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Actualités - OPINION

L'Europe parle et agit, l'Europe se transforme (photo)

À un moment où la population libanaise mérite la compassion et le respect pour avoir été, une nouvelle fois, la cible de bombardements militaires israéliens, il peut sembler dérisoire de consacrer un article de presse à un plaidoyer en faveur de l’Europe. C’est pourtant ce à quoi je vais m’essayer, convaincu que les mutations des institutions européennes communautaires ne peuvent que profiter au Proche-Orient et, plus particulièrement, au Liban. Je fais d’innombrables voyages au Proche-Orient. À chacune de mes visites, au Liban ou ailleurs, je rencontre des dizaines de personnalités politiques, de journalistes, de chercheurs, de professeurs... Toujours, nous évoquons l’Europe. Je dois à la vérité de dire qu’il n’est pas rare que revienne la même interrogation : que peut faire l’Union européenne ? Et de me rappeler : voyez l’Irak, voyez le Kosovo, le processus de paix proche-oriental ! Pour ces interlocuteurs en proie au doute, la réponse est contenue dans la question : l’Europe serait impuissante à imprimer sa marque sur le cours des événements. Pourquoi ? Parce qu’elle ne disposerait pas des ressources militaires nécessaires à pareille ambition, et parce qu’elle ne s’exprimerait pas au travers d’institutions politiques établies, identifiables et permanentes. Au Proche-Orient comme ailleurs, l’argument militaire n’est pas sans valeur. Nous savons tous ce que nous devons à la force armée. De la France, le général de Gaulle disait crûment qu’elle s’était faite «à coups d’épée». Quant à nos prétendues carences politiques, je ferai justice de cette affirmation qui ne correspond plus à nos actions ni aux mutations en cours. Comment ne pas se rendre compte que l’Europe s’exprime, qu’elle agit, qu’elle est capable de s’adapter, qu’elle s’est engagée dans une mutation difficile et courageuse de ses institutions, qu’elle sait être solidaire et généreuse ? Il faut être oublieux du passé le plus récent ou incapable de percevoir ce qui se dessine pour ne pas remarquer son action et sa métamorphose qui ne peuvent que servir sa relation avec le Proche-Orient. Prenons l’exemple du processus de paix israélo-arabe qui est au cœur des préoccupations libanaises. À Madrid, en 1991, le moins que l’on puisse dire est que l’Union européenne se voit réserver la portion congrue. Elle est invitée en qualité de «participante», à la marge donc. Elle n’appartient pas au cercle fermé des fées qui se penchent sur le berceau des nouveau-nés pour y laisser leur marque. Seules, véritablement, les multilatérales lui sont ouvertes. La matière n’est pas mince pour autant. Rien d’un prix de consolation. Qu’on en juge : contrôle des armes, réfugiés, eau, environnement, développement économiue régional. La responsabilité de dernier secteur est d’ailleurs confiée à l’Europe. Mais beaucoup font remarquer qu’elle est absente des négociations bilatérales. Deux ans plus tard, à Washington, lors de la signature des accords d’Oslo, l’Union européenne est présente, mais toujours au second rang. Dans ces conditions peu propices, qu’allait-elle faire ? Renoncer à toute initiative en direction de la paix au Proche-Orient ? Oublier les amis d’hier et d’aujourd’hui ? Se taire ? Brider ses ambitions ? Délaisser le Proche-Orient qui la jouxte géographiquement, historiquement, humainement, culturellement ? C’est mal connaître l’Europe que d’imaginer semblable abandon. Il faut comprendre que l’Union européenne est bien plus que l’addition de ses 15 ambitions française, espagnole, anglaise, suédoise, allemande... C’est un ensemble de nature supérieure qui prend peu à peu sa cohérence, qui acquiert sa dynamique, qui aspire à proposer au monde, et surtout à ses voisins, une vision démocratique, pacifique, coopérative et solidaire et qui, pour y parvenir, est animé par une ambition de nature politique. C’est pourquoi l’Union européenne développe un rôle politique à mesure qu’elle définit le cadre de sa politique étrangère et de sécurité prévue par le traité de Maastricht. Il ne faut donc pas s’étonner d’être en présence d’un partenaire qui n’entend rester ni silencieux ni inactif. Encore faut-il être à l’écoute. L’Europe parle. Contrairement à ce qu’on affirme, elle n’a qu’une voix. Sur ce point comme sur tant d’autres, elle est bien cette «réalité indivise» dont parlait Julien Benda même si la définition, à Bruxelles, de ses prises de position ne se fait pas sans douleur. Elle dit la valeur et la pertinence des résolutions des Nations unies. Sa parole n’est pas assimilable à un verbiage ni l’expression de vœux pieux. Elle répond à une ardente obligation qui est de rappeler, encore et toujours, l’à-propos des résolutions de l’Onu, de la 425 comme des autres. Sur les questions du Proche-Orient, l’Europe se pose en sentinelle et en gardienne d’un droit international probablement imparfait, mais irremplaçable.. tant qu’il n’a pas été remplacé. Elle n’est pas la seule. Mais sa voix, démultipliée, compte. Si l’on devait juger de l’utilité de ses déclarations à l’aune du ressentiment de certains, on verrait combien elle porte loin. Plus sérieusement, cette parole-là, qui résonne de Venise à Berlin, il faut la préserver. Elle est utile. C’est celle du droit et, pour tout dire, du bon droit. L’Europe agit. À un moment où les négociations israélo-arabes risquaient de sombrer sous les coups de boutoir de forces hostiles, l’Europe juge indispensable de sauvegarder les liens entre protagonistes israéliens et arabes. En octobre 1996, elle décide de nommer un envoyé spécial. Elle le fait d’autant plus facilement qu’elle estime qu’il est de sa responsabilité de maintenir en vie le processus de paix à proportion de ses intérêts au Proche-Orient, eu égard à l’importance de ses contributions financières régionales et parce que, plus que d’autres, elle sait ce qu’elle doit à la paix À son envoyé, elle demande d’être constamment disponible au service de toutes les parties. Dire que l’Europe a, par son truchement, pu contribuer aux négociations israélo-palestiniennes de paix en proposant un code de conduite (1997), en mettant en œuvre, à la même époque, le dialogue euro-israélien sur les problèmes de l’économie palestinienne, en apportant sa garantie à l’accord israélo-palestinien sur Hébron et à celui de Charm el-Cheikh, ne relève pas du plaidoyer pro domo. Disons, pour faire court, que grâce à la souplesse d’action qui lui a été attribuée, cet envoyé aura pu constamment maintenir des contacts dynamiques entre toutes les parties et faire des propositions qui ont souvent été reprises (la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne et les innombrables navettes entre la Syrie et Israël en sont deux exemples). Ce faisant, il aura probablement contribué à la sauvegarde du processus de paix et permis à l’Europe de dépasser le cadre multilatéral qui lui avait été initialement fixé pour la rapprocher du cœur des négociations bilatérales. Autre exemple des positions européennes : pendant des lustres, l’Union a soutenu le droit des Palestiniens à s’autodéterminer. Avec quelques États-membres, elle a longtemps été la seule à défendre l’idée que ce droit était «la» solution et non un problème. C’est cette même logique qui l’a conduite ensuite à se prononcer en faveur d’un État palestinien (la déclaration de Berlin de 1999 dit précisément : «... Y compris l’option d’un État»), solution qui aujourd’hui trouve ses défenseurs en Israël et aux États-Unis. Quand le président Clinton indique, depuis Gaza, il y a un an, qu’il soutient l’aspiration du peuple palestinien à déterminer son propre avenir sur son propre territoire, il avance une idée qui, en Europe, a déjà trouvé son assise. Il n’est pas excessif de penser que les déclarations européennes sur le sujet ont facilité les prises de conscience internationales et ont, peut-être, préparé le terrain au président américain. Il en va de même pour la déclaration de Berlin qui a permis au président Arafat de reporter la déclaration de l’État palestinien en lui offrant la garantie politique internationale dont il avait besoin. L’Union européenne sait mettre ses budgets à disposition des parties engagées dans le processus de paix. C’est probablement son rôle le plus connu. Pour ne parler que des Palestiniens, elle est le plus gros donateur de la communauté internationale. L’Europe change. J’ai déjà dit combien la création d’un poste d’envoyé spécial avait constitué une avancée importante dans la politisation de l’action et de l’image européennes. Il fallait dépasser cette initiative et institutionnaliser une structure de définition de la politique étrngère. Le traité d’Amsterdam a marqué une étape nouvelle en se donnant pour objectif d’affirmer l’identité européenne sur la scène internationale, notamment par la mise en œuvre «d’une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune (PESC), qui pourrait conduire à une défense commune». Depuis, un “Monsieur PESC” a été désigné. C’est Javier Solana qui a été chargé de cette tâche écrasante et exaltante. Voilà qui devrait rassurer ceux de mes interlocuteurs qui craignaient que l’Europe restât ce colosse économique inapte à concevoir une politique et à penser en termes de sécurité. C’est dans ce nouveau contexte qu’il faut examiner le potentiel politique de l’Europe en mutation. Nous souhaitons et espérons que l’année 2000 sera l’année de la paix. Nous attendons des progrès substantiels dans les négociations entre, d’une part, Israël et le Liban et, d’autre part, entre Israël et la Syrie. L’Union européenne a déjà montré sa disponibilité pour faciliter de semblables négociations et pour garantir leur application. Des arrangements de sécurité seront indispensables. L’Europe est prête à apporter sa contribution que ce soit dans ce domaine ou dans celui de l’eau ou du développement économique. Poser la question du rôle politique de l’Europe à l’égard de la Méditerranée, c’est poser, d’une part, celle de sa relation avec les États-Unis et, d’autre part, celle de sa vision à l’égard de la Méditerranée. Avançons une évidence : les Américains ont actuellement une position inégalée au Proche et Moyen-Orient. La leur contester serait un exercice vain qui n’entre d’ailleurs pas dans les intentions européennes. Ma conviction est que nous devons aider Washington dans son entreprise proche-orientale. La question n’est donc pas de contrarier les efforts des États-Unis, mais de les aider à «aller dans le bon sens». Il s’agit donc d’une stratégie de complémentarité. Pour des raisons qui tiennent à l’Histoire et à la géographie, la Méditerranée est notre Orient. Nous sentons bien que si nous la délaissons, nous nous retrouverons «désorientés». C’est pourquoi une approche globale est nécessaire. Depuis quelques années, l’Union européenne développe une ambitieuse politique de coopération avec son Sud. L’un de ses objectifs est de réduire les inégalités, économiques, sociales, démographiques... qui séparent les pays méditerranéens. C’est au Conseil européen de Cannes (juin 1995) qu’un consensus est enfin trouvé par les États-membres pour aborder ces questions avec leurs voisins du Sud. C’est l’acte de naissance du processus de Barcelone. La déclaration qui va suivre prévoit la création d’un partenariat euro-méditerranéen qui s’articule autour de la politique et de la sécurité, de l’économie et des finances et des affaires sociales et culturelles. Ce partenariat devrait, en 2010, déboucher sur une zone de libre-échange. Telle est la «vision» actuelle de l’Union européenne à l’égard de son Sud. On m’accordera qu’elle est ambitieuse. Il n’est pas illégitime de mettre en regard le processus de Barcelone (auquel participe le Liban) et les multilatérales (auxquelles n’adhère pas le Liban). Dans les deux exercices, l’Europe agit conformément à sa «vision». Elle tente d’entraîner les parties régionales à penser ensemble à leur avenir et à leur coopération économique. Elle est forte de la conviction que les problèmes de sécurité ne peuvent plus être uniquement pensés en termes de prévention des conflits ou d’actions militaires, mais aussi en termes de flux migratoires, de développement économique, de protection de l’environnement, de respect des droits de l’homme... tous ces aspects de la vie des sociétés qui, faute d’être pris en compte, peuvent favoriser l’apparition des conflits. L’idée qui sous-tendait les multilatérales a été que l’on pouvait discuter de tout avant que soient résolues les principales questions politiques. À Oslo et à Washington, on a surtout pensé que les progrès réalisés dans le cadre de cette coopération internationale allaient faciliter la tâche des négociateurs politiques, arabes et israéliens. Au fond, on est parti du principe que deux chimistes ou deux paysans de nationalités différentes parlent plus facilement le même langage que deux hommes politiques et que, par conséquent, ils sont plus enclins à clamer haut et fort leur exigence de paix. Certains observateurs ont jugé que cette manière de préparer les négociations finales de paix était inventive. D’autres, qu’elle était naïve et que l’on mettait la charrue avant les bœufs. C’est la position du Liban et de la Syrie qui, dans cette logique, ne se sont pas rendus à Moscou pour la réunion du Comité de pilotage des multilatérales (31 janvier 2000). Cette position est respectable. Pour moi, je ne rejette ni n’adopte cette manière de concevoir une négociation. Je ne lui demandais que de réussir. Mais je constate que l’imperméabilité qui séparait le processus de Barcelone des multilatérales n’a pas résisté à l’action des faits. Les soubresauts du processus de paix israélo-arabe ont affecté la mécanique de Barcelone. Il faudra d’autant plus résoudre cette difficulté que la gestion de ces deux mécaniques est coûteuse en temps, en énergie, en imagination, en hommes et en budgets. On comprend bien à Bruxelles que seule la paix retrouvée permettra à tous, y compris le moment venu à la Libye, de profiter pleinement de ce réseau international et interétatique que l’Europe est en train de constituer. L’Europe réapprend à gérer les ensembles régionaux. Sa propre évolution, à l’intérieur de ses frontières, le lui commande. L’exemple de Barcelone prouve idéalement qu’elle s’est engagée dans cette voie à l’égard de ses voisins non-européens et, notamment, de l’ensemble proche-oriental. Il est heureux que le Liban qui a tant à dire sur l’Europe, la Méditerranée et sur le monde arabe ait adhéré à cette aventure. Qu’il sache qu’au moment des grands rendez-vous l’Europe sera présente.
À un moment où la population libanaise mérite la compassion et le respect pour avoir été, une nouvelle fois, la cible de bombardements militaires israéliens, il peut sembler dérisoire de consacrer un article de presse à un plaidoyer en faveur de l’Europe. C’est pourtant ce à quoi je vais m’essayer, convaincu que les mutations des institutions européennes communautaires...