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Actualités - REPORTAGES

Société - L'inceste, un mal bien plus répandu qu'on ne le croit Familles, je vous hais ... (photo)

res. La fréquence de ce phénomène et surtout l’atmosphère de drame et de mystère qui l’entoure devraient nous amener à nous poser des questions sur les structures sociales qui favorisent son expansion. Il serait peut-être temps d’agir au lieu de se cacher derrière le mur de la fausse bonne conscience. Odile a la trentaine et travaille comme éducatrice spécialisée dans un centre de prévention sociale. De prime abord, elle a tout de la femme sûre d’elle, à la forte personnalité que rien ne semble devoir ébranler. C’est d’ailleurs pour ces qualités qu’elle a été embauchée dans ce centre. Mais dès qu’on la fréquente d’un peu plus près, la belle apparence commence à se lézarder et les failles secrètes à apparaître. Brusquement, sans que l’on y prenne garde, elle laisse entrevoir une inquiétante fragilité. Mais elle se reprend très vite, retrouvant son masque habituel. Il a fallu beaucoup de temps et de patience à la psychothérapeute Hélène Issa pour briser la carapace derrière laquelle se dissimule la véritable Odile. Une fois mise en confiance, Odile a raconté sa triste histoire. Elle avait 7 ans et son frère 12. Leur mère, voulant avoir la paix, lui ordonnait de rester avec son frère. Ce dernier l’emmenait dans un coin retiré de la maison, la plaçait sur sa cuisse et entamait un mouvement de va-et-vient. Petit à petit le frère ne s’est plus contenté de ce simple mouvement et s’est mis à se masturber. Une effroyable culpabilité Terrorisée, Odile n’osait rien dire, craignant par-dessus tout que l’on ne découvre la tache sur ses habits. Le rituel s’est poursuivi pendant dix ans. Et pendant tout ce temps, l’adolescente portait ce lourd secret, se détestant d’être complice de son frère et n’osant en parler à personne. Elle faisait fréquemment des crises d’épilepsie, surtout au contact de l’eau sur son corps. Elle a même été hospitalisée à plusieurs reprises, mais les médecins ne parvenaient pas à diagnostiquer l’origine de ces crises. À dix-sept ans toutefois, elle décide de prendre ses distances. Elle adhère au mouvement des guides et s’éloigne de son frère. Elle est ainsi sortie de ce cercle fermé et a interrompu le cycle de la honte, gardant toutefois en elle les séquelles de cette triste expérience. Son frère, quant à lui, a épousé sa cousine maternelle, restant ainsi dans le cercle familial, et il est parvenu à trouver une formule lui permettant de continuer à vivre auprès de sa mère. Et le père dans tout cela ? Aussi loin que se souvienne Odile, il fuyait les responsabilités et la présence castratrice de sa femme dans l’alcool. Jeanne a 26 ans et traîne un profond dégoût de son corps qu’elle dissimule sous des vêtements amples, cultivant une apparence asexuée et cherchant avant tout à passer inaperçue. Elle parle peu, toujours à voix basse et n’intervient dans une conversation que lorsqu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Jeanne a été violée par son grand-père de six à 16 ans. Au début, elle ne savait pas trop ce qui se passait, mais en grandissant, elle a compris, sans jamais oser en parler, car elle se sentait terriblement coupable, comme si c’était elle qui avait provoqué le désir du vieil homme. De plus, il lui disait tellement qu’elle devait lui être reconnaissante de ce qu’il lui faisait, qu’elle ne savait plus où elle en était. «Tu n’imagines pas le bien que je te fais», lui disait-il. «Je t’apprends ce que nul ne fera et, le moment voulu, tu sauras utiliser toutes ces connaissances». La petite fille ne savait qu’opiner de la tête, sans oser prononcer un mot, dégoûtée de ce qu’il faisait et rejetant son corps qui était l’objet de tant de désir. Jeanne a longtemps vécu avec ce poids terrible et ce n’est que récemment qu’elle a consenti à en parler. Un trait commun : le silence Des exemples de ce genre, les psychothérapeutes en ont des dizaines, rapports incestueux entre un père et sa fille, un frère et sa sœur, un grand-père et sa petite fille, un oncle avec sa nièce et plus rarement une mère avec son fils, un père avec ses fils, deux frères, etc. Selon Hélène Issa, toutes les formes d’inceste existent au Liban, mais le trait commun entre les victimes, c’est le silence. Il est très rare qu’une personne ayant subi un inceste en parle spontanément. Il est aussi pratiquement impossible qu’un abuseur évoque ce qu’il fait subir à sa victime. Et comme cela se passe en famille, les autres membres de la cellule familiale respectent cette loi du silence qu’ils sachent réellement ce qui se passe ou qu’ils s’en doutent, sans chercher à vérifier leurs soupçons. C’est pourquoi, lorsqu’une mère affirme ne pas savoir que son mari pratiquait l’inceste avec leur fille, en général, elle ment, consciemment ou non. Lorsqu’elle ne sait pas c’est qu’elle n’a pas voulu savoir, en dépit des multiples signaux qui lui sont parvenus. Les milieux fermés, un terrain fertile Ce qui caractérise l’inceste, c’est qu’il se déroule dans un univers clos. Volontairement ou non, les protagonistes, acteurs ou témoins, semblent liés par tous les non-dits et le noyau familial se resserre. Chaque membre de la famille est prisonnier du phénomène et il faut rompre carrément les liens pour tenter d’en sortir. Pourquoi ce phénomène existe-t-il ? Selon Hélène Issa, qui prépare une thèse de doctorat sur l’inceste, le phénomène est lié à une pathologie individuelle et familiale. Autrement dit, certaines sociétés favorisent le passage à l’acte. Il s’agit essentiellement des sociétés fermées, comme celle du Liban, où le pluralisme, au lieu d’être un élément d’ouverture, devient facteur de cloisonnement, les communautés se refermant sur elles-mêmes à la moindre crise. Les pratiques courantes des vendettas et des mariages endogamiques (les unions para-incestueuses qui poussent un veuf à épouser sa belle-sœur et vice versa, pour rester dans la famille, dit-on), ainsi que les crimes dits d’honneur montrent qu’au Liban, le noyau familial demeure essentiel. Ces milieux fermés favorisent donc l’inceste dont le principal élément est la confusion identitaire. Mme Issa affirme ainsi que dans une famille à pathologie incestueuse, il y a une importante confusion des rôles et des affectivités. La confusion provoquant une forte angoisse, celle-ci se traduit par le passage à l’acte sur les membres les plus faibles de la famille, en général les enfants. Si un adulte répond à la première expression du désir d’un enfant, c’est l’inceste. En général, les pulsions incestueuses existent dans l’inconscient de tout le monde mais la conscience sociale et la peur de la loi empêchent en général le passage à l’acte. Ceux qui pratiquent l’inceste sont justement ceux qui ne parviennent pas à contrôler leurs pulsions et qui considèrent que tout est permis dans le cercle fermé de la famille. Ils choisissent les éléments les plus faibles de la famille pour assouvir leurs besoins. Entre le bourreau et sa victime se crée un lien très fort, fait de haine, de peur et de honte. En général, les victimes d’un inceste ont un problème grave d’identité sexuelle et éprouvent un profond dégoût pour leur corps. De plus, ils souffrent de dépression chronique et ont un mal considérable à communiquer avec les autres. Un enfant ayant subi un inceste devient-il un violeur à l’âge adulte ? «Pas nécessairement», répond Hélène Issa. «Mais il a de fortes chances d’être homosexuel, car dans sa confusion identitaire, il s’assimilera à sa mère et se sentira donc attiré par les hommes, comme elle». Soumission, culpabilité, renfermement sur soi sont les principales caractéristiques des victimes d’inceste, qui se sentent exclues et marginalisées parce qu’elles ont perdu leur intégrité corporelle. Parfois, ces victimes se détestent tellement qu’elles en deviennent agressives avec les autres. Que peut-on faire pour les aider ? Hélène Issa est catégorique : «Il faut d’abord briser le mur de silence derrière lequel les victimes se cachent». Ce n’est certes pas facile, surtout au Liban, où le sujet demeure tabou et où aucune structure n’est prévue pour aider les victimes d’inceste à s’en sortir. Bien qu’il soit condamné par la loi, l’auteur d’une telle pratique est rarement dénoncé tant il a d’emprise sur sa victime et tant la famille cherche en général à le protéger. Les tribunaux traitent donc rarement ce genre de cas et lorsque de telles affaires leur parviennent, ce sont en général des assistantes sociales qui, ayant découvert l’inceste, poussent la victime à porter plainte. Deux filles ont ainsi récemment porté plainte contre leur père. Ce dernier a été condamné et emprisonné. Mais rien n’a été entrepris pour aider les victimes à s’en sortir. D’abord, elles doivent affronter la colère de leur mère et des autres membres de la famille, outrés par le scandale provoqué par la plainte. De plus, le père étant le seul pourvoyeur de fonds de la famille, depuis son emprisonnement, celle-ci meurt de faim. Enfin, que se passera-t-il lors de l’expiration de sa peine ? Qui protégera les jeunes filles de sa vengeance ? Autant de questions auxquelles nul ne songe à répondre, au point que les deux filles commencent à regretter leur acte. Pourtant, fallait-il qu’elles soient malheureuses pour avoir osé porter plainte ! Un processus thérapeutique Des drames de ce genre, il y en a des milliers au Liban. D’autant plus poignants qu’ils se déroulent en silence, dans la honte et la culpabilité. D’ailleurs, en général, lorsque les victimes d’inceste acceptent d’en parler, c’est que le crime a déjà cessé... Et donc que le mal a été fait. Il est d’autant plus profond qu’en général, c’est dans la cellule familiale qu’on se sent protégé. Or, pour les victimes d’inceste, c’est le contraire. «Il est pourtant possible de s’en sortir», affirme Hélène Issa. «La première étape est la décharge, c’est-à-dire faire en sorte que le problème sorte de la cellule familiale. Ensuite, il faudra un processus thérapeutique qui permettra à la personnalité de la victime de se reconstituer. Ce n’est pas facile, mais c’est possible, surtout lorsque l’abuseur reconnaît son crime. Toutefois, en général pour en sortir, il faut s’éloigner de la famille…». Un hôpital beyrouthin vient de créer un centre «SOS inceste» pour pousser les victimes à demander de l’aide au lieu de s’enfermer dans leur culpabilité et leur honte. Mais nous sommes encore loin du jour où l’on osera évoquer ce problème ouvertement, afin de commencer à le traiter sérieusement. Le premier pas serait de reconnaître que notre société souffre de ce phénomène. Mais comme d’habitude, les gardiens de la morale préfèrent oublier ce qui dérange et tant pis pour ceux qui souffrent de ce mal, d’autant plus terrible qu’il est ignoré.
res. La fréquence de ce phénomène et surtout l’atmosphère de drame et de mystère qui l’entoure devraient nous amener à nous poser des questions sur les structures sociales qui favorisent son expansion. Il serait peut-être temps d’agir au lieu de se cacher derrière le mur de la fausse bonne conscience. Odile a la trentaine et travaille comme éducatrice spécialisée dans un centre...