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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le numéro deux irakien affirme ne pas courir après un dialogue avec les Etats-Unis Taha Yassine Ramadan : le Liban-Sud, une leçon pour tous les arabes (photos)

Le vice-président irakien n’est pas un diplomate. Dans son bureau aux meubles peints dans des couleurs gaies (blanc, bleu et doré), Taha Yassine Ramadan n’a pas, de prime abord, l’air redoutable. Mais lorsqu’il commence à parler sans mâcher ses mots, loin de la langue de bois habituelle aux responsables arabes, le numéro 2 officiel du régime irakien peut devenir un adversaire féroce. Ses idées sont claires et ses propos sans nuances. C’est pourtant avec beaucoup de gentillesse qu’il répond à toutes les questions, y compris celles portant sur le rôle de son pays pendant la guerre du Liban. En cette période de célébration de l’anniversaire du président Saddam Hussein, il doit représenter ce dernier dans plusieurs cérémonies, mais il trouve le temps de faire le point sur la situation générale pour L’Orient-Le Jour. La première question porte sur la récente déclaration dans laquelle il annonçait la disposition de l’Irak à nouer un dialogue avec les États-Unis. Q- Pourquoi maintenant ? R- Je n’ai jamais fait une telle déclaration. Si quelqu’un a écrit cela, c’est un mensonge. En réponse à une question, j’ai précisé que nous n’avions aucun problème à nouer un dialogue avec les États-Unis, car cela reste le meilleur moyen de se comprendre, mais il n’a jamais été question de le faire à n’importe quel prix. Nous ne recherchons pas un tel dialogue et ce n’est pas nouveau. Depuis le début, nous voulons établir un dialogue équilibré, mais pas à tout prix. Q- Pourquoi êtes-vous hostile à M. Hans Blix? Détenez-vous des informations précises sur sa coopération avec les Américains ? R- Le problème n’est pas Hans Blix. C’est une question de principe pour nous. M. Blix n’est qu’une personne qui agit sur ordre de la CIA. Nous l’avons déjà expérimenté lorsqu’il était membre de la commission de l’énergie. Aujourd’hui, nous refusons qu’il soit le chef de la nouvelle commission, comme nous refusons la situation dans son ensemble. Même si la commission était présidée par une personnalité connue pour son amitié pour l’Irak, nous refuserions sa venue à Bagdad. Q- Jusqu’à quand l’Irak pourra-t-il tenir ainsi ? R- Il peut tenir longtemps encore. Ce n’est pas un État fantoche. Le blocus dure depuis dix ans et l’Irak résiste parce qu’il refuse de se plier aux exigences américaines. D’ailleurs, je suis convaincu que le blocus finira par se retourner contre les Américains. Déjà, il est constamment brisé. Regardez les délégations étrangères, en provenance de tous les pays du monde, qui se trouvent actuellement à Bagdad. Elles sont venues contre la volonté des États-Unis et leur nombre ne cesse d’augmenter. Nous tiendrons le coup, même en dépit des bombardements. La logique des Américains consistant à utiliser la force pour imposer leur volonté ne nous fait pas peur. S’attendre à tout Q- On parle actuellement d’une nouvelle frappe contre l’Irak, qui précéderait la levée du blocus. R- Nous devons nous attendre à tout de la part d’un pays qui n’a ni histoire ni échelle de valeurs, et qui tue sans vergogne les innocents. Q- Est-il vrai que des sociétés américaines auraient cherché à d’investir en Irak mais que vous auriez refusé ? R- Nous avons refusé, parce que nous sommes ainsi faits. Nous ne pouvons pas accepter que des sociétés américaines ou britanniques fassent des investissements dans notre pays alors que leurs gouvernements tuent nos enfants. Des représentants de ces sociétés ont même été jusqu’à nous dire qu’elles sont hostiles à la politique de leurs gouvernements envers l’Irak, mais rien n’y fait. Pour nous, c’est une question de principe, même si le prix reste très élevé. Certaines sociétés britanniques ont même fait les travaux d’approche en utilisant des représentants arabes... Q- Pensez-vous qu’avec l’élection présidentielle américaine la politique de ce pays à l’égard de l’Irak puisse changer et que se passera-t-il si Bush junior est élu ? R- Nous ne bâtissons pas notre politique, comme d’autres frères arabes, en fonction des personnes, qui misent sur telle ou telle autre administration. Tout comme nous avons trouvé ridicules les commentaires arabes lorsque Barak a remplacé Netanyahu. Pour nous, dans les deux cas, l’objectif est le même : dévorer les droits des Arabes. Le seul pari possible à nos yeux est de compter sur nous-mêmes. Q- Le Koweït soulève actuellement le problème des prisonniers que détiendrait encore l’Irak et le secrétaire général des Nations unies a appuyé cette demande. Ces gens existent-ils ? R- Tout le monde sait qu’il n’y a pas de prisonniers koweïtiens entre les mains de l’Irak. Quel intérêt aurions-nous à les garder ? Il y a bien sûr des personnes perdues, koweïtiennes et irakiennes, mais nous n’avons pas de prisonniers koweïtiens. Dans cette affaire comme dans tant d’autres, M. Kofi Annan est partial et agit conformément à la volonté américaine. Pourquoi ne demande-t-il pas l’application de l’accord pétrole contre nourriture signé en février 1998 ? Aucun des points prévus n’a été appliqué. Les États-Unis et la Grande-Bretagne veulent dresser de nouveaux obstacles pour empêcher la levée du blocus imposé à l’Irak. Malgré cela, de plus en plus de pays opèrent des ouvertures en notre direction. Regardez le niveau de la participation étrangère à la Foire internationale de Bagdad. Le Conseil de sécurité ne lèvera pas le blocus, mais ce n’est pas sur lui que je compte. Mon pari est sur le peuple irakien et sa résistance. Q- De nombreux pays dissocient les conditions humanitaires en Irak de la situation politique. Pensez-vous que ce soit une démarche positive ou au contraire le moyen de creuser le fossé entre le peuple et le régime ? R- Pour nous, toute mesure économique doit s’accompagner d’une démarche politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne voulons pas d’investissements américains et britanniques chez nous. Q- Vous avez rencontré le président iranien en 1997, mais entre l’Irak et l’Iran la situation demeure explosive. À qui la faute ? R- L’Iran a depuis longtemps des ambitions en Irak et dans les pays du Golfe. Nous avons mené contre ce pays une guerre de huit ans. Malgré cela, nous essayons toujours de trouver un minimum d’accord. En 1997, en marge du sommet de l’Organisation islamique, nous avons tenté de régler le problème des prisonniers et certaines questions en suspens, comme celle de nos avions, toujours parqués chez eux. Nous étions même parvenus à mettre en œuvre un mécanisme et la même année, le président Saddam Hussein avait autorisé les pèlerins iraniens à visiter les lieux saints d’Irak. Le vice-président iranien devait se rendre à Bagdad pour finaliser l’accord dans les six mois suivant cette rencontre. Mais rien n’a été fait. Au lieu de concrétiser leurs promesses, les Iraniens arraisonnent nos bateaux... Q- Il y a aussi le problème des Moujahidi Khalq, que l’Irak héberge... R- Ce n’est pas un problème. Ils ont aussi chez eux des mercenaires. Tout cela peut être réglé s’il y a de la bonne volonté. En ce qui nous concerne, elle existe, mais elle ne peut fonctionner à sens unique. Aucune rancœur à l’égard des Arabes qui ont aidé les Américains Q- Où en sont vos relations avec les pays du Golfe ? R- Tant qu’il s’agit de pays arabes, nous ne posons aucune condition. Nous faisons partie de cette nation et nous n’éprouvons aucune rancœur, même envers ceux qui ont aidé les Américains à nous tuer. Nous ne pouvons pas nier notre appartenance au monde arabe et prétendre faire partie de l’Amérique latine. Chaque initiative arabe envers nous sera récompensée. Et si nous évoquons le passé, ce n’est pas pour demander des comptes, mais pour tirer les leçons. La force des Arabes est dans leur unité. Q- N’avez-vous pas encore désespéré des Arabes ? Que signifie aujourd’hui la nation arabe ? R- Les Arabes, ce ne sont pas les gouvernements et les régimes, mais les peuples. Et le peuple arabe a dit son mot. Il est en faveur de l’unité et quand il prône la libération de la terre arabe, l’Irak parle en son nom. Le peuple appuie d’ailleurs l’Irak, bien plus que ceux qui le gouvernent. Q- C’est pourtant eux qui détiennent le pouvoir de décision. R- Nous ne tenons pas compte d’eux. Ils font la fine bouche dès qu’il est question d’un sommet arabe auquel participerait l’Irak, mais n’ont aucun problème à donner l’accolade aux Israéliens. Dans leur for intérieur, leurs peuples ne les respectent pas. Ces gouvernements cherchent à nous dégoûter de l’arabité, mais ils n’y parviendront pas. Au contraire, nous continuons à être foncièrement arabes. Où est donc la fameuse solidarité arabe avec le Liban ? Q- Quel a été votre sentiment au spectacle de la solidarité arabe avec le Liban, démontrée lors de la réunion ministérielle arabe à Beyrouth, alors que l’Irak continue d’être isolé ? R- Où est-elle donc, cette fameuse solidarité ? Ils se sont rendus à Beyrouth et se sont disputés sur le contenu du communiqué final. De plus, ils n’ont même pas accordé une aide financière au Liban et sitôt après avoir quitté Beyrouth, ils ont été pleurnicher chez les Israéliens. L’attitude arabe envers le Liban est une honte. Et ce qui a poussé les ministres à se rendre à Beyrouth, c’est la Résistance libanaise. Aucun pays arabe ne peut prétendre avoir un quelconque mérite dans le prochain retrait israélien du Liban. Tout le mérite revient aux Libanais et à eux seuls. De son côté, l’Irak s’est toujours tenu aux côtés du Liban. Q- Cela ne l’a pas empêché de jouer un rôle pendant la guerre du Liban. R- Vous parlez d’un rôle, je dirais que c’est une position basée sur les principes de notre parti Al Baas qui appuie l’unité des peuples contre les tentatives de division. Nous n’avons pas d’objectif particulier au Liban. Nous sommes avec son unité, sa liberté et son indépendance et nous le considérons comme partie intégrante du monde arabe. Q- L’Irak a pourtant appuyé certaines parties contre d’autres au Liban, dans le but de servir ses intérêts, notamment sa politique hostile à la Syrie... R- Nous avons surtout cherché à concrétiser nos slogans d’une façon que nous avons cru bonne. Je peux vous affirmer que l’Irak est pour tout ce qui renforce le Liban et son unité. Le mérite du retrait israélien revient au peuple libanais Q- Pourtant, pendant la guerre, vous avez aidé des parties qui étaient accusées de vouloir la partition du Liban... R- Nous sommes avec le peuple libanais et avec son gouvernement, tant qu’il respecte la volonté du peuple. Or, ce dernier a prouvé qu’il était uni. Il a surmonté les épreuves et la guerre, destinées à le diviser pour servir les intérêts des pays de la région. Le peuple libanais a montré qu’il était le plus fort et c’est lui seul qui doit tirer profit de sa victoire, d’autant que tous les autres pays ont cherché à le détruire. Q- Comment expliquez-vous le fait que le Liban ne vous accorde pas une représentation diplomatique, en dépit des échanges commerciaux ? R- Le Liban n’est pas entièrement libre de sa décision. Il demeure à la merci de volontés étrangères et ce sont ces pays arabes qui dressent les obstacles entre le Liban et l’Irak. Les échanges commerciaux entre nos deux pays sont la meilleure preuve de l’étendue des relations qui existent entre nous. Q- Dans certaines chancelleries, on évoque la possibilité d’installer une partie des réfugiés palestiniens en Irak, en contrepartie de la levée du blocus... R- Nous ne sommes pas intéressés par ce genre de règlements. Nous les rejetons et nous estimons que ceux qui coopèrent avec ceux qui les envisagent sont des traîtres. Par ailleurs, l’Irak est le pays de tous et chaque citoyen arabe y est bien accueilli. S’il souhaite y vivre, ahlan wa sahlan, il y sera soumis à la loi irakienne, non à celle qui régit les étrangers. Concernant le blocus, nous pensons qu’il a peu d’importance tant que nous restons convaincus d’avoir raison et d’être victorieux. Si un jour le Conseil de sécurité décide de lever ses sanctions, ce sera grâce à notre résistance. C’est un peu comme ce qui s’est passé au Liban-Sud, où les résistants ont contraint les Israéliens à se retirer. Tous les gouvernements arabes devraient avoir honte qu’un peuple si petit ait pu libérer son territoire sans accorder la moindre contrepartie, alors que d’autres pays arabes, qui se considèrent comme des géants, supplient depuis 25 ans pour récupérer des bouts de territoire. Ce qui se passe au Liban devrait servir de leçon à tous les Arabes...
Le vice-président irakien n’est pas un diplomate. Dans son bureau aux meubles peints dans des couleurs gaies (blanc, bleu et doré), Taha Yassine Ramadan n’a pas, de prime abord, l’air redoutable. Mais lorsqu’il commence à parler sans mâcher ses mots, loin de la langue de bois habituelle aux responsables arabes, le numéro 2 officiel du régime irakien peut devenir un...