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Actualités - REPORTAGES

Reportage - Plusieurs familles d'anciens membres de l'ALS vivent encore à Khiam Les oubliés de la victoire entre la peur et l'amertume(photo)

Qui a jamais dit que le problème des anciens miliciens de l’ALS est une affaire chrétienne ? Dans la bourgade de Khiam – qui compte près de dix mille personnes –, cent anciens miliciens et leurs familles sont aujourd’hui les vaincus de la libération. Une quarantaine d’entre eux se sont réfugiés en Israël avec leurs familles alors que le reste s’est livré à l’armée libanaise, laissant leurs proches au village, en proie à une attente insupportable et à l’angoisse d’éventuelles vexations. Mais si, en général, le reste de la population les ménage, tout le monde baisse la voix dès qu’on parle d’eux, comme s’il s’agissait d’un sujet honteux... Au village, tout le monde se connaît et les rancœurs n’en sont que plus vivaces. Khiam, vu de loin, semble plongé dans l’euphorie de la victoire. La célèbre prison devenue un lieu de pèlerinage, toute la bourgade se résume désormais à ce symbole. Mais, dans les petites ruelles, certaines demeures discrètes ressemblent à des salons funéraires. Des drapeaux d’Amal ou du Hezbollah flottent sur leurs toits avec ostentation comme pour montrer clairement les nouvelles allégeances, mais cet éclatant affichage a quelque chose d’artificiel. D’ailleurs, les voisins connaissent parfaitement leur histoire, tout en faisant officiellement semblant de l’ignorer. Il faut vraiment insister pour être conduit jusqu’aux domiciles des anciens membres de l’ALS, tant Khiam veut aujourd’hui gommer cette partie de son histoire, et dès qu’on parle «de ces traîtres», les voix se baissent et les visages se ferment. Hussein a pris peur... La maison de Hussein Abdallah est un peu à l’écart de la rue principale. «Vous ne pouvez pas vous tromper. Il y a un énorme peuplier». Le peuplier est bien là, mais nul n’est visible dans la petite cour. La maison est pourtant habitée, nous a-t-on assuré. Au bout de quelques minutes, des têtes commencent à apparaître timidement. La mère de Hussein Abdallah se présente finalement, arrangeant hâtivement son foulard. Après une brève hésitation, elle accepte de raconter son histoire. Son fils s’est intégré à l’ALS en 1989. «Il était en poste au barrage de Kfartebnite (ex-point de passage entre la zone libre et celle occupée), mais il n’était chargé que de prélever les taxes». Selon Oum Hussein, son fils n’a rien à se reprocher, il n’était qu’un fonctionnaire. Un membre d’Amal commente d’ailleurs : «Ils disent tous cela, comme si, à l’ALS, il n’y avait que des cuisiniers et des fonctionnaires administratifs». Le mardi 24 mai, Hussein avait donc décidé de se livrer à l’armée libanaise. Mais en voyant ce qui s’est passé à la prison de Khiam, il a pris peur et il a préféré se réfugier en Israël. Cela fait 18 jours que sa famille n’a plus de ses nouvelles, mais sa mère et sa femme espèrent encore le voir rentrer au pays. «Je suis sûr qu’il attend le déploiement de l’armée et de la Finul au Sud pour se rendre aux autorités», affirme sa femme, comme si elle cherchait surtout à s’en convaincre elle-même. Les deux femmes, entourées d’une ribambelle d’enfants, affirment ne pas avoir été inquiétées. «Les gens sont très gentils avec nous et tous nous disent que Hussein n’aurait pas dû partir parce qu’il n’avait rien à se reprocher». Elles reconnaissent ensuite qu’il y a désormais beaucoup de nouveaux visages dans la bourgade, mais Amal et le Hezbollah leur ont assuré qu’elles n’avaient rien à craindre. Leur maison fait d’ailleurs l’objet d’une surveillance constante, «en guise de protection», disent-elles. L’atmosphère est encore plus pesante au domicile d’Ahmed Raghda. L’intérieur est pauvre, presque misérable, et la mère a un mouvement d’effroi en nous voyant arriver. Mais la traditionnelle hospitalité du Sud l’empêche de fermer la porte. C’est sa fille, une superbe blonde qui la convainc de parler. Oum Ahmed a quatre fils qui étaient tous dans l’ALS. Tous les quatre se sont livrés à l’armée et leur famille est sans nouvelles d’eux. «Il fallait bien vivre, explique la sœur pour justifier leur enrôlement au sein de l’ALS. Vous ne pouvez pas imaginer les pressions qui étaient exercées sur les jeunes gens ici pour les obliger à s’enrôler. Trois de mes frères ont été emprisonnés à Khiam parce qu’ils ne donnaient pas suffisamment d’informations à l’ALS. Et lorsque l’un d’eux hésitait à coopérer, on menaçait de m’enlever et de me torturer. Vous savez combien l’honneur familial est important chez nous. Tout ce que je souhaite c’est que la justice tienne compte de ces circonstances et soit clémente». Sous la protection d’Amal et du Hezbollah Les nouvelles récentes faisant état d’agressions contre d’anciens collaborateurs relâchés par la justice, à Houla notamment, ne les effraient-elles pas ? «Le Hezbollah et le mouvement Amal nous ont promis la sécurité. Quant aux voisins, aucun d’eux n’a eu une réaction hostile à notre égard. Nous n’avons pas peur», affirme la jeune fille. Même si les yeux de sa mère démentent cette phrase. Tout au long de la conversation, celle-ci faisait d’ailleurs des mimiques à sa fille pour qu’elle se taise, mais cette dernière passait outre, décidée à dire ce qu’elle a sur le cœur et surtout, refusant de se sentir coupable. La maison des Rouhayem est au milieu d’une petite place. Elle pourrait être assez banale sans l’inscription menaçante sur le mur de la terrasse. Peintes en vert et rouge, les lettres attirent le regard. Il s’agit de propos de sayed Hassan Nasrallah sur le sort des collaborateurs. La très jeune femme qui nous ouvre la porte précise que les combattants du Hezbollah lui avaient demandé l’autorisation d’écrire un verset du Coran sur le mur. Et ce fut cette phrase. Elle n’a bien sûr rien dit et vit désormais avec. Son mari et son père sont entre les mains de l’armée et elle espère les revoir bientôt. Elle vit là avec sa mère, sa fillette de huit mois et son petit frère qui vient de se casser le bras. Son principal souci, aujourd’hui, est d’assurer les ressources pour la survie de sa petite famille. Mais, avec beaucoup de courage, elle reste optimiste. «Je suis sûre que mon mari et mon frère seront relâchés d’ici à un an. Ils étaient membres de la sécurité de l’ALS à Khiam, mais ils évitaient de donner des informations sur les jeunes gens du village qui coopéraient avec la Résistance. Vous savez, la situation, ici, était plus compliquée qu’ailleurs, le village était divisé, mais chacun savait ce que pensait l’autre et croyez-moi, même quand mon mari travaillait avec l’ALS, son cœur était avec la Résistance». Selon la jeune femme, son mari s’était enrôlé pour des raisons économiques, et s’il n’avait pas été dans cette milice, il n’aurait pas pu se marier, tant sa famille est pauvre. Son père aussi était dans les renseignements de l’ALS, mais les derniers temps, comme il refusait de coopérer, il a été emprisonné à Khiam. Libéré le 24 mai, lorsque les habitants ont envahi la prison, il a été emmené à Beyrouth car il y avait un fichier sur lui. La jeune femme affirme ne pas avoir peur et de toute façon, nul ne peut ignorer sa situation grâce à l’inscription sur le mur de la terrasse. «Comme cela, je n’ai pas à me cacher», lance-t-elle en souriant. Avec l’optimisme de la jeunesse, elle préfère jouer avec son bébé plutôt que de s’inquiéter de l’avenir. «Que l’État nous donne ce qu’il nous doit...» L’atmosphère est tout à fait différente chez la famille de Mohammed Abdallah. Le père tient une épicerie à l’entrée de la bourgade. Elle a sans doute dû être prospère, même si aujourd’hui, la plupart des rayons sont vides. Les yeux rougis du vieil homme qui se tient devant le comptoir en disent long sur le drame qu’il est en train de vivre. Son fils, sa bru et leurs enfants se sont réfugiés en Israël et il craint de ne pas les revoir avant longtemps. Sa fille, elle, ne cache pas son amertume. Elle suit longuement du regard les voitures qui se dirigent vers la prison de Khiam. «Vous savez, c’est faux tout ce que l’on a dit sur cette prison. Qu’on aille d’abord voir ce qui se passe à Roumié avant d’accuser l’ALS des pires cruautés. Sans cette formation, aucun village du Sud ne serait encore habité. Les membres de l’ALS nous ont protégés, aidés et fait vivre quand l’État était totalement absent. Mon frère aîné a disparu en 1982, dans la foulée des massacres de Sabra et Chatila, enlevé par les Forces libanaises. Nous avons eu beau essayer d’avoir de ses nouvelles, nous n’avons jamais rien pu savoir. Avant de nous demander des comptes, l’État devrait nous rendre ce qu’il nous doit. Mon frère n’est-il donc pas libanais ? Ne mérite-t-il pas qu’on enquête sur son sort ?» Le flot de paroles semble intarissable, tant l’amertume et la révolte sont grandes. Fatmé, c’est son nom, affirme qu’elle ne se soucie nullement de ce que pensent d’elle les gens du village. «Ils font tous maintenant semblant d’être avec la Résistance, mais avant ils nous sollicitaient en permanence. Les gens ont la mémoire courte et ils croient que tout le monde est comme eux. Si mon frère m’appelle, je lui conseillerai de ne pas se livrer à la justice. Car ce n’en est pas une. S’il y avait un État digne de ce nom, il ferait des recherches pour retrouver mon frère disparu et les centaines d’autres qui ont connu le même sort. Mais non, aujourd’hui, ce qui compte c’est de diaboliser Khiam et d’occulter tout le reste». N’a-t-elle pas peur ? «Peur ? Et de quoi ou de qui ?, s’écrie-t-elle. C’est ma terre et je ne la quitterai pas, n’en déplaise à ceux qui voudraient m’en chasser...». Son père hoche la tête, incapable de faire taire sa fille ni de la désavouer. La petite épicerie, encore pimpante, n’a plus de clients. La bourgade de Khiam, toute à sa liesse, veut oublier son existence. Dans la nouvelle vie de la localité, il n’y a pas de place pour les réminiscences du passé. Les vainqueurs veulent bien se montrer nobles, à condition qu’on fasse amende honorable et qu’on adopte leurs thèses. Sinon, gare à la revanche. Le premier exemple a été donné à Houla et le message est clair. Mais chez la famille Abdallah, le désespoir est trop grand pour laisser une place à la peur...
Qui a jamais dit que le problème des anciens miliciens de l’ALS est une affaire chrétienne ? Dans la bourgade de Khiam – qui compte près de dix mille personnes –, cent anciens miliciens et leurs familles sont aujourd’hui les vaincus de la libération. Une quarantaine d’entre eux se sont réfugiés en Israël avec leurs familles alors que le reste s’est livré à...