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Actualités - OPINION

Vents d'est

Quel Proche-Orient après Hafez el-Assad, quelle Syrie, et par incidence quel Liban ? Autant le chef disparu intriguait, impressionnait, en imposait, inquiétait de son vivant, autant son décès vient plonger la région tout entière dans un océan d’incertitudes. Le plus extraordinaire, dans le lourd et singulier flottement qui accompagne cette disparition, c’est que la crise fatale qui a emporté le Raïs n’ était pas à proprement parler une surprise. Car elle était annoncée, cette mort-là, et même dix fois, vingt fois plutôt qu’une : depuis le début des années 80 elle était régulièrement tenue pour prochaine ou même imminente, au point que l’homme à la légendaire mauvaise santé de fer trouvait crânement, dans ces rumeurs, matière à plaisanterie. C’est dire que le Proche-Orient a eu tout le temps de se préparer à l’ère de l’après-Assad ; le voilà pourtant, et avec lui le reste du monde, pris de court sinon de panique par un événement dont on pressent confusément qu’il va bouleverser bien des paramètres. Plus que les flots d’éloges funèbres, panégyriques et autres témoignages de circonstance appelés à encombrer, pour des jours encore, les écrans de télévision et les colonnes des journaux, ces interrogations planétaires, souvent teintées d’anxiété, sont sans doute le plus grand hommage qui pouvait être rendu à la stature exceptionnelle de ce président à la personnalité aussi complexe qu’écrasante. Champion de l’arabisme pur et dur, Hafez el-Assad était avant tout un ardent nationaliste syrien, voire pan-syrien qui, malgré les revers militaires, a élevé son pays au rang de puissance régionale : une puissance qui, à un moment, a été bien près d’englober les Palestiniens et les Jordaniens, ces «Syriens du Sud», mais qui aura surtout réussi à étendre sa domination au Liban. Cette Syrie de grandeur, à défaut de la Grande Syrie dont il rêvait, Assad lui aura assuré une stabilité sans précédent, laquelle a fini par devenir une fin en soi, avec l’inévitable prix que cela impliquait en termes de démocratie et de libertés publiques : la priorité totale, absolue allant à la pérennité du système, à la continuité du régime, souci qui l’aura habité jusqu’à son dernier souffle. Ce pari dynastique sera-t-il gagné ? Rendu éligible dès samedi par un Parlement syrien en larmes qui a taillé à sa mesure (34 ans) l’âge minimum de tout prétendant à la présidence, désigné hier candidat du parti Baas et aussitôt promu général et nommé commandant suprême des forces armées, Bachar el-Assad est virtuellement déjà le nouveau maître de la Syrie, ce que devrait confirmer un prochain referendum. Cette intronisation par étapes laisse croire que le jeune leader s’est imposé à la «vieille garde» en place depuis trois décennies. Et que les récalcitrants ont été neutralisés, au besoin à l’aide de cette redoutable machine à remonter le temps qu’est la campagne anticorruption initiée depuis quelques mois par Bachar el-Assad et qui s’est notamment soldée par le suicide d’un ancien Premier ministre sortant tout juste de neuf années d’exercice ininterrompu du pouvoir. Il reste que c’est une tâche bien délicate, compliquée par des impératifs résolument contradictoires, qui attend le successeur présumé du président défunt. Car il va s’agir pour lui de pousser son avantage de départ, de consolider rapidement les bases de son pouvoir, dans un pays où l’armée reste jusqu’à nouvel ordre le principal pilier de tout régime, et d’entreprendre dans le même temps un programme de libéralisation économique et politique vivement souhaitée par la population. Le jeune médecin rappelé en toute hâte de Londres après la mort tragique de son frère Bassel pourra-t-il tenir sa promesse d’introduire l’Internet et le télephone cellulaire dans chaque foyer sans trop indisposer une caste militaire plus soucieuse d’ordre que de modernité ? Et une fois ouverte la boîte de Pandore, ce régime qui se veut celui du changement dans la continuité sera-t-il en mesure de contrôler, d’endiguer les vents du renouveau sans devoir recourir pour cela aux démonstrations de force du passé ? Au vu de toutes ces préoccupations internes – et Washington de même que Tel-Aviv semblent s’y être résignés – il est clair que la négociation syro-israélienne, déjà en panne, va devoir entrer en hibernation : cela sans que l’on sache même si, au moment du dégel, Bachar el-Assad aura acquis assez d’ascendant pour rallier son peuple à une formule de paix originale ou s’il se sentira tenu de calquer son attitude sur celle de son inflexible père, dont on a pu dire qu’il était lui-même prisonnier du personnage mythique qu’il s’est forgé. Pour les Palestiniens qui n’ont d’autre obsession que d’éviter d’être coiffés au poteau par la Syrie (et Israël ne s’est guère privé de jouer continuellement, l’un contre l’autre, les deux volets) cette pause prolongée dans les pourparlers est une bonne nouvelle, augurant d’une accélération du processus d’autonomie. Elle l’est moins pour notre pays qui, malgré la récente libération du Sud, est voué à ne retrouver une certaine normalité régionale qu’une fois amorcé enfin un règlement final syro-israélien, lequel reste hypothétique. Cela dit, c’est surtout l’opportunité d’un réexamen de l’ensemble des rapports entre les deux pays qu’évoque irrésistiblement, pour la plupart des Libanais, l’ouverture d’une page nouvelle à Damas. Les erreurs historiques du passé doivent être corrigées, et il serait impensable que Bachar el-Assad fasse preuve d’esprit d’ouverture et de modernité vis-à-vis de ses propres concitoyens mais non du peuple libanais, dont il ne peut ignorer pourtant les aspirations profondes. Car régimes et gouvernements ne font finalement que passer et c’est dans cette seule direction qu’il convient de rechercher les intérêts réels des deux pays. Et c’est à l’aune d’une amitié sincère et solide, car librement consentie et nullement imposée par la loi du plus fort, que le futur chef de la Syrie devrait mesurer ses atouts libanais : non à celle des interminables cohortes de bachariens nouveaux accourant aux condoléances, de fidèles de la génération spontanée répondant hier encore à d’autres labels. Et soucieux, par-dessus tout, de ne pas rater le train.
Quel Proche-Orient après Hafez el-Assad, quelle Syrie, et par incidence quel Liban ? Autant le chef disparu intriguait, impressionnait, en imposait, inquiétait de son vivant, autant son décès vient plonger la région tout entière dans un océan d’incertitudes. Le plus extraordinaire, dans le lourd et singulier flottement qui accompagne cette disparition, c’est que la crise...