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Actualités - REPORTAGES

Beyrouth II - L'électorat chiite de Bachoura a voté en masse La guerre qui n'aura pas lieu

Un éléphant ça peut tromper énormément. Les grandes illusions… Être persuadé que la bataille – les batailles du 3 septembre se joueront dans les rues et les recoins de la capitale. Être persuadé que les Beyrouthins, qui baignent dès leur naissance dans la marmite politique, allaient se mobiliser, tous, et débattre, faire valoir leurs différences – celles de la raison, du cœur, ou du portefeuille peu importe… Se féliciter d’avance du reportage passionnant qui allait, dès 8h05 de ce premier dimanche de septembre, devenir réalité. Eh bien, non ! Hier, à Beyrouth en général, et dans sa deuxième circonscription notamment, l’impression, au fil des minutes, devenait de plus en plus tenace, se mutait lentement, sûrement, en certitude(s). La déferlante Hariri d’abord, la haririmania, aussi forte que dans les deux autres secteurs de la capitale, même si les moyens étaient moins imposants au regard des enjeux des secteurs I et III – l’ancien Premier ministre étant candidat à l’un des sièges sunnites de la I et Sélim Hoss à celui de la III. Également, la très timide participation chrétienne, celle, plus importante mais moins imposante que prévu, de la communauté sunnite, celle enfin, plus massive, de la chiite. Les listes piégées. Le panachage majoritaire au sein de l’électorat chrétien. Et puis la crasse dans Beyrouth II. Ses embouteillages monstres, bloquant la circulation, notamment à Bourj Abi-Haïdar, pendant 45 minutes. Et les températures caniculaires. Et encore et toujours cette haririmania, Beyrouth II monochrome, des familles entières venues voter en rangs serrés et dont tous les membres portaient le tee-shirt vert de la liste de la dignité… Ici, c’est une bataille beaucoup plus politique qu’électorale qui se joue et le maître mot c’est le déséquilibre. Flagrant. D’abord, les on-dit Beyrouth II, dimanche 3 septembre. 29 candidats se disputent 6 sièges, 2 sunnites, 1 chiite, 1 grec-orthodoxe, 1 arménien orthodoxe, et 1 pour les minorités. Deux listes majeures et incomplètes se battent en combat singulier, celle présidée par le député Tammam Salam et comprenant, aux côtés du leader de Mousseitbé, MM. Mohammed Machnouk, Mohammed Berjaoui, Habib Frem et Mehran Séférian, et celle parrainée par le leader de Qoraïtem, Rafic Hariri, et réunissant MM. Béchara Merhej, Walid Eido, Bassem Yammout, Yéghia Djerdjian et Nabil de Freige. Une troisième liste, également incomplète, est venue s’incruster, celle de Zouheir Obeidi, Nouhad Houdrouge, Khalil Broummana et Youssef Gebrane. Et les indépendants ensuite. Les langues, bonnes ou mauvaises, ont été bon train ce dimanche. On a d’abord parlé du panachage systématique auquel se seraient livrés les partisans de l’un biffant le nom de l’autre, les colistiers sunnites haririens Eido et Yammout. «Dans tous les cas, ce panachage dont vous parlez sera très facile à vérifier, explique à L’Orient-Le Jour l’un des colistiers des deux hommes : si Tammam Salam est élu, c’est qu’ils se sont biffés». Il n’empêche, ce n’est qu’en milieu d’après-midi que l’on a vu les deux hommes faire ensemble, avec Béchara Merhej et Nabil de Freige, la tournée des bureaux de vote. Bref, la bataille semble ardue pour les sièges sunnites, et tout laisse à croire que seul Tammam Salam a des chances de passer au travers des mailles du filet. Quant aux candidats grec-orthodoxe – Béchara Merhej pour la liste de la Dignité – et chiite – Mohammed Berjaoui pour la liste de l’Entente nationale, leur victoire était pratiquement acquise. Et que peuvent faire les autres et les indépendants, face aux deux listes ? Jamil Chammas, pour le siège des minorités, l’allié fidèle s’il en est du chef de l’État. Le candidat de la Jamaa islamiya, Zouheir Obeidi. Le néo-nassérien Samir Knio. Et les on-dit de couloirs, l’échange de voix probable entre Tammam Salam et Massoud Achkar… Mystérieuses disparitions de noms 8h05, l’école primaire de l’imam Ali Ben Abi Taleb, quartier de Bachoura. Les délégués des colistiers et des indépendants sont déjà deux fois plus nombreux que les électeurs. Tous les âges, tous les physiques, un seul point commun, la couleur de leurs tee-shirts. Les hommes de Rafic Hariri, les colistiers de Tammam Salam et ceux de Zouheir Obeïdi ont tous choisi la couleur de l’espoir, le vert. Lorsque l’on interroge les électrices, elles répondent toutes : «la liste en entier». Quelle liste ? «Ça ne vous regarde pas», sourient-elles… Et certains agents des Forces de sécurité intérieure font les yeux doux aux jeunes filles en fleurs venues voter nombreuses, ils en oublient même de surveiller l’entrée aux urnes… Elles sont sérieuses, les femmes, encore plus militantes que les hommes, tellement zélées parfois que les forces de sécurité les chassent à grands renforts de cris de l’intérieur des bureaux qu’elles ont investi pour distribuer les listes. Sur le mur intérieur de l’école, Tammam Salam sourit, sa photo, du moins, sourit. Et les listes piégées font rage, les candidats indépendants Badr Tabch – sunnite – et Jamil Chammas – minorités – arrivent à s’immiscer sur un grand nombre de petits papiers. 8h55, la caserne des pompiers de Bachoura. Les hommes panachent un peu plus que leurs femmes, et là, les problèmes commencent. Plusieurs personnes munies de leurs cartes d’identité et de leurs cartes d’électeur se voient refuser le droit et le devoir premiers d’un citoyen : leurs noms ne figurent pas sur les listes d’électeurs délivrées par le ministère de l’Intérieur, notamment dans le bureau 184. Et ça ne s’arrêtera pas là, tous les autres bureaux connaîtront à divers degrés ce genre d’«arlésiennes» plus ou moins mystérieuses. Les candidats Merhej et de Freige, interrogés par L’Orient-Le Jour, stigmatisent tous deux ces lacunes administratives, mettant l’accent sur la déception, «l’extrême désillusion de ceux venus parfois de très loin pour voter». Détail qui vaut des points : dans un des bureaux, une des scrutatrices est assise sur un vieux sommier métallique, ses listes sur les genoux, et un sandwich dans la main, offert par le candidat indépendant Mohammed Amine Daouk – encore un qui ne rentrera pas dans ses frais, une petite bouteille d’eau coincée entre les jambes. Dantesque… Quand Tammam bey vote 9h30, le domicile de Tammam bey, Mousseitbé. Son colistier Mohammed Machnouk confirme les listes piégées, «Khalil Broummana à la place de Béchara Merhej», défend les femmes qui votent en masse, «ce n’est pas que ça les amuse, elles ont l’impression de jouer un rôle, d’être influentes, à leur manière». Au fur et à mesure, les trois autres colistiers arrivent, MM. Machnouk, Berjaoui, Séférian et Frem se retrouvent soudés autour de Tammam Salam, les photographes les fixent, sourire aux lèvres, les cinq mains réunies…M. Salam nous fait part de ses prévisions pour le Sud, «peut-être une ou deux percées, Habib Sadek, Élias Abou Rizk…». Mohammed Berjaoui, le seul candidat dont le nom se retrouve sur les deux listes, rappelle à L’Orient-Le Jour combien le Hezbollah est «une partie essentielle de la Liste de l’Entente nationale» et combien la Résistance inspire «le respect chez tous les Libanais et les Beyrouthins en particulier, M. Hariri veut sans doute réunir». C’est la seule raison ? M. Berjaoui sourit, M. Salam nous rafraîchit la mémoire, «à Saïda, au sein de la liste de l’alliance Amal-Hezbollah, il y a Bahia Hariri». Et tous les cinq sortent de la maison des Salam accompagner Tammam bey à son bureau d’élection, les gens applaudissent dans la rue, un gamin hurle, neuf, dix ans, voix aiguë, «hey, mais c’est Tammam», et M. Salam salue même les délégués adverses, embrasse les vieilles femmes qui, apparemment, le vénèrent. Dans le bureau n° 7 où il votera, sa déléguée hurle à s’en casser la voix, plus de cent personnes se piétinent dans les quelques mètres carrés, toute la liste est là, Habib Frem insiste sur «les méfaits monstrueux de l’argent politique», à l’extérieur M. Salam estime que «celui qui gagnera la bataille sera celui qui donnera ce qu’il a de plus cher pour le bien du pays». Et les youyous des femmes de ne plus s’arrêter, surtout lorsque commencera à s’exprimer Mohammed Berjaoui. Tammam Salam a voté à 10h15. Et ensuite ? Ensuite, c’est la même chose, partout. Un taux de participation qui grimpera pour atteindre une moyenne de 35 %, 50 % pour les électeurs mahométans, 10 % pour les chrétiens, des femmes en tchador qui côtoient des femmes largement décolletées, le panachage toujours très faible chez les musulmans, contrairement à leurs concitoyens chrétiens de Rmeil notamment, les embouteillages dans Beyrouth II deviennent hallucinants et dans les rues, la musique crève tous les tympans, assourdit. Les sympathisants Ahbache s’énervent contre les voitures, Kamal Chatila trône en grand sur quelques murs. À Rmeil, le (très) gros de la foule, ce sont les délégués, toujours les délégués… Et Jamil Chammas qui raconte à L’Orient-Le Jour ses bains de foule et les délires d’amour – à son égard – des électeurs… Début 2005… À quoi bon ? Monochrome est l’adjectif idoine. Beyrouth II est aux couleurs de Qoraïtem. L’opposition est tout sauf plurielle. Il y a des symboles qui risquent de ne pas durer. Des symboles essentiels. Des figures. Beyrouth, et au-delà tout le pays, se réveilleront demain définitivement chamboulés. Au moins pour quatre ans et huit mois, début 2005…
Un éléphant ça peut tromper énormément. Les grandes illusions… Être persuadé que la bataille – les batailles du 3 septembre se joueront dans les rues et les recoins de la capitale. Être persuadé que les Beyrouthins, qui baignent dès leur naissance dans la marmite politique, allaient se mobiliser, tous, et débattre, faire valoir leurs différences – celles de la raison,...