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Actualités - DISCOURS

Le patriarche Sfeir : une vie passée à combattre le mensonge

Voici le texte intégral de l’oraison funèbre prononcée par le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir : «S’il était donné au grand disparu auquel nous faisons, aujourd’hui, avec profonde tristesse, nos adieux, de choisir une devise de vie, il aurait pris, pensons-nous, ce verset du Livre des Proverbes : “C’est la vérité que ma bouche proclame, le mal est abominable à mes lèvres”. «Oui, Raymond Eddé a passé sa vie à combattre le mensonge, à proclamer le droit, à faire éclater la vérité. C’est ce qui en a fait une figure nationale, un parlementaire éminent, un homme d’État de l’étoffe des présidents, capable de voir loin et juste. Il aurait d’ailleurs facilement accédé à la première magistrature, s’il avait modifié, fut-ce d’un iota, ses constantes, composé, fut-ce un instant, sur ses principes ou modifié, même éphémèrement, ses convictions. «Raymond Eddé a vu le jour à Alexandrie le 15 mars 1913, dans une famille rompue à l’art de la politique et respirant la liberté. Ses grand-parents, comme l’avaient fait de nombreuses familles libanaises alors, s’étaient rendus au début du siècle en Égypte, loin du cauchemar ottoman, en attendant que se lève, avec l’effondrement de l’“Homme malade” comme les historiens décrivent l’empire ottoman, une aube nouvelle sur le Liban et la région, aube de la liberté, d’indépendance et de souveraineté nationale. C’était l’objectif poursuivi par le père du grand disparu, feu le président Émile Eddé, en sa qualité de membre de la délégation qui s’est rendue au congrès de Versailles, en 1919, sous la présidence de feu le patriarche Élias Hoyeck. C’est aussi ce qui lui avait permis par la suite de devenir président de la République, après Charles Debbas et Habib Pacha Saad, durant l’époque du mandat français, à la fin des années 30. «C’est dans ce milieu que grandirent le Amid et son frère, feu Pierre, qui devait devenir par la suite député et brillant ministre. Encore jeune homme, le Amid, après avoir succédé à son père à la tête du Bloc national, décida de s’intéresser à la chose publique. Il entra donc dans l’arène politique, où la chance lui sourira souvent, sinon toujours. Il sut se montrer proche de ses partisans, qui l’aimèrent et lui furent loyaux, admirant ses avis et ses prises de position nationales. Son style d’action était marqué par la sincérité et la franchise. Il ne disait que ce qu’il pensait. Il prouva que la politique n’est pas, comme certains le pensent, ruse et mensonge. Mais qu’elle est, comme le dit Vatican II, l’art du bien commun, un art noble basé sur la franchise et la transparence, selon ces mots du Christ : “Que votre langage soit : «Oui ? oui”, “Non ?, non” : ce qu’on dit de plus vient du mauvais» (Matt. 5:38). «C’est par souci de servir sa nation que Raymond Eddé chercha à occuper un siège parlementaire. Afin de lui assurer un avenir prospère, grâce à une législation saine et un contrôle vigilant de la politique gouvernementale. La députation ne fut jamais pour sa satisfaction personnelle, ou moyen d’enrichissement aux dépens de l’intérêt public, ou paravent pour des abus, ou justification à des entorses à la légalité ou, au meilleurs des cas, fonction sociale recherchée pour la satisfaction d’amour-propre qu’elle procure. Il sut élever ses électeurs à ce niveau. Ils durent se contenter de le voir agir en chevalier dans l’arène parlementaire, et lui épargnèrent le devoir d’être à leurs côtés dans les célébrations des heures et malheurs de la vie quotidienne, afin de lui laisser le temps de formuler une proposition de loi, de débattre d’une cause, d’effectuer de longues recherches à l’appui d’une opinion, ou de réfuter le point de vue d’un adversaire. «C’est ainsi que purent voir le jour ces lois qui portent son nom : “Enrichissement illicite”, “Secret bancaire”, “Peine capitale”, parmi d’autres législations grâce auxquelles il tenta d’élever son pays au rang de saine démocratie. «En général, Raymond Eddé fut un chef qui savait ce qu’il voulait et où il voulait parvenir. Il refusa catégoriquement d’être conduit vers l’inconnu, ou vers une destination qu’il refusait. C’est pourquoi il fut condamné à un exil volontaire un quart de siècle durant, des années vécues comme s’il était au Liban, avec les Libanais, partageant leurs soucis quotidiens de pensée, de cœur par les avis et les prises de position. Il goûta à l’amertume de l’éloignement, de la frustration et du désenchantement. À l’heure où une issue s’annonçait, sa dernière heure survint. Il en verra la réalisation d’auprès de son Seigneur». Un homme d’État «Sa vie couvre un demi-siècle de l’histoire du Liban. Il prit position à tous les tournants historiques : accord du Caire, accord tripartite, accord de Taëf et ce qui s’ensuivit : élections législatives et mesures exécutives. Il combattit sans relâche les atteintes à la liberté, et l’asservissement des institutions et des services à l’arbitraire politique. Il cherchait toujours la cohérence entre ses paroles et ses actes. Et quand le cours des choses prenait une direction qui lui déplaisait, il démissionnait sans hésiter de son poste de responsabilité, sans un regard pour les satisfactions du pouvoir et la vaine gloire. Il sut nouer des liens d’amitié et de cordialité avec toutes les parties libanaises, de tous horizons et confessions, et incarna de façon exemplaire la coexistence, n’ayant d’autre ami que le droit et le Liban et d’autre ennemi que la corruption et l’oppression. «Il adressa de longues lettres ouvertes aux différents chefs d’État, dans lesquelles il sut analyser, argumenter critiquer, orienter. Il ne cessa de s’enorgueillir, durant les guerres libanaises, d’avoir interdit à ses partisans de prendre les armes, bien qu’il essuya trois tentatives d’assassinat. Sa stature politique était d’une envergure nationale. C’est pourquoi, lorsqu’il lançait un appel, il était souvent écouté. Qu’il fut appelé “conscience du Liban” ne doit donc pas étonner. «Dans sa chambre d’hôtel à Paris, il fit de tous les dimanches une rencontre politique où se retrouvaient les Libanais et leurs amis, pour évaluer la situation de la Patrie blessée. Il portait légèrement ses 87 ans, l’air jeune, l’esprit clair, plein d’humour, la répartie rapide, innocent dans ses plaisanteries. «Il n’était pas loin de Dieu, et on le voyait très souvent à la première rangée dans l’église Notre-Dame du Liban, à Paris. Il avait d’ailleurs grandi dans une famille unie, auprès d’une mère pieuse. L’un de ses oncles avait embrassé la vocation religieuse chez les Jésuites. Voici quelques années, il nous avait fait part de sa volonté de faire don à l’Église de la maison paternelle, à Kab Élias, afin qu’elle soit transformée en église portant le nom de Saint-Émile. Ce fut fait. «La perte du grand Amid est grande. Nous présentons nos condoléances à tous ceux qui nous en ont fait part, et particulièrement aux membres de sa famille, à son neveu et successeur à la tête du Bloc national, M. Carlos Eddé, et demandons pour eux tous et tous les Libanais abondance de consolation, et au grand disparu, que la terre du Liban accueille tendrement, le repos éternel».
Voici le texte intégral de l’oraison funèbre prononcée par le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir : «S’il était donné au grand disparu auquel nous faisons, aujourd’hui, avec profonde tristesse, nos adieux, de choisir une devise de vie, il aurait pris, pensons-nous, ce verset du Livre des Proverbes : “C’est la vérité que ma bouche proclame, le mal est abominable...