el-Assad. Tout au long de la guerre toutefois, et au gré des sanglants renversements d’alliances, ces initiatives émanaient exclusivement de leaders chrétiens ; une fois la guerre finie, il ne restait plus ou presque de chefs chrétiens vivants, libres, ou simplement admis à résider sur place, pour tenir ce genre de discours. Et encore moins pour le communiquer formellement, en direct, aux responsables de Damas. La totale dépendance des gouvernements de l’après-Taëf, la signature d’accords bilatéraux dans le cadre d’un traité de fraternité et de coopération, la langue de bois érigée en véritable doctrine d’État (doctrine qui a fini par déteindre sur la quasi-totalité de la classe politique libanaise) ne pouvait évidemment qu’exclure, par la suite, toute possibilité de réajustement. Que cette quête de «rééquilibrage», pour reprendre le terme cher à M. Joumblatt, soit aujourd’hui celle d’un druze ne peut qu’attester de l’attachement du peuple tout entier – et pas seulement des chrétiens – à la spécificité, à l’intégrité et à la souveraineté du Liban. Que cette quête soit le fait d’un fidèle allié de la Syrie, d’un pilier du «club» de Taëf, de la figure emblématique de ce camp «islamo-progressiste» que la presse étrangère opposait de manière assez simpliste aux «milices conservatrices chrétiennes», ne lui en confère précisément que plus de crédibilité, plus de poids. Si bien qu’en s’aventurant dans les terres brumeuses de la redéfinition des rapports, Walid Joumblatt fait figure aujourd’hui de brise-glaces, de bulldozer, de dragueur de mines, derrière lequel on voit déjà s’engouffrer, plus ou moins résolument, d’autres libres-penseurs. Qui dit bulldozer, déblayage, débroussaillement ne dit pas forcément toutefois glissement de terrain, éboulements et autres bouleversements géologiques. Même quand il évoque en effet la nécessité d’un redéploiement des forces syriennes stationnées depuis un quart de siècle dans le pays, même quand il se plaint des ingérences des services de renseignements ou bien des incidences incontrôlées de l’afflux de main-d’œuvre et de produits agricoles syriens, Walid Joumblatt continue de se poser en ami et allié indéfectible de Damas. Car, dans le même temps qu’il ouvre la voie, le chef du PSP semble soucieux d’en fixer les limites du moment, compte tenu des lenteurs entravant nécessairement toute volonté de changement en Syrie même. Il montre aux autres jusqu’où on peut aller trop loin, il établit un plafond des doléances à l’intention et à l’usage des forces politiques ouvertement hostiles à l’hégémonie syrienne : celles-là mêmes dont il reconnaît volontiers désormais la réelle et persistante présence sur l’échiquier libanais, tel le courant du général Michel Aoun, que M. Joumblatt se propose de rencontrer prochainement à Paris, la direction historique du parti Kataëb ou encore les Forces libanaises dissoutes de Samir Geagea, dont il réclame la remise en liberté. Cette approche raisonnablement audacieuse (ou hardiment circonspecte, comme on voudra) de la question syrienne fera-t-elle école au sein de la classe politique ? Il faut l’espérer de toutes ses forces, tant se sont avérées catastrophiques les équipées libératrices de la guerre, comme d’ailleurs les compromissions, démissions et autres serviles comportements de l’après-guerre. C’est à une double émancipation que tend en effet le projet Joumblatt : celle, à caractère interne, d’un État qui, plus d’une décennie après la fin de la guerre et le marché de dupes de Taëf, n’est pas encore celui de tous les citoyens sans exclusion aucune, l’État de droit, celui des institutions, de l’égalité de tous devant la loi ; et celle d’un Liban satellisé, marginalisé, maintenu sous tutelle sinon gouverné du dehors avec l’agrément enthousiaste, avec la gratitude bêlante de ses propres dirigeants. Par cette double ambition, et parce qu’ elle vient salutairement alimenter le regain de santé politique, les espérances de changement suscitées par les dernières élections législatives, l’évolution en cours mérite le franc soutien de toutes les parties : de l’islam libanais bien sûr qui, comme Joumblatt, n’a nul besoin de justifier de son amitié pour la Syrie, mais aussi et surtout des chrétiens. Proprement décapitée puis systématiquement empêchée de se doter ne serait-ce que d’une relève convaincante, la chrétienté libanaise, après avoir longtemps ruminé sa frustration et son impuissance, paraît actuellement déterminée à se réinsérer dans le jeu politique. Il n’est, pour s’en convaincre, que de constater l’éclat particulier, le déplacement des foules, le déploiement de ferveur, la poussée de foi qui ont entouré la commémoration, hier, de l’assassinat du président-élu Béchir Gemayel, laquelle suivait de peu le retour au pays de son frère aîné et ancien chef de l’État Amine. Le changement ? Il a déjà commencé, dans les esprits du moins. Au pouvoir il incombe d’en prendre conscience. Mieux, d’offrir ses auspices à de telles retrouvailles générales, tant promises et jamais réalisées. Telle est bien en fin de compte la vocation, la mission, la responsabilité de l’État et il serait bon qu’on s’en souvienne. Pour changer.
C’est une démarche en tout point exceptionnelle qu’entreprend depuis quelque temps, avec autant de sagesse que de courage et de détermination, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt : démarche visant au changement, à l’instauration de rapports plus équilibrés entre le Liban et la Syrie, mais aussi entre les familles libanaises elles-mêmes. Ce n’est pas...