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Actualités - OPINION

Pré-occupations

D’Émile Lahoud, il serait vraiment difficile de dire qu’il n’a pas porté à son plus haut point le sens de la solidarité libano-syrienne, et aussi libano-palestinienne ; on peut s’interroger toutefois sur l’opportunité politique et diplomatique de certains passages de la déclaration présidentielle d’hier, à l’approche de cette zone de tempêtes qu’annonce la décision d’Israël de se retirer bientôt du Sud, «avec ou sans accord». À l’évidence, cette décision ne vise pas seulement à satisfaire une opinion publique israélienne dégoûtée du Vietnam sud-libanais et qu’avait séduite la promesse électorale d’Ehud Barak de s’employer à y mettre fin. À la Syrie, qui insiste pour une consécration du principe d’un retour aux lignes du 4 juin 1967, Ehud Barak veut en effet faire comprendre que dans quelques mois, quelques semaines peut-être, elle aura perdu sa fameuse carte libanaise : que sa monnaie d’échange – le Golan contre la neutralisation du Hezbollah – aura été substantiellement dévaluée, et qu’il vaut mieux donc reprendre la négociation de paix avant qu’il soit trop tard. Comme on pouvait s’y attendre, le message est assorti de menaces de dures représailles au cas où la guérilla se poursuivrait après le retrait annoncé. La démarche n’est pas sans risques pour Israël lui-même bien sûr, et un influent journal de Tel-Aviv s’inquiétait il y a quelques jours d’un possible «effet boomerang». C’est cette même mise en garde que lançait la semaine dernière déjà le ministre sortant des AE de Syrie Farouk el-Chareh quand, doublant la mise, il qualifiait de suicidaire le coup de poker de Barak, laissant entendre ainsi – laissant entendre seulement – que ce retrait ne garantirait en rien la sécurité future de la Haute-Galilée. D’autres instances syriennes se sont réjouies par la suite de l’annonce israélienne, et la presse officieuse a assuré que celle-ci n’embarrassait en rien Damas ; mais elle a appelé en même temps l’État hébreu à réviser sa politique s’il aspire réellement à la paix «car le temps presse»... C’est une position considérablement plus avancée qu’a paru prendre le président Lahoud, même s’il a énoncé pour ce faire une série d’incontestables vérités : il devrait être clair pour tous en effet que le Liban ne se hasardera en aucun cas à un règlement séparé avec Israël, même s’il se limitait à des garanties de sécurité, le désastreux précédent de mai 1983 restant présent dans toutes les mémoires. Qu’il ne saurait y avoir de paix juste et globale sans l’évacuation du Golan. Et qu’en tout état de cause, la libération du Sud ne règle qu’une partie du problème du Liban, menacé dans ses structures les plus profondes par le spectre d’une implantation définitive sur son sol de centaines de milliers de réfugiés palestiniens. Oui ces vérités-là étaient bonnes à dire ; mais sans doute eut-il mieux valu s’en tenir là, du moins à ce stade. Et prendre acte de la volonté de retrait israélienne tout en affirmant notre propre détermination à gérer au mieux cette situation nouvelle, dans le respect de nos intérêts et de nos principes. En signifiant au contraire à Israël le refus du Liban – plus grave encore, son incapacité – d’empêcher les fedayine palestiniens d’opérer à l’avenir à partir de son territoire, M. Lahoud s’est aventuré sur un champ de mines que d’autres, y compris le Hezbollah lui-même, ont magistralement contourné. Car si la résistance islamique prône la poursuite du combat jusqu’au départ du dernier soldat israélien, et cela «pour mieux aider Barak à tenir sa promesse», elle prend soin d’entretenir, comme d’ailleurs la Syrie, un savant mystère quant à ses intentions futures. En invoquant l’impossibilité – tant matérielle que morale – pour le Liban de faire obstacle aux opérations futures des Palestiniens à partir de son territoire, Baabda a voulu certes placer la question-clé de l’implantation au centre du contentieux avec Israël, alors que le problème des réfugiés relevait seulement des négociations multilatérales issues de la conférence de paix de Madrid et boycottées par le Liban comme par la Syrie. Mais cette reconnaissance même implicite de la nostalgie du Fatehland risque, fort malencontreusement, de redonner quelque légitimité, quelque vie à ces funestes accords du Caire qui provoquèrent l’occupation ennemie du Sud puis la guerre libanaise de 1975-1990, avant d’être unilatéralement abrogés. En raison de la diabolique habileté d’Israël à exploiter les failles et contradictions de ses adversaires, cette même reconnaissance pourrait être perçue comme un défi lancé à l’ennemi pour qu’il fasse lui-même, à ses risques et périls, le sale boulot auquel répugne, en toute circonstance, le Liban ; par une cruelle ironie, la fin de l’occupation, espérée depuis des décennies par les infortunées populations du Sud, n’aurait été que le signal d’une nouvelle épreuve dont nul ne pourrait prédire les tragiques conséquences. L’État hébreu n’a d’ailleurs pas attendu longtemps, hier, pour envoyer un premier coup de semonce significativement adressé à l’armée. Et si le fatal engrenage se mettait en marche, les ronflants témoignages de solidarité arabe, tels ceux qu’on attend de la réunion en fin de semaine à Beyrouth du Conseil ministériel de la Ligue, ne nous seraient évidemment pas d’un grand secours. On notera encore que la simple évocation, au plus haut échelon de l’État, d’une résurgence du phénomène fedayine pourrait mettre le Liban en porte-à-faux avec cette même résolution 425 dont il a passé le dernier quart de siècle à réclamer en vain l’application. Ce texte, en effet, et son annexe, la résolution 426, définissant la mission de la Finul, stipulent certes un retrait israélien immédiat des troupes israéliennes et le rétablissement de l’autorité libanaise dans la région frontalière ; mais la force internationale se voit également confier la mission d’empêcher toute reprise des combats et tout acte d’hostilité entrepris à partir de sa zone d’opérations. Le plus petit des pays arabes a chassé l’armée la plus puissante du Proche-Orient, pavoise à juste titre la résistance. C’est fort bien. Mais il est grand temps de réconforter, autrement qu’à coups de formules lapidaires, une opinion publique interne qui ne comprend pas toujours très bien le pourquoi du comment. Et que l’on cesse à la fin d’offrir au monde l’image d’un pays occupé que seule préoccupe, désormais,... la fin prochaine de l’occupation !
D’Émile Lahoud, il serait vraiment difficile de dire qu’il n’a pas porté à son plus haut point le sens de la solidarité libano-syrienne, et aussi libano-palestinienne ; on peut s’interroger toutefois sur l’opportunité politique et diplomatique de certains passages de la déclaration présidentielle d’hier, à l’approche de cette zone de tempêtes qu’annonce la...