Délire sans frontière

Tous les pays normaux ont des frontières. Celles-ci sont généralement délimitées, cernées, photographiées, cartographiées, topographiées, géodésiées. Bref, elles sont visibles, quoi ! D’un côté, tu es chez toi, de l’autre, tu es ailleurs. Chez toi, tu es un citoyen pur jus, de l’autre, un immigré de bas étage. C’est la vie, le bon sens dans toute sa simplicité… sauf chez nous. À l’ère de l’Internet, je crois qu’on peut se targuer d’être les premiers à avoir inventé le concept de «frontières virtuelles». Une espèce de ligne tellement poreuse et vaporeuse qu’il faut aller jusque chez les ploucs centenaires et édentés des villages pour savoir par quel vallon ou colline elle a sautillé à travers les âges. Car, tu penses bien qu’elle bouge, cette ligne Siegfried du pauvre… Au Sud, pas de problème, y en aurait au moins trois, nous dit-on: celles de 1923, de 1949 et celle de 1978. Rien moins que ça. Si ça se trouve, il y aura toujours un âne politique bien informé qui en découvrira une quatrième, rien qu’en extrayant la racine carrée de la somme des trois premières. À l’Est, c’est encore plus simple: il n’y a pas de frontière. Tu n’en sors peut-être pas facilement, mais pour ce qui est du mouvement inverse, ça baille comme la porte d’entrée d’un hôtel de passe un jour de promotion. Il n’y a qu’à l’Ouest où notre frontière est verrouillée. Toute invasion serait suicidaire pour cause de flotte marine fouettant bon le fuel et le sac poubelle. Habitants d’un pays-bulle suspendu dans l’espace-temps, nous sommes le seul peuple au monde à ne pas savoir où nous allons. Si nous le savions, nous n’irions peut-être pas.