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Actualités - REPORTAGES

L'avenir sera régional ou ne sera pas

Tous les professionnels sont d’accord : l’avenir de l’industrie libanaise de l’imprimerie passe par une ouverture vers l’étranger. Certains ont déjà opéré ce virage stratégique, d’autres s’y engagent. Sur un marché libanais au bord de la saturation, cette ouverture semble salutaire. Encore faudra-t-il améliorer quelques domaines où le Liban ne brille encore pas. Dans l’ensemble, l’avis général semble au beau fixe : le Liban conserve une place de choix dans la région. Mais les pays du Golfe, l’Égypte ou la Jordanie commencent eux aussi à s’équiper de nouvelles technologies. Devant cette nouvelle concurrence, les professionnels gardent leur calme. «Le Liban conserve une place importante pour les imprimés et les périodiques, se félicite Mitri Nasrallah, président du syndicat des arts graphiques. Les imprimeurs de Dubaï, par exemple, ont les moyens d’acheter les machines et le savoir-faire. Mais on ne peut pas acheter le goût et le sens créatif». La régionalisation, option d’avenir Si l’on analyse les composantes de la clientèle de cette imprimerie libanaise, on s’aperçoit vite que la balance commence à amorcer un mouvement progressif vers les marchés extérieurs. Le marché libanais ne va plus suffire bientôt aux impératifs de production que l’arrivée de nouvelles technologies a provoqués. Dans ce cas, les gros imprimeurs libanais choisissent de se tourner vers leurs partenaires culturels, que sont à la fois les pays arabes, ceux du bassin méditerranéen, mais aussi ceux d’Europe. Certains ont donc amorcé ce virage de l’exportation, comme Raïdy Printing Press : «Nous consacrons 55 % de notre activité à la clientèle étrangère, qui est surtout arabe, remarque Joseph Raïdy. De plus, la tendance est à l’investissement arabe dans les nouvelles entreprises qui deviennent des partenaires. Cela est d’autant plus facile que notre système d’économie libérale facilite l’investissement par des lois modernes». Dans le même registre, Chemaly & Chemaly compte 50 % de clients libanais et 50 % de clients étrangers. Georges Chemaly, directeur général, s’explique : «Nos capacités de production nous permettent aujourd’hui d’être performants et de pouvoir nous projeter vers l’extérieur. Nos délais de livraison sont courts et nos prix intéressants. Notre clientèle étrangère se divise en trois groupes : les pays arabes avec Dubaï ou l’Arabie séoudite ; les pays méditerranéens avec la Libye, l’Égypte et la Grèce ; et enfin les pays d’Europe de l’Ouest, avec la France, la Belgique ou l’Italie. Nous tendons de plus en plus à l’exportation». Même tendance chez Anis Printing Press, où Gihad A. Achkar remarque que sa clientèle étrangère représente 30 % de son activité. «Nous sommes axés sur le monde arabe, avec l’Égypte, le Koweït, l’Arabie séoudite ou Dubaï, mais aussi vers l’Europe avec la France et l’Allemagne. Nous pouvons être compétitifs face aux pays européens, car nous produisons 40 % moins cher, du fait du prix de la main-d’œuvre, et face aux pays arabes, puisque nous jouissons déjà d’une bonne image». Indépendamment du prix de revient, un autre aspect de la production libanaise est à prendre en compte : la qualité. Carl Kourani, propriétaire des Imprimeries de l’Annonce, remarque que «la qualité d’impression des revues ou des affiches est la même qu’en Europe, car nous respectons les mêmes cahiers des charges. Quant aux pays arabes, il faut faire attention, car des pays comme la Libye, ceux du Maghreb ou du Golfe, s’équipent et impriment dorénavant chez eux. De plus, la crise économique généralisée au Liban a restreint le nombre de débouchés locaux». Dans son créneau particulier qu’est le packaging alimentaire, Scope limite pour l’instant sa clientèle étrangère à 10 % de son chiffre d’affaires. Israël, ou le concurrent inconnu Une éventuelle paix avec le voisin du sud signifierait, à moyen ou long terme, l’ouverture des marchés. De l’avis général, l’industrie israélienne semble très performante, tant au niveau humain que technologique. La question est alors simple : cette future et hypothétique concurrence pourrait-elle porter dommage à l’industrie libanaise ? Les avis sont très partagés. Joseph Raïdy ne semble pas inquiet de la tournure des événements : «Nous sommes deux pays bien équipés. Mais le Liban possède un avantage de taille : le savoir-faire. Cela fait 400 ans que l’imprimerie est arrivée au Liban. Nous avons donc cette culture qu’aucun de nos voisins ne possède. L’imprimerie est une tradition libanaise, un peu comme le vin en France. De plus, la main-d’œuvre israélienne est plus chère que la nôtre, ce qui nous rend plus compétitifs. Dans un nouveau contexte de paix, les conflits se déplaceront sur les plans économique et culturel, aussi l’imprimerie représentera-t-elle un pilier du positionnement libanais». D’autres sont moins catégoriques. Gihad A. Achkar, par exemple, met sur un pied d’égalité les deux industries, libanaise et israélienne : «Franchement, nous sommes en compétition directe avec Israël d’un point de vue technologique. Il ne faudrait donc pas sous-estimer cette éventualité». De son côté, Georges Chemaly relativise cette éventuelle concurrence : «Selon mes informations, ils ont une bonne technologie en “pre-press” mais pas en tant qu’imprimeurs. En réalité, on ne sait pas vraiment bien ce qu’il s’y passe, il faut donc attendre». Quant à Mansour Chelala, il se montre bien plus pessimiste : «Nous n’avons évidemment pas d’informations directes. Mais quand nous rencontrons nos confrères lors de salons internationaux, nous avons de quoi nous inquiéter. Une éventuelle concurrence israélienne serait difficile à affronter, car ils nous dépassent : leur technique est plus évoluée et leurs standards de qualité plus élevés». La parole la plus pondérée vient en fait du président du syndicat des arts graphiques, Mitri Nasrallah : « Il n’y a pas de danger immédiat. Même si un traité de paix est signé entre deux gouvernements, cela n’induit pas une normalisation immédiate des rapports entre les deux peuples. Regardez l’Égypte !». Améliorer la formation Les défis régionaux des années à venir, qu’ils soient liés aux pays arabes ou à Israël, rencontrent un obstacle de taille : la main-d’œuvre qualifiée. Avoir une belle machine, c’est bien, mais la faire fonctionner comme il faut, c’est mieux. «Malheureusement, l’imprimerie libanaise est en retard au niveau de la formation des employés nécessaires au bon fonctionnement de cette industrie moderne, déplore Joseph Raïdy. Il faudrait créer une faculté d’imprimerie. C’est le seul moyen de sauver l’une des industries libanaises les plus anciennes. De plus, cela permettrait d’orienter les jeunes, et en particulier les femmes, vers des métiers d’avenir, car nous avons besoin de spécialistes en informatique, en séparation de couleurs, en programmation...». Ainsi, il n’existe aujourd’hui aucune formation d’arts graphiques englobant l’imprimerie. Les professionnels ont donc deux options : faire venir des techniciens étrangers ou former eux-mêmes leurs propres employés. C’est le cas de Mansour Chelala de Scope, qui a fait le choix de la formation interne : «Nous préférons engager des gens sans expérience du domaine, pour les former comme nous le voulons. C’est notre choix mais, de toute façon, il n’y a pas de formation de ce type au Liban». L’absence d’organismes de formation aux métiers de l’imprimerie semble pénaliser l’industrie libanaise. «On a parlé un jour d’une école technique, mais elle n’a pas vu le jour, regrette Élie Raphaël, directeur général d’Arab Printing Press. Pourtant, nous avons besoin de former les jeunes. Pour l’instant, nous envoyons nos employés faire des stages en Europe, ce qui est coûteux, ou bien des équipes étrangères viennent au Liban pour former sur place les techniciens aux nouvelles machines». Établir une formation performante au Liban en matière d’imprimerie serait en réalité très difficile à mettre en place pour une raison très simple : son coût. De nouvelles machines sortent tous les ans ; une structure locale ne pourrait pas se permettre de renouveler les machines. Et puis, mettre une machine de 2 millions de dollars dans les mains d’un apprenti ne rassurerait pas tout le monde. Pourtant, selon Mitri Nasrallah, un projet est à l’étude, en partenariat avec l’Union européenne. Cette formation regrouperait le «pre-press», le «press» et le «post-press», et permettrait également de former les employés. Selon lui, «la formation en interne n’est pas une bonne solution, car les techniciens ainsi formés ne sont pas polyvalents. Au Liban, nous avons l’expérience, mais pas la science».
Tous les professionnels sont d’accord : l’avenir de l’industrie libanaise de l’imprimerie passe par une ouverture vers l’étranger. Certains ont déjà opéré ce virage stratégique, d’autres s’y engagent. Sur un marché libanais au bord de la saturation, cette ouverture semble salutaire. Encore faudra-t-il améliorer quelques domaines où le Liban ne brille encore pas....