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Actualités - OPINION

Témoignage La mission jésuite, valeurs et engagement

Parler des jésuites, de leurs valeurs et de leur engagement au Liban nécessite plusieurs colloques. Je me limite ici à l’expérience d’un musulman, leur ancien élève, qui est particulièrement attaché à leur éducation et personnellement proche de nombre d’entre eux, depuis plus de trente ans. Je suis musulman pratiquant, né à Basta, un quartier de Beyrouth qui, en son temps, était considéré un peu comme la capitale de l’islam, tout comme Achrafieh était la capitale de la chrétienté. J’appartiens à une famille conservatrice mais ouverte, dans la mesure où l’on peut être conservateur quand on est si ouvert. Elle m’a choisi les pères jésuites comme éducateurs et maîtres : non pas des chrétiens laïques, mais des prêtres ayant consacré leur vie à l’éducation de la jeunesse dans un esprit ignatien maintes fois, dans l’histoire, contesté, combattu, condamné ; des prêtres sincères avec eux-mêmes et avec leur Dieu, qui est aussi le mien. Des hommes ayant tout abandonné pour répondre à l’appel de Dieu : des gens du peuple, petits-bourgeois, mais aussi des nobles, des riches, des ducs et des comtes qui ont abandonné faits et merveilles pour faire vœu de pauvreté, pour être un jour recteur, un autre jour portier, par humilité. Et haec omnia ad majorem Dei gloriam : et la gloire de Dieu je les ai vus la célébrer, aussi bien à travers un chrétien qu’à travers un musulman, puisque tous les deux sont la gloire de Dieu. C’est pour moi une grande joie, donc, de porter témoignage sur l’apport dont ils m’ont gratifié dans ma vie et dans ma profession. Si le Liban est ce dialogue permanent entre islam et christianisme, les pères jésuites en sont les précurseurs, longtemps avant Vatican II. Il est remarquable que ce soit eux, dont la vocation essentielle est de transmettre la parole de l’Évangile, qui consolident leurs élèves musulmans dans leur islamisme. Le Liban n’est-il pas, comme en témoigne le père Clément, «ce message d’ouverture du monde arabe à l’Occident pour échanger nos richesses culturelles et spirituelles en essayant d’éviter nos déficiences culturelles» ? N’est-ce point cela la vocation du Liban, celle que le monde nous envie et sans laquelle point pour notre pays de salut ? N’est-il pas remarquable, en effet, que les pères jésuites soient venus dans notre pays avec un cœur français apprendre aux Libanais à aimer le Liban ? Et j’ajouterai qu’ils soient venus avec un cœur chrétien apprendre à leurs élèves musulmans à aimer l’islam et les conforter dans leur croyance. J’en témoigne en toute conscience, haut et fort. Rappelons-nous que le père Bonnet-Eymard, notre recteur, maître et ami, donnait, pendant le mois de ramadan, un iftar à Jamhour, où le mufti Hassan Khaled, l’imam Moussa el-Sadr et le cheikh Mohammad Abou Chacra, cheikh Akl des druzes, partageaient dans cette maison chrétienne le pain et le sel de l’amitié avec les pères jésuites entourés de leurs anciens élèves musulmans. Et d’entendre le père Louisgrand citer en arabe, au milieu du repas, un verset du Coran qui glorifie les religieux chrétiens. «Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent : “Oui nous sommes chrétiens”, c’est qu’on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s’enflent pas d’orgueil». Et comment ne pas s’incliner devant leur ouverture d’esprit – et je dirai même de leur libanisme – lorsqu’on voit le père Dalmais, recteur de ce couvent religieux, organiser pour les élèves musulmans des cours d’instruction religieuse musulmane pendant que leurs amis chrétiens se trouvaient à la messe. Cette éducation œcuménique que les élèves musulmans ont acquise chez les pères jésuites leur sera d’un grand secours dans la reconstruction du Liban tel que nous le souhaitons : pays de tolérance et pont entre les religions. Arrivés à l’âge adulte, leur comportement témoigne de cette ouverture d’esprit à laquelle leur éducation les a préparés. Il est dommage que leur nombre ne soit pas grand (moi-même, certaines années, j’étais le seul musulman sur 30 élèves) ; et on regrette, de ce fait, que les élèves chrétiens soient encore moins nombreux dans les écoles musulmanes, car il est indispensable que nos jeunes puissent, depuis leur enfance, grandir dans l’esprit dans lequel les jésuites ont préparé leurs élèves : charité envers l’autre, ouverture vers l’autre, communion avec l’autre. Certes les pères jésuites attachent une grande importance à l’enseignement religieux, mais jamais les musulmans ne se sont sentis exclus par cet enseignement. Jamais, de près ou de loin, leur religion n’a été critiquée ou eux-mêmes ne se sont sentis gênés dans leur croyance pendant les cours d’instruction religieuse : un bon chrétien est un bon musulman. Tous les deux font de bons Libanais, c’est ce qu’ils nous ont appris. C’est ce que dans ma vie j’essaie d’appliquer. Et notre pays, qui est encore confessionnel, a besoin de tels éléments pour arriver à être un pays où la religion sera à Dieu seul et la patrie à tous. La reconstruction du Liban n’a de sens, dans le contexte actuel, que si elle signifie la reconstruction de la société libanaise. Or cette société libanaise a une particularité à laquelle les pères jésuites nous ont préparés. Être élève des jésuites, ce n’est donc pas seulement acquérir une certaine formation, c’est bénéficier d’une certaine éducation. C’est peut-être apprendre à être diplomate depuis sa plus tendre enfance, laissant toutes portes ouvertes, ne jamais rompre, être disponible. Cette méthodologie à laquelle ils nous ont habitués dans un esprit d’ouverture a été pour nous d’un grand secours pour aborder le monde et ses nombreux aléas. Charité, ouverture, communion prennent toutes leurs valeurs quand il s’agit du Liban. Les anciens doivent, de ce fait, être en première ligne de cette mission patriotique faisant honneur à leur pays, à leurs maîtres et à eux-mêmes. Je suis fier de déclarer que les pères jésuites ont façonné mon éducation et considère le qualificatif de jésuite collé à mon nom comme une gratification, bien que le Larousse en fasse un boulet. Cette gratification, je la dois à mes parents qui l’ont permise. Je leur rends grâce comme j’espère que mon fils me rendra grâce, un jour, de celle qu’il a acquise auprès d’eux. Dans le livre de Jean Lacouture sur les jésuites, on peut lire que le but de l’école Saint-Joseph de Tivoli est «d’assurer aux élèves, avec les avantages d’une instruction solide et en rapport avec les besoins du temps, le bienfait d’une éducation religieuse. C’est en formant ces chrétiens que les maîtres espèrent préparer des hommes utiles à leur famille et à leur patrie». Je voudrais insister sur le terme «en rapport avec les besoins du temps» et j’ajouterai «du lieu» puisque, vu de Jamhour, le bienfait d’une éducation religieuse chrétienne ne s’oppose pas au bienfait d’une éducation religieuse musulmane. Toutes les deux sont au service du Liban, notre patrie à tous. Je choque peut-être en insistant dans mon propos sur le côté confessionnel. Mais j’analyse la caractéristique du Liban qui est – qu’on le veuille ou non – un pays confessionnel et j’essaie de démontrer comment les pères jésuites, missionnaires dans leur essence, préparent les jeunes, quelle que soit leur confession, à servir ce Liban. Et plus tard à aider à sa reconstruction. Et justement, comme le dit un autre père jésuite éminent, le père Olivaint : «N’est-ce pas un devoir impérieux pour nous d’affermir les intelligences de nos élèves pour qu’en entrant dans le monde, ils ne cèdent pas à tout système, à toute opinion comme à tout vent ?» N’est-ce pas cela la démocratie dans son sens le plus noble, le plus moderne? Je conclurai avec Lacouture : «Les pères ne visent apparemment pas à former des saints, ni même des militants pour la cité de Dieu. Des citoyens plutôt, modérés mais éminents (...) Pas de devise, pas de mission, pas de vrais modèles (...) Les bons pères fournissent quelques méthodes, et d’abord celles d’un travail harmonieux et d’un certain art de vivre en consonance avec son temps». C’est l’impression que je garde, moi, des 14 années que j’ai passées à leur côté. * Ancien diplomate, ancien directeur général de la Fondation Hariri à Paris.
Parler des jésuites, de leurs valeurs et de leur engagement au Liban nécessite plusieurs colloques. Je me limite ici à l’expérience d’un musulman, leur ancien élève, qui est particulièrement attaché à leur éducation et personnellement proche de nombre d’entre eux, depuis plus de trente ans. Je suis musulman pratiquant, né à Basta, un quartier de Beyrouth qui, en son...