Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

Kesrouan-Jbeil - Le point sur les quatre listes rivales Des cartes mélangées par une main invisible

À observer l’évolution dans la formation des listes dans le Kesrouan et à Jbeil entre les élections législatives de 1996 et celles qui se dérouleront dimanche, on ne peut s’empêcher de penser à un jeu de cartes mélangé par une main invisible. Comme par enchantement, les adversaires acharnés d’hier se retrouvent au sein d’une même formation alors que les alliés d’hier se lancent sans merci des invectives. Quatre listes nées dans la douleur – c’est le cas de le dire ! – s’affronteront dimanche dans la circonscription du Kesrouan-Jbeil. Cinq sièges maronites pour le Kesrouan et trois (deux maronites et un chiite) pour Jbeil, cela fait donc des listes de huit personnes (sauf la dernière à laquelle il manque un nom maronite). Mais, selon tous les pronostics, il est hautement improbable que les électeurs votent pour des listes entières et ne choisissent pas plutôt de constituer les leurs. Surtout que les critères politiques qui ont dicté la composition de ces listes ne sont pas toujours très clairs. Les difficultés qui ont longtemps entravé la formation des équipes tiennent à plusieurs facteurs. Dont l’un, majeur, était le regroupement de ces deux cazas, qui demeurent très différents, dans une même circonscription. Traditionnellement, Jbeil connaît depuis des générations un clivage politique entre néo-destouriens (qui revendiquent l’application stricte de la Constitution et le développement des institutions) et le puissant Bloc national (BN). Certes, ce clivage ne veut plus dire grand-chose puisque les objectifs politiques sont devenus, à peu de chose près, les mêmes, mais les habitudes sont bien ancrées dans les esprits et le fossé n’a pas été comblé. En ce qui concerne le Kesrouan, c’est l’alliance entre familles (ou entre individus) qui prévaut, les critères politiques des choix des alliances n’étant pas toujours évidents. Il fallait donc rapprocher les points de vue pour créer des listes dans deux cazas différents. Ce qui n’a pas nécessairement résolu le problème des électorats respectifs, qui ne sont généralement pas au courant de la vie politique de l’autre région. Les surprises ne sont donc pas exclues, s’agissant d’un mariage aussi insolite... Les autres facteurs qui ont entravé en leur temps la formation des listes étaient d’ordre plus pratique. Certaines candidatures se sont fait attendre, notamment celle du nouveau Amid du BN, M. Carlos Eddé, et celle de l’ancien ministre Georges Frem. Des tractations se seraient longtemps engagées entre eux en vue de la formation d’une liste puissante, placée sous le signe du changement, mais elles n’ont pas abouti, M. Eddé ayant finalement décidé de se retirer de la bataille. Il avait alors invoqué, comme raisons, «des circonstances qui ne sont pas propices à un scrutin démocratique et à un réel changement». Frem et Boueiz La première liste a été formée une quinzaine de jours avant la date du scrutin. Elle est présidée par l’ancien ministre Georges Neematallah Frem et comprend également les députés sortants Mansour el-Bone, Camille Ziadé et Élias el-Khazen, ainsi que M. Neematallah Abi Nasr pour le Kesrouan, et MM. Nazem Khoury, Farès Souaid (fils de la députée sortante Nohad Souaid) et Moustapha Husseini (frère de l’ancien président de la Chambre, Hussein Husseini) pour Jbeil. Cette liste appelée «Dignité et renouveau» a été placée par M. Frem lui-même sous le signe du changement, quelque peu relatif. Ses membres se proposent de constituer un bloc parlementaire s’ils sont tous élus. Ses adversaires lui ont reproché de «ne pas être fidèle à son slogan de changement» (vu le nombre de visages inchangés) et la taxent de «proche du pouvoir». Pour ce qui est des alliances au sein de la liste, MM. Bone et Ziadé avaient annoncé leur collaboration dès le lancement de la campagne. Ils étaient déjà alliés en 1996, mais sur la liste du député Rouchaid el-Khazen, après que M. Ziadé eut renoncé à se joindre à Farès Boueiz (alors ministre des Affaires étrangères), son allié en 1992. Le député Élias el-Khazen, lui, se trouvait sur la liste de M. Boueiz aux élections passées. M. Abi Nasr se présente pour la première fois. Ancien secrétaire général de la Ligue maronite, il est surtout connu pour ses prises de position contre les naturalisations massives. Pour les candidats de Jbeil, peu de changement en ce qui concerne Nazem Khoury qui était déjà allié à Nohad Souaid en 1996, ainsi qu’avec Abbas Hachem (aujourd’hui sur la liste de Boueiz), alors que Moustapha Husseini s’était déjà présenté avec Kamal Cordahi. Quelques jours après l’annonce officielle de la liste de la «Dignité et du renouveau», celle présidée par M. Boueiz avait été mise sur pied, non sans problèmes et coups de théâtre. Ces difficultés ont été par la suite maintes fois évoquées par l’ancien ministre des AE qui les impute «aux ingérences des services qui voulaient empêcher la formation de la liste», jouant ainsi la carte de l’opposition au régime. Cependant, ses adversaires évoquent volontiers des tiraillements entre colistiers et insistent sur le fait que la formation est «parrainée» par le député Rouchaid el-Khazen. Celui-ci s’est désisté en faveur de son neveu, Farid Haïkal el-Khazen. Il a, dans une violente déclaration, appuyé «la candidature de M. Rafic Hariri à la présidence du Conseil». Outre MM. Boueiz et el-Khazen, la liste dite de la «Décision populaire» comporte Mme Gilberte Zouein et MM. Maroun Abou Charaf (dont le frère se présente sur une autre liste) et Chaker Salamé (candidat Kataëb) pour le Kesrouan, et MM. Émile Naufal, François Bassil et Abbas Hachem pour Jbeil. Mme Zouein s’était déjà engagée lors de la bataille précédente aux côtés de M. Boueiz. À Jbeil, M. Naufal est un député sortant, et un différend l’avait déjà opposé en 1996 à M. Nazem Khoury. Ce dernier avait alors présenté un recours en invalidation, mais celle-ci a été maintenue. La tension entre les deux hommes a atteint son paroxysme dans la nuit du 16 au 17 août, lorsque leurs partisans en sont venus aux mains à Amchit et que deux proches de M. Khoury se sont retrouvés à l’hôpital. M. Naufal, dont le bureau avait été encerclé par un détachement de l’armée, avait alors accusé le commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleiman (également de Amchit), de soutenir la candidature de M. Khoury, ce qui pourrait valoir au député sortant des ennuis avec la justice. Quant à M. Bassil, il avait déjà présenté sa candidature en 1996, aux côtés de Fady Rouhanna Sakr. Khalil et Sfeir Outre ces deux listes, qu’on considère aujourd’hui comme fortes (bien que rien ne soit joué), deux autres équipes se sont constituées très peu de temps après. La troisième, chronologiquement, est présidée par M. Youssef Khalil, un médecin qui, lors de sa précédente candidature, avait recueilli à lui seul quelque dix mille voix. M. Khalil a été au centre d’une tourmente puisqu’il a brisé un engagement de longue date avec M. Michel Karam, candidat à Jbeil, en vue de se joindre à la seconde liste «pour des raisons qui ont trait à l’intérêt de la région», avait-il déclaré à l’époque. Mais il a de nouveau quitté la liste de M. Boueiz juste avant que celle-ci ne soit déclarée officiellement. La «Liste du peuple» présidée par M. Khalil est composée de MM. Joseph Abou Charaf, Clovis el-Khazen, Antoine Hokayem et Élie Zouein pour le Kesrouan, et MM. Jean Hawat, Fady Rouhanna Sakr et Mahmoud Awad (député sortant, proche de M. Hariri) pour Jbeil. Le fait que M. Hawat soit l’ancien secrétaire général du BN (sa candidature en 1996 contre l’avis du Amid Raymond Eddé avait provoqué son expulsion du parti, mais un rapprochement est en cours), et que MM. Sakr et el-Khazen soient des proches du parti, a donné une certaine coloration à cette liste. Mais le dernier communiqué du BN laisse le choix libre aux électeurs et il n’est pas clair qui profitera de leurs voix. Il faut préciser que M. Hawat a été remplacé in extremis par M. Bassil dans la seconde liste. Quant à Joseph Abou Charaf (fils de l’ancien député Kataëb Louis Abou Charaf), il faisait, en 1996, partie de la liste de Rouchaid el-Khazen et il est aujourd’hui remplacé par son frère, Maroun Abou Charaf. Antoine Hokayem et Élie Zouein s’étaient présentés à titre individuel au dernier scrutin. La dernière liste, incomplète puisqu’il y manque un candidat maronite pour le Kesrouan, a été formée par M. Henri Sfeir, candidat sur la liste de M. Boueiz en 1996, et aujourd’hui son adversaire. La liste du «Liban de la liberté» est formée de MM. Abdallah Chéhab (neveu du président défunt Fouad Chéhab), Charbel Azar et Antoine Khairallah pour le Kesrouan, et Michel Karam, Michel Khoury et Mohammed Ali Haidar pour Jbeil. En 1996, Abdallah Chéhab avait rejoint la liste de Rouchaid el-Khazen, alors que Charbel Azar faisait cavalier seul. Quant à Michel Khoury, ancien député de Jbeil, il avait à l’époque formé sa propre liste. Selon les observateurs, le fait que les habitants des deux régions soient plutôt imprévisibles dans leur choix et qu’il n’y ait pas de leadership dominant prouve que, malgré les pronostics, les surprises ne sont pas exclues et il n’existe qu’une seule certitude : la bataille de dimanche sera impitoyable.
À observer l’évolution dans la formation des listes dans le Kesrouan et à Jbeil entre les élections législatives de 1996 et celles qui se dérouleront dimanche, on ne peut s’empêcher de penser à un jeu de cartes mélangé par une main invisible. Comme par enchantement, les adversaires acharnés d’hier se retrouvent au sein d’une même formation alors que les alliés...