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Actualités - OPINION

Juliette des esprits

Elle n’a pas encore trente ans, Juliette. Et elle est patronne. Elle est propriétaire d’un magasin, elle vend des lunettes et elle paie, tous les mois, ses salariés. Juliette est francophone, parfaitement francophone, anglophone et arabophone aussi, et Juliette a fait des études, bac plus beaucoup. Tous les matins, Juliette petit-déjeune sur une terrasse du centre-ville, elle lit Le Monde, Cosmopolitan, The International Herald Tribune, elle boit ses cafés, refait ses comptes sur son laptop, ses écouteurs dans les oreilles, Buena Vista Social Club dans les oreilles, Juliette réajuste de temps en temps, sur son nez, ses Dolce&Gabbana, le soleil tape fort. Et puis Juliette reprend sa voiture, elle est neuve, elle la paye à crédit, retrouve son magasin, elle l’ouvre, il est 10 heures. Et puis vers 18 heures, Juliette s’en va faire ses longueurs dans une piscine, ensuite elle ira dîner, vers la rue Monot, boire des Bacardi-Coca avec ses amis, danser, flirter, rêver, etc. Hier Juliette était entre la place Béchara el-Khoury et le siège du Conseil des ministres, Juliette se faisait une fierté de participer à la manifestation à laquelle avait appelé la CGTL, elle avait demandé à des dizaines de ses ami(e)s de la rejoindre, elle les avait suppliés, de venir avec elle, demander des comptes au gouvernement, lui dire que tout ce qu’il fait ne sert à rien, que les Libanais n’en peuvent plus, leur niveau de vie, Juliette s’attendait à se noyer dans une foule, «vous ne pouvez pas savoir comme je suis dégoûtée, tout le monde s’en fout», à croiser les patrons, «je pensais qu’ils souffraient comme tout le monde de la situation du pays, moi je suis patron et je suis là...». Juliette a écarquillé les yeux devant tous ces gens qui étaient venus juste pour glorifier un homme politique, elle a écarquillé les yeux devant tous ces milliers d’absents, ces milliers de Libanais qui auraient dû être là... Juliette a même apostrophé Élias Abou-Rizk, elle lui a posé des questions, elle voulait savoir, comprendre... Oh ! elle n’a rien d’une passionaria, Juliette, ni d’une militante, elle avait juste conscience de l’urgence, de la belle opportunité à saisir, et elle était en colère Juliette, elle a horreur du gâchis, des occasions, en or, que tout un peuple concourt à faire rater.
Elle n’a pas encore trente ans, Juliette. Et elle est patronne. Elle est propriétaire d’un magasin, elle vend des lunettes et elle paie, tous les mois, ses salariés. Juliette est francophone, parfaitement francophone, anglophone et arabophone aussi, et Juliette a fait des études, bac plus beaucoup. Tous les matins, Juliette petit-déjeune sur une terrasse du centre-ville, elle...