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Actualités - INTERVIEWS

Santé - Expertise américaine pour un plan national antitabac Tabagisme : bientôt deux à trois fois plus dangereux qu'aucune autre cause de mortalité (photos)

Un milliard de fumeurs sur terre. Plus de 50 % de la population libanaise (hommes et femmes) dans la catégorie des non-fumeurs. Une augmentation substantielle du risque de cancers et autres maladies liées à la consommation de tabac pour les non-fumeurs exposés régulièrement à la fumée des cigarettes (fœtus, bébés et enfants sont les premières victimes). Les troubles résultant du tabagisme sont responsables d’une mort sur cinq dans le monde, et de 100 mille décès dus au cancer du poumon aux États-Unis seulement. Bref, dans quelques années, les maladies causées par le tabagisme (dont des troubles cardiaques) deviendront la première cause de mortalité dans le monde, dépassant de deux à trois fois toutes les autres. Et 70 % des décès auront lieu dans les pays en développement ! Quant au Moyen-Orient, il a l’un des taux les plus bas de fumeurs repentis. Des chiffres impressionnants. Cependant, ils ne sont pas nouveaux, et ils semblent rester sans effet sur les principaux concernés, les fumeurs. Faut-il pour autant baisser les bras ? Ce n’est pas l’avis des experts d’une agence gouvernementale américaine qui se sont réunis jeudi avec M. Karam Karam, ministre de la Santé, et des membres de son équipe, et qui devront mettre leur expérience à la disposition du ministère dans son élaboration d’un plan national antitabac. La visite de ces experts fait suite à un contact établi par la secrétaire d’État américaine à la Santé et à l’Éducation, Mme Donna Shelala, qui est d’origine libanaise. M. Richard Walling, directeur du département des Amériques et du Moyen-Orient au ministère de la Santé américain, ainsi que les Drs Michael Ericsen et Lawrence Green, respectivement directeur et membre du CDC (Centers For Disease Control and Prevention), ont accordé une interview à L’Orient-Le Jour. Risques de maladies mais aussi changements culturels et pertes financières étaient au cœur des arguments avancés par ces experts, et qui ont servi à réduire de moitié le taux de fumeurs aux États-Unis. «La situation au Liban, du point de vue du tabagisme, est mauvaise», estime le Dr Ericsen. «Plusieurs facteurs placent ce pays en tête de liste des régions menacées par un taux élevé de fumeurs. Un de ces facteurs, et pas des moindres, consiste dans le taux élevé de fumeuses. De ce point de vue, le Liban se démarque des pays de la région». Pourquoi cela, d’après vous ? «Les femmes semblent être plus libérées que dans d’autres pays méditerranéens», considère-t-il. «Mais il est dommage que cette liberté soit liée à une servitude qu’est le tabac.» Rappelons que M. Karam avait parlé de 40,6 % d’adolescents fumeurs (l’âge moyen étant de 14 ans). Il avait également précisé que 400 millions de dollars étaient dépensés annuellement pour le traitement des maladies dues au tabagisme, alors que la même somme était consacrée par les fumeurs à l’achat de cigarettes. Un autre facteur qui rend le Liban si vulnérable à une augmentation du taux de ses fumeurs, selon le Dr Ericsen, réside dans le passage des publicités sans restrictions à la télévision et à la radio. «Il est important que l’image de glamour et de modernité liée à la consommation des cigarettes dans ces publicités soit écartée, et le tabagisme considéré pour ce qu’il est vraiment», dit-il. Cela aura, selon lui, un effet certain sur les adolescents en quête d’identité. Mais interdire ces gros budgets publicitaires créera assurément des problèmes financiers. «Les arguments des compagnies de tabac nous sont connus aux États-Unis», répond-il. «Quand nous avons imposé l’interdiction des publicités, les grandes compagnies ont menacé de conséquences économiques draconiennes. Cela ne s’est pas réalisé. À titre d’exemple, depuis avril dernier, les publicités de tabac sur les panneaux publicitaires ont été définitivement interdites aux États-Unis. Les sociétés chargées de ces panneaux ont vu leurs bénéfices augmenter parce que les compagnies d’Internet se sont disputées les places stratégiques initialement réservées aux cigarettes !». « Le tabac coûte de l’argent et n’en fait pas » Les bénéfices résultant d’une limitation du taux de tabagisme dans un pays constitue un argument massue que le Dr Ericsen n’hésite pas à avancer. «Récemment, une étude de la Banque mondiale confirme cet argument», déclare-t-il. «Le tabac coûte de l’argent, il ne fait de bénéfices que pour les compagnies. Il cause des décès et un ralentissement de la productivité. Cela est vrai, même pour les pays producteurs.» Mais assurément, les pays en développement auront davantage de difficulté à appliquer de telles mesures restrictives. «C’est vrai», admet le Dr Ericsen. «Dans ces pays, les gouvernements comptent davantage sur les taxes frappant les produits de grande consommation que les États-Unis, par exemple. Cependant, la conclusion de la BM est la suivante : le tabagisme est une perte nette pour les pays, d’une part en raison de l’augmentation des risques de santé, mais également parce que l’argent dépensé sur les cigarettes peut être consacré à d’autres secteurs plus productifs. Au niveau macroéconomique, les pays ne sortiront pas perdants d’une réduction du taux de fumeurs.» Pour le Dr Green, «ce qui caractérise les pays en développement, c’est qu’ils prennent des mesures à court terme concernant le tabagisme parce qu’ils ont des besoins plus urgents à satisfaire auprès de leurs populations». «Mais, poursuit-il, il faut que les gouvernements comprennent qu’un taux élevé de tabagisme freine le développement et qu’il faut aborder le problème de façon imminente.» Interrogé sur l’impact d’une campagne antitabac sur les politiques de santé en général, il répond : «À long terme, ces campagnes réduiront le fardeau des maladies causées ou aggravées par la fumée sur les systèmes de santé. Même s’il est difficile de convaincre les adultes d’arrêter de fumer pour leur propre bien, on peut arguer du fait qu’ils nuisent à la santé de leurs enfants.» Certes, l’expérience des États-Unis dans ce domaine est riche : en 30 ans, le taux de fumeurs a été réduit de moitié (de plus de 50 %, il est passé aux alentours de 25 %), les zones non-fumeurs ont acquis une importance croissante (les lieux de travail, suivis des hôpitaux, des écoles, des établissements publics et gouvernementaux, puis des restaurants et même des bars dans certains États). Des législations concernant ces zones de non-fumeurs ainsi que des taxes supplémentaires et substantielles sur le tabac et des restrictions sur la publicité ont été peu à peu imposées dans tous les États. «Ce qui a accéléré ce processus, c’est la prise de conscience des fumeurs passifs (exposés à la cigarette régulièrement) de l’augmentation des risques les concernant», estime le Dr Green. «Ils ont commencé à revendiquer leurs droits, notamment en faveur des victimes les plus vulnérables : les fœtus, les bébés et les enfants de parents qui fument, talonnés de près par les conjoints de fumeurs qui voient les risques augmenter deux à trois fois dans leur cas.» Il ajoute : «C’est ce soutien public qui a assuré le succès de ces législations. Si la majorité du public n’est pas d’accord, il est très difficile d’appliquer une loi. Nous l’avons remarqué au Liban et en Égypte : des décrets ministériels concernant des mesures pour la réduction du taux de tabagisme sont demeurés lettre morte parce qu’ils n’étaient pas accompagnés de l’éveil populaire nécessaire.» Selon lui, l’augmentation annuelle du taux de fumeurs dans les pays de la région pourrait avoisiner les 10 %. «Même si on commence à réduire le taux de jeunes susceptibles de commencer à fumer aujourd’hui, il faudrait néanmoins agir sur les fumeurs eux-mêmes, parce que le taux de décès dus au tabagisme dans vingt ans sera relatif au nombre des fumeurs qui n’auront pas cessé cette habitude d’ici là», constate-t-il. Un tabac de moindre qualité pour le tiers-monde ? À la question de savoir quels conseils ont donné les experts américains au ministère de la Santé, le Dr Green déclare : «M. Karam nous a donné une copie du plan envisagé par son ministère et nous n’avons pas encore eu le temps de la lire. Mais ce que nous pouvons déjà nous hasarder à recommander, c’est qu’une équipe soit chargée de mettre en œuvre ce programme. Pour l’instant, il n’y a qu’une personne impliquée, et elle a d’autres responsabilités». «L’approche pour ce genre de campagnes doit être multidisciplinaire», ajoute M. Wallen. «Tous les départements concernés ainsi que les médias doivent adresser un discours plus ou moins unifié au public afin d’augmenter les chances d’aboutissement de la campagne». Interrogé sur la nature de la coopération future entre les deux gouvernements, il répond qu’elle n’a pas encore été déterminée. Elle ne consistera pas en une aide financière. Selon le Dr Ericsen, «une grande partie du problème, c’est que les bonnes idées existent, mais qu’il y a peu de moyens pour les appliquer». Il ajoute : «Les restrictions inefficaces dans les écoles, les hôpitaux, les médecins qui, étant fumeurs eux-mêmes, ne conseillent pas à leurs patients d’arrêter… tout cela peut être changé, mais il faut une décision et un plan. Le ministère est intéressé de travailler sur la restriction des publicités, la défense de fumer dans les avions…» Interrogé sur le coût annuel d’une telle campagne aux États-Unis, le Dr Green indique : «Nous avons effectué une analyse du coût de pareilles campagnes au niveau de plusieurs États. Les réalisations les plus spectaculaires sont celles du Massachusetts et de la Californie. Le premier, qui dépense 11 dollars par habitant, a obtenu des résultats plus durables que le second, qui a consacré 6 dollars par habitant à ces activités. Cela nous pousse à dire que plus on dépense dans ce domaine, plus palpables sont les résultats.» Toutefois, il déclare qu’il est trop tôt pour déterminer un prix dans le cas du Liban. Selon lui, les différentes communautés pourraient requérir une multiplicité d’approches qui coûteraient plus cher. Mais la différence entre les fumeurs des différentes communautés reste à établir… Est-il vrai que le tabac importé dans les pays en développement est de moindre qualité que celui vendu dans les pays producteurs ? «Nous avons reçu des rapports dans ce sens», répond le Dr Green. «Les compagnies de tabac tiendraient en effet compte des habitudes des peuples en question. Elles mélangent leur tabac et produisent des cigarettes de qualité légèrement supérieure à celles des marques locales pour entrer en compétition avec elles.» Mais ne nuisent-elles pas davantage à la santé de ces peuples ? «Peut-être , dit-il. Mais ces cigarettes ne seront pas plus nocives que le produit local. Je pense que c’est par leur publicité que les compagnies font le plus de mal.» L’assistance présentée par le CDC aux gouvernements en matière de réduction du tabagisme n’affectera-t-elle pas les compagnies américaines ? «En fait, le problème est global», souligne le Dr Ericsen. «Si nous réussissons à améliorer la situation aux États-Unis et que le problème recommence ailleurs, il nous reviendra d’une façon ou d’une autre (par l’immigration, les ventes par Internet, etc.). En fait, les compagnies de tabac sont furieuses de cette action à l’étranger parce qu’elles espèrent toucher de nouveaux marchés, notamment les femmes qui fument moins que les hommes (le Liban est une exception)». Certes, les compagnies de tabac ne perdront probablement pas beaucoup d’argent (certains affirment que l’augmentation des prix aux États-Unis a profité à certains producteurs, malgré la réduction du taux de fumeurs). Mais les conséquences seront finalement subies par les fumeurs, actifs ou passifs : 3,5 millions de décès par an (soit 10 mille par jour), 10 millions en 2020, sans compter 400 millions de dollars dépensés dans le monde pour la cigarette contre 40 millions pour le blé…
Un milliard de fumeurs sur terre. Plus de 50 % de la population libanaise (hommes et femmes) dans la catégorie des non-fumeurs. Une augmentation substantielle du risque de cancers et autres maladies liées à la consommation de tabac pour les non-fumeurs exposés régulièrement à la fumée des cigarettes (fœtus, bébés et enfants sont les premières victimes). Les troubles...