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Actualités - REPORTAGES

Société - Souk el Barghout, c'est encore jusqu'au 25 juin La dolce vita (photos)

Le cadre est idyllique, presque parfait. Là-haut, c’est la place de l’Étoile, en bas, la Grande bleue, et les rues ne sont que piétonnes, mais oui, sans pots d’échappement, sans klaxons, sans crétins décérébrés qui beuglent au volant, elles sont fleuries, elles sont vertes, il suffit juste de faire attention, et il y a le bruit de la mer, il y a l’odeur, et puis les immeubles, même s’ils sont archi-neufs, leur cachet est indéniable… Lorsque vous rentrez dans souk el-Barghout, cette traduction littérale du marché aux puces est particulièrement sympathique et éloquente, vous pénétrez un no man’s land, un no man’s time, en plein cœur de Beyrouth, c’est une impression tenace et plaisante d’être ici et là-bas, entre partout et nulle part, que vous avez, le métissage est impressionnant, libanais, tellement libanais, et puis le temps, le temps n’a plus aucune espèce d’importance, ce qui compte, ce sont les visiteurs d’un soir, des familles, des bandes de copains, des amants terribles, des vieux mariés, il suffit d’en regarder un pour tout comprendre, ces gens-là qui flânent, qui chinent, qui rient, qui refont le monde autour d’une table en commandant leur troisième verre ont tout mis entre parenthèses, parenthèse enchantée pour gens heureux. Le temps d’une balade... Que les choses soient claires : la grande majorité, apparemment, est là surtout pour se promener, pour (se) voir, se montrer, se donner, tout simplement, l’occasion de prendre le temps. Les magasins d’antiquités de la rue Foch, serait-ce plutôt Argentine ou Uruguay les plaques sont (trop) bien cachées, sont presque constamment vides ou alors c’est trois petits tours et puis s’en vont, les clients. Pourtant ce n’est pas faute de choix, tout est affaire de goût(s), les meubles viennent de partout, leur choix n’est pas toujours heureux, certes, mais le panel est large et c’est ça l’important, mais il y a les tapis, et ceux-là, dieu qu’ils sont beaux. Un petit arrêt devant la devanture d’un dépôt-vente, quelques mots échangés, la vie, l’amour, les vaches, avec le gérant, un monsieur à moustaches blanches, narguilé à la pomme dans une main, passe-temps turquoise dans l’autre, un autre devant le vieil accordéoniste, qué sera sera, cet air-là, pour beaucoup, c’est une espèce de madeleine proustienne, et puis les gamins qui braillent, exigent un ballon en baudruche, festival de couleurs, puis oublient, fascinés par le cheval, la promenade en calèche, autre temps, un enfant qui sourit... Et puis il y a l’autre rue, enfin une espèce d’enchevêtrement, deux ou trois petites rues, des dizaines et des dizaines de stands, chacun d’entre eux vend tout et n’importe quoi, elles sont là, les «vraies» puces, les greniers que l’on vide, le kitsch est roi, la bonne humeur aussi, les rires, les apostrophès qui fusent entre les voisins de stands, c’est la bohème, parfois de luxe, mais c’est la bohème quand même, et puis il y a le stand d’Abou-Walid, son excellente enseigne, «Abou-Walid, pour ne rien oublier…». Sauf qu’avant d’arriver au stand de ce monsieur, vous allez vous arrêter devant un drôlissime portrait d’un ancien Premier ministre libanais, vous allez vous laisser tenter par, posée à même le sol, une bouteille d’eau de rose ou de fleurs d’oranger, faite maison, craquer pour un baguel made in Tribeca, les bagues, les colliers, les bracelets en argent ou en cuivre, et puis vous y arriverez, chez Abou-Walid, prévoyez d’avance un minimum de vingt minutes, ça vaut des points... L’inutile, ici, devient carrément sublime. Des revues, des centaines de revues, des Photoplay, des Hawadeth, des Elle, des Express, des années 40 ou 50, une kyrielle de romans-photo à rendre verte de jalousie (feue) dame Cartland, des pulp fictions d’anthologie, des vinyles venus l’on ne sait d’où, des petits morceaux d’émail ou de poterie, les artistes en raffolent, paraît-il, pour leurs montages, des verres à vin, des clés hyper-anciennes, des éléments, en céramique et en cuivre, pour salles de bains, bref, des milliards de petites choses, ici, tout est possible, tout est magique. Et puis il y a les cafés. Là, ça parle toutes les langues, ça vient de toutes les strates socioculturelles, ça boit, ça mange, le chawarma est un peu partout, ça papote, ça éclate de rire, ça vit… Il y a aussi les cages à perruches, elles rêvent à deux, elles aussi, la musique, le band qui va bientôt jouer en live, le muezzin, les projecteurs, il y a, surtout, à cette heure-là, entre chien et loup, l’extraordinaire lumière du ciel beyrouthin, avec la mer, ils ne font plus qu’un, il y a, enfin, et c’est ça souk el-Barghout, une incroyable douceur de vivre, tellement prégnante, tellement simple, que si vous fermez un peu les yeux, tendez un peu les doigts, c’est sûr, vous la toucherez. Quelque chose qui ressemble, fort, à du bonheur.
Le cadre est idyllique, presque parfait. Là-haut, c’est la place de l’Étoile, en bas, la Grande bleue, et les rues ne sont que piétonnes, mais oui, sans pots d’échappement, sans klaxons, sans crétins décérébrés qui beuglent au volant, elles sont fleuries, elles sont vertes, il suffit juste de faire attention, et il y a le bruit de la mer, il y a l’odeur, et puis les...