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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Colloque - Structures communautaires et institutions constitutionnelles I - Au Liban, religion et fonction de légiférer restent intimement liées(photo)

Dans le cadre de la célébration de son 125e anniversaire, l’Université Saint-Joseph a organisé un colloque sur le thème «Droit et religion», un sujet d’une actualité brûlante au Liban, qui fait l’objet d’un débat permanent dans les milieux politiques, universitaires et populaires. Nous publions aujourd’hui de larges extraits de l’intervention de M. Bahige Tabbarah, ancien ministre de la Santé, qui souligne combien la religion et la fonction de légiférer restent intimement liées au Liban. Rarement autant qu’au Liban, la religion est aussi présente dans la fonction de légiférer. La religion l’est d’ailleurs autant, sinon davantage, dans d’autres domaines : politique, administratif ou juridictionnel. Car, c’est le propre de tout régime communautaire que des communautés existant sur un même territoire sous le signe de la religion se trouvent, de ce fait, soumises à des juridictions autonomes formées de membres de leurs hiérarchies religieuses, auxquelles l’État a reconnu la compétence d’appliquer leurs lois et coutumes en des matières relevant du statut personnel, entendu en son acception la plus large. Il n’est, pour s’en convaincre, que de relire l’article 9 de la Constitution qui remonte à l’année 1926 et qui stipule que l’État «garantit aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux». Il en est de même de l’article 19 modifié suite à l’accord de Taëf et relatif à l’institution du Conseil constitutionnel. Il est, en effet, frappant de constater que les chefs des communautés reconnues légalement (qui sont aujourd’hui au nombre de 18) se voient octroyer le droit de saisir le Conseil en ce qui concerne le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux. Et ce, au même titre que le président de la République, le président de la Chambre des députés, le président du Conseil des ministres et de dix députés réunis. Cette disposition n’est d’ailleurs pas restée lettre morte, car le 25 octobre 1999, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une requête de cheikh Bahjat Ghaith en sa qualité de cheikh Akl et chef religieux de la communauté druze en vue de l’annulation pour motif d’inconstitutionnalité d’une loi portant sur la réorganisation des wakfs de la communauté. Par un arrêt rendu le 23 novembre 1999, le Conseil, après avoir confirmé la qualité du requérant, a annulé certaines dispositions de la loi attaquée, considérées comme étant prises en violation des principes constitutionnels et portant atteinte à l’indépendance de la communauté druze dans la gestion et l’administration de ses biens wakfs. Cette situation, de fait et de droit, ne saurait s’expliquer sans un retour aux origines du régime communautaire lesquelles, comme le rappelle Edmond Rabbath, sont rattachées à l’État musulman qui en a posé les fondements. Dans les pays d’Islam, écrit-il, les groupements différenciés que la conquête avait agglomérés, sans jamais les fondre ensemble, demeurèrent autonomes et séparés, vivant, au cours d’une longue histoire, une vie morale et spirituelle et, partant, politique, qui ne fut jamais commune. Ce même sujet avait déjà été développé par Pierre Rondot, un autre éminent spécialiste en la matière. (...) Ce régime, d’une part, écrit Rondot, laisse subsister au sein de l’État, qui ne peut devenir entièrement unitaire, les entités distinctes, reconnues par traités, des Églises et des Synagogues ; d’autre part, il fonde une grande tolérance. Les «Gens du Livre» se voient garantir, sous la sauvegarde de leurs chefs religieux, la liberté de conscience, l’essentiel de l’exercice de leur culte et le privilège d’être régis par leur propre loi religieuse et soumis à la juridiction patriarcale en matière de statut personnel. L’inégalité de traitement entre musulmans et non-musulmans ne pouvait s’expliquer ni se concevoir que dans le cadre d’un État islamique où les musulmans faisaient partie intégrante des institutions et des rouages étatiques. Ce n’est que depuis l’avènement de l’État libanais, que ce soit sous le Mandat ou depuis l’Indépendance, que la question s’était posée d’étendre aux communautés musulmanes le statut organique réservé jusque-là aux non-musulmans. Il en est resté, cependant, une inégalité, en quelque sorte théorique, du fait que les juridictions musulmanes de statut personnel demeurent à la charge de l’État. Pluralisme législatif assorti d’un pluralisme juridictionnel, tous les deux autonomes, telle est la physionomie du Liban d’aujourd’hui. Pluralisme législatif ? On serait plutôt tenté de dire qu’il s’agit – dans certaines matières – d’une véritable délégation de la souveraineté législative au profit des organes compétents de la communauté religieuse concernée. Nous verrons tout à l’heure ce qu’il en est pour les communautés chrétiennes. Pour les musulmans sunnites, une loi de 1956 est venue reconnaître au Conseil islamique le droit de réviser la totalité des dispositions de la loi organique qui régit la communauté (D.-L. N° 18 du 13/1/1955) et de modifier tout ce qui lui paraîtra nécessaire, en vue de réaliser son but fondamental. Les décisions en ce sens, ainsi qu’en tout ce qui concerne l’ifta’ (soit les avis officiels religieux), l’organisation de la communauté religieuse et l’administration de ses wakfs, étant exécutoires par elles-mêmes à condition qu’elles ne soient pas incompatibles avec les lois touchant à l’ordre public. Parallèlement, la communauté chiite s’est vu octroyer le même privilège dans sa loi organique N° 72 du 19 décembre 1967. (...) Déjà en 1936, l’arrêté N° 60 avait invité les communautés à présenter au gouvernement leurs lois propres. Mais cette invitation n’a point été suivie d’effet. Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la codification soit entreprise effectivement. Elle fut réalisée pour la communauté druze par la loi du 24 février 1948. Puis d’autres dispositions relatives au fond du droit furent contenues dans la loi du 16 juillet 1962 relative aux tribunaux chari’. Pour toute autre matière non réglée par ces textes, la loi renvoie au code ottoman de la famille de 1917 et à la doctrine hanafite pour les sunnites et à celle du rite ja’farite pour les chiites. Quant aux communautés non musulmanes, c’est la loi du 2 avril 1951 qui leur a imparti un délai d’un an en vue de rédiger leurs statuts personnels et de les présenter au gouvernement. L’article 33 de cette loi reconnaît expressément à ces communautés le droit de légiférer en matière de statut personnel, le rôle du gouvernement se limitant à vérifier la conformité des textes à l’ordre public et aux lois fondamentales de l’État et des communautés avant leur approbation. Les textes présentés par les diverses communautés sont demeurés à l’état de projets, faute de vérification et d’approbation, à l’exception de la communauté copte orthodoxe. La reconnaissance de cette 18e communauté est intervenue en 1996, et nous pouvons, en effet, lire ceci dans l’exposé des motifs de la loi relative à cette reconnaissance : «Attendu que (...) cette communauté a présenté ses statuts au gouvernement conformément à l’article 4 de l’arrêté 60 lesquels sont conformes à la condition prévue à l’article 5 de l’arrêté 60». Mais la jurisprudence de la Cour de cassation a considéré que les projets de statut personnel sont applicables dans la mesure où ils forment une simple codification des usages et coutumes de la communauté, à l’exclusion des dispositions contraires à l’ordre public et aux lois fondamentales (...) Je viens de citer deux textes législatifs importants : la loi de 1951 et l’arrêté N° 60 de 1936 – ce dernier émanant du haut-commissaire français le comte Damien de Martel et ayant force de loi. Importants non seulement par leur contenu, mais également – dans le contexte qui nous intéresse ici – par les réactions qu’ils ont suscitées (...) (qui) constituent des jalons dans le long parcours de la législation à caractère religieux au Liban (...) L’arrêté N° 60/36 L’arrêté 60 avait été précédé par deux tentatives de l’autorité mandataire en vue de limiter les immunités et privilèges dont jouissaient les communautés. C’est ainsi que le général Weygand avait tenté en 1924 d’établir une loi commune de statut personnel. Puis en 1926, le haut-commissaire Henry de Jouvenel avait esquissé une réforme en confiant aux tribunaux civils le soin de juger les litiges en matière de statut personnel et en réduisant la compétence des juridictions confessionnelles, y compris les tribunaux chari’, aux seules affaires du mariage. Edmond Rabbath rapporte que cette réforme devait être suivie par l’élaboration d’une législation civile de statut personnel et l’institution du mariage civil. Devant les violentes protestations de toutes les communautés, le haut-commissaire se trouva obligé de rapporter son projet. Dans l’esprit de son auteur, l’arrêté 60, complété et modifié en 1938 par l’arrêté N° 146, devait constituer la loi organique régissant l’existence et le fonctionnement de toutes les communautés, sans exception. Ces deux arrêtés, outre qu’ils rendaient effectif le principe d’égalité entre les communautés, affirmaient la liberté absolue de conscience et instituaient la liberté de conversion dans les deux sens. «Quiconque a atteint sa majorité, stipule l’article 11 de l’arrêté N° 60, et jouit de son libre arbitre peut, avec effet civil, sortir d’une communauté à statut personnel reconnue ou y entrer et obtenir la rectification des inscriptions le concernant au registre de l’état civil». Il lui suffirait, le cas échéant, de produire un acte contenant sa déclaration de volonté ainsi qu’un certificat d’acquiescement de l’autorité compétente de la communauté où il entre. Les protestations des ulémas de Damas ainsi que du mufti de Beyrouth ne se firent pas attendre. Les masses musulmanes manifestèrent leur opposition avec une violence telle que Gabriel Puaux, succédant au comte de Martel, ne trouva d’autre issue à la crise que d’écarter les musulmans de l’effet exécutoire des deux arrêtés, lesquels, d’après l’arrêté N° 53 du 30 mars 1939, «sont et demeurent sans application à l’égard des musulmans». Du coup, le champ d’application des arrêtés 60 et 146 s’est trouvé restreint aux seules communautés chrétiennes et israélite auxquelles lesdits arrêtés reconnaissent la personnalité morale et en consacrent l’autonomie en matière de statut personnel dans les deux domaines législatif et juridictionnel, ainsi que dans la gestion de leurs biens communautaires. La loi du 2 avril 1951 La loi 1951 a vu le jour dans un contexte et pour des motifs bien différents. Présentée sous le titre de «la délimitation des compétences des autorités confessionnelles pour les communautés chrétiennes et la communauté juive», cette loi, pour des motifs politiques, avait pour but d’aligner les attributions des juridictions de ces communautés sur celles, nécessairement plus larges, des tribunaux musulmans – organes d’une communauté qui, traditionnellement, s’identifiait avec le pouvoir (...) Outre les attributions couvrant toutes les matières qui ressortissent du statut personnel, dans son sens le plus extensif, la loi de 1951 a transféré aux autorités communautaires une compétence générale en tout ce qui concerne les wakfs, les institutions d’éducation et d’enseignement, la rédaction et l’enregistrement des testaments et l’homologation des procurations à produire dans les procès, sans compter les affaires ayant trait aux membres du clergé et des ordres religieux. L’exécution des jugements rendus par les juridictions communautaires étant confiée au bureau exécutif auprès des tribunaux ordinaires. Cette loi qui a eu pour effet d’accentuer encore le régime communautaire semble avoir pris les avocats au dépourvu. Une grève symbolique d’un jour fut observée le 27 juin de la même année suivie en août par une proposition de loi de Camille Chamoun, futur président de la République, préconisant l’abrogation de la loi et la réduction des attributions des tribunaux chari’ et communautaires. La grève de 80 jours des avocats Ce n’est qu’en octobre 1951 que l’assemblée plénière de l’Ordre des avocats de Beyrouth approuve un projet de loi en trois articles ainsi conçu : «La compétence des tribunaux religieux et chari’ se limite aux fiançailles et à leur rupture, au contrat de mariage et son annulation, au divorce et à la séparation de corps. Ces tribunaux appliqueront le code de procédure civile et percevront les droits judiciaires en vigueur». L’article 3e du projet appelle à l’abrogation de la loi du 2 avril 1951 et de tout autre texte législatif ou réglementaire incompatible avec les dispositions du projet. L’Ordre des avocats (...) ne s’était pas contenté d’attaquer la loi de 1951 mais, conséquent avec lui-même, exigea en même temps la réduction des attributions des tribunaux musulmans. Une grève ouverte fut décrétée pour que le projet de l’Ordre soit transmis à la Chambre des députés. Les réactions à l’ordre de grève ne se firent pas attendre. D’un côté, les chefs religieux, toutes confessions confondues, prirent nettement position contre le projet des avocats. Le 24 janvier, les chefs des communautés chrétiennes et juive réunis à Bkerké sous la présidence du patriarche maronite Arida proclament leur attachement à la loi de 1951 qui constitue «une reconnaissance de leurs droits acquis depuis les siècles les plus anciens», ainsi que leur attachement au principe de l’égalité entre tous les Libanais sans distinction de communauté ou de religion. Ils désapprouvent la campagne de dénigrement menée contre les tribunaux religieux et tiennent le gouvernement responsable de toutes les conséquences d’une modification de la loi. Sous la pression des réunions tenues dans les mosquées de Tripoli, l’Ordre des avocats du Liban-Nord s’abstient de se rallier au mouvement de grève. Par contre, des dépêches d’appui, émanant notamment d’étudiants d’université, parviennent à l’Ordre des avocats qui menace de radiation tout avocat qui s’oppose à son projet. (...) Le gouvernement (...) évite de prendre parti jusqu’au moment où, le 3 avril, une grève est décrétée dans les quartiers ouest de Beyrouth en opposition au projet des avocats et pour le maintien des attributions des tribunaux chari’. Le journal an Nahar rapporte que le chef du gouvernement a fait le tour des souks exhortant les commerçants à ouvrir leurs boutiques car, leur dit-il, «aucun projet ne sera soumis au Parlement sans avoir été auparavant agréé par le peuple». Le même jour, le conseil de l’Ordre se réunit et prend acte d’une lettre adressée au ministre de la Justice par le chef de cabinet du président de la Chambre des députés l’informant que ce dernier avait décidé d’inscrire à l’ordre du jour un projet de loi sur le statut personnel transmis par la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice. Cela étant, le Conseil de l’Ordre – bien qu’estimant que le projet en question ne réalise pas les vœux progressistes du pays – décide de s’en remettre à la Chambre des députés et de mettre fin à la grève. Cette grève aura duré plus de 80 jours – fait sans précédent dans les annales de l’Ordre des avocats – sans réaliser aucun de ses objectifs : la loi de 1951 étant toujours en vigueur, et le projet étant toujours dans les tiroirs des commissions de la Chambre des députés ! L’issue malheureuse de la grève des avocats n’est pas sans rappeler le sort qu’a connu la Cour civile spéciale d’unification de la jurisprudence créée en 1944. Les décisions rendues par cette cour, dont les attributions furent transférées par la suite à l’assemblée plénière de la Cour de cassation, avaient force de loi et un caractère obligatoire. Après avoir rendu près de 50 arrêts dans des matières aussi variées que les loyers, le droit foncier et le droit du travail, la Cour spéciale fut confrontée à un sujet particulièrement délicat, à savoir si la réserve testamentaire devait s’appliquer aux donations des musulmans entre vifs. L’arrêt de la cour, pris à la majorité, mettait en jeu des règles religieuses prêtant à interprétation. Cet arrêt ne fut pas étranger au décret législatif N° 77 du 13 avril 1953 qui mit fin à cette expérience et ôta aux arrêts précédemment rendus par la Cour leur forme obligatoire pour revêtir le caractère d’une simple jurisprudence. La tentative récente de mariage civil facultatif (...) Enfin, le 5 février 1998, le président Élias Hraoui distribua aux ministres un projet de loi, sous forme de fascicule de 35 pages intitulé : «Loi facultative de statut personnelÈ, afin d’être discuté ultérieurement. (...) Le 18 mars, le président Hraoui soumet le sujet, à nouveau, en dehors de l’ordre du jour de la séance. La discussion s’engagea sur le principe du projet et sur son opportunité, sans aller dans le détail de ses dispositions. Le président proposa ensuite de passer au vote, en laissant aux ministres la possibilité de présenter leurs observations plus tard par écrit. 21 ministres votèrent pour, 6 contre, dont le président du Conseil et moi-même, avec une seule abstention. Dès sa mise en circulation, le projet Hraoui suscita de vives réactions. «Tollé mahométan », titre L’Orient-Le Jour du 13 février 1998. Le quotidien ajoute : «Qu’on se le dise une fois pour toutes, c’est non», répète Dar el-Fatwa qui a pris la tête de cette croisade à laquelle Bkerké dit s’associer par solidarité socio-spirituelle. Le président du Conseil des ministres, Rafic Hariri, estime, pour sa part, que sur un sujet aussi délicat, il est préférable que le traitement se fasse dans le calme, et qu’en tout état de cause, une question aussi importante requiert un très large consensus national. (...) (Mon) opinion (...) se réfère à l’accord intervenu à Taëf concernant le confessionnalisme et qui s’est concrétisé, en 1990, par une nouvelle rédaction de l’article 95 de la Constitution. Dorénavant, l’abolition du confessionnalisme est posée dans la Constitution comme un objectif qu’il faut réaliser par étapes selon un mécanisme bien déterminé. À cet effet, l’article 95 nouveau prévoit la création d’un comité national, présidé par le président de la République et comprenant, en plus du président de la Chambre des députés et du président du Conseil des ministres, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales. La mission du comité – et je cite la Constitution – «consiste à étudier et proposer les moyens de supprimer le confessionnalisme et à les présenter à la Chambre des députés et au Conseil des ministres, ainsi qu’à poursuivre l’exécution du plan par étapes». Ce texte constitutionnel, qui n’existait pas avant 1990, a donc soumis l’abrogation du confessionnalisme à un mécanisme précis et a requis que cela se fasse sous le contrôle du comité national selon un plan par étapes dûment agréé et approuvé. Le président Hraoui a d’ailleurs très bien fait ressortir le rôle du comité dans un message qu’il a adressé au président de la Chambre des députés le lendemain de la réunion du Conseil des ministres, soit le 19 mars 1998, exhortant le Parlement à procéder à la formation du comité pour remplir sa mission. Et le président Hraoui d’ajouter (...) : «Je suis anxieux de voir le confessionnalisme déraciné afin d’extirper les causes des disputes communautaires successives dans notre société et sur notre terre». Il était évident que, dans l’esprit du président, comme de tous ceux qui ont précédemment préconisé l’institution du mariage civil facultatif, celui-ci constituait un premier pas dans le long processus de déracinement du confessionnalisme. Il en est de même, d’ailleurs, pour d’autres mesures destinées à atteindre le même but, telles que, à titre d’exemple, la reconnaissance aux tribunaux ordinaires du droit de juger en matière de statut personnel tout en appliquant les lois de la communauté des plaidants, ou le rattachement de tous les tribunaux chari’ et religieux au ministère de la Justice, ou encore l’élaboration d’une loi civile uniforme dans tous les domaines du statut personnel qui régirait dans une première étape ceux des Libanais qui l’auraient volontairement choisie, et régirait ultérieurement tous les Libanais sans exception. Or, a mon avis, il n’est plus possible, sans enfreindre l’esprit sinon la lettre de l’article 95, de recourir à des mesures séparées, détachées du plan global qui doit être réalisé par étapes pour abroger le confessionnalisme. Autrement, quel rôle resterait au comité national, et comment celui-ci, une fois constitué pourrait-il assumer les fonctions dont il est investi par la Constitution ? Ce bref exposé aura peut-être servi à montrer combien religion et fonction de légiférer sont intimement liées au Liban – notamment dans tout ce qui a trait au statut personnel, dans son acception la plus large. Et combien délicate, par les réactions qu’elle suscite, est toute intervention dans ce domaine. Mais le fait qu’il s’agit d’un travail de longue haleine, où il convient de procéder par petites touches, adroitement choisies, sans recours à des slogans pompeux et inutiles, ne doit pas décourager les bonnes volontés. Il y a plus d’un demi-siècle, Pierre Rondot, avec une grande lucidité d’esprit, avait déjà fait cette constatation que les faits ont confirmé, à maintes reprises, par la suite. «On saisit ici – écrivait-il en 1947 dans sa thèse sur “Les institutions politiques au Liban” – la difficulté de procéder, en la matière, par législation d’ensemble et de principe. Une mesure isolée, prise à un moment opportun (comme la reconnaissance de la communauté chiite au Liban), peut passer avec le minimum de réactions ; une réforme générale soulève un faisceau de protestations, qui empêchent le plus souvent de la maintenir».
Dans le cadre de la célébration de son 125e anniversaire, l’Université Saint-Joseph a organisé un colloque sur le thème «Droit et religion», un sujet d’une actualité brûlante au Liban, qui fait l’objet d’un débat permanent dans les milieux politiques, universitaires et populaires. Nous publions aujourd’hui de larges extraits de l’intervention de M. Bahige...