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Actualités - REPORTAGES

Société - Le Centre d'accueil et de réhabilitation des enfants des rues a trois mois Un abri pour les petites victimes de l'abandon(photo)

Taleb (13 ans) se faisait enchaîner et battre par son père quand il a décidé de fuir et qu’il s’est retrouvé à la rue. Alaa (12 ans) s’est fait brûler par son père qui ne voulait plus de lui à la maison. Joyce et ses frères, dont l’aîné âgé d’à peine quatre ans, ont été abandonnés par leurs parents. Tous ces enfants et bien d’autres se sont retrouvés un jour ou l’autre sans abri, laissés à eux-mêmes, vulnérables aux adultes de mauvaise volonté. Derrière chaque regard d’enfant que nous croisons en train de vendre des fleurs ou de mendier sur la route, se cache une tragédie qui l’a frappé ou qui a frappé ses parents, emportant avec elle son enfance. Certes, au niveau national autant qu’individuel, cette situation ne pouvait durer. Malgré leur silence apparent, les responsables n’en constataient pas moins l’intolérable évidence, et un projet de centre d’accueil pour ces enfants attendait son heure, depuis des années, au ministère des Affaires sociales. Ce n’est cependant qu’en octobre dernier que le projet du ministère s’est concrétisé, sous le patronage de l’épouse du président de la République, Mme Andrée Émile Lahoud, avec la coopération de l’Institut évangélique libanais pour le travail social et le développement, qui s’est chargé du local et de la réhabilitation des jeunes (14 ans et moins). Depuis trois mois à peine, le Centre d’accueil et de réhabilitation des enfants des rues a ouvert ses portes à quelque 150 pensionnaires (la plupart sont étrangers, de différentes nationalités, sans distinction de communautés). Actuellement, il abrite une vingtaine d’enfants d’âges différents qui sont logés, nourris, éduqués, réhabilités surtout, dans tous les sens du terme. Ainsi, leurs éducateurs leur apprennent même à se baigner, se laver les dents, tenir la cuillère…, gestes automatiques de la vie quotidienne qu’ils ignorent souvent. Après un premier contact un peu méfiant, les jeunes se laissent facilement aller à la conversation, racontant d’un ton désinvolte des aventures qui laissent leur interlocuteur éberlué. C’est leur passion pour le sport nouvellement découvert (notamment le karaté qui a leur préférence) et leur attachement à leurs éducateurs qui sont les plus évidents. Taleb, l’un des jeunes les plus entreprenants (et aussi l’un des plus anciens au centre), propose de parler en premier. «Je viens de Tripoli et cela fait deux mois que je suis là», dit-il. Taleb a vécu pendant six mois hors de la maison, travaillant en tant que mitron et assistant-mécanicien. Les Forces de sécurité intérieure (FSI) l’ont trouvé près d’une boulangerie à Mina. «Je suis très content ici et je ne veux pas rentrer chez moi», dit-il. Cette phrase prononcée par Taleb se retrouve sur les lèvres de tous ses camarades. Il faut dire qu’il n’a rien pour l’encourager à réintégrer sa famille. Son père, le plus souvent ivre, avait coutume de lui enchaîner les pieds et de le battre. Et c’est ainsi, enchaîné, qu’il a fui de la maison… Ramadan (13 ans) s’enhardit lui aussi à parler. Il vient de Syrie et se trouve au centre depuis un mois environ. «Je suis venu au Liban avec mon père, ma mère, mes frères et sœurs, raconte-t-il. Mon père est reparti, après avoir retiré mes frères et sœurs du centre. Mais il a demandé aux responsables de me garder ici». Pourquoi ? «Je faisais des choses pas bien». Comme quoi ? «Je buvais du kérosène». Pour quelle raison ? (silence). « Je veux devenir professeur de karaté ! » Ramadan n’a jamais été scolarisé. «Ici, on nous apprend à lire et à écrire, à faire des choses, dit-il. Plus tard, je veux être professeur de karaté !» Comme tous ses camarades, il est très impressionné par le sport introduit pour la première fois dans leur vie par leurs éducateurs. Ceux-ci, Fadi, Marc, Berthe, occupent une part importante de leur discours. À ce moment, Taleb s’indigne qu’on ne lui ait pas demandé ce qu’il voulait faire quand il serait grand. «Je veux posséder un grand magasin, dit-il. C’est mon rêve». C’est au tour de Mario (11 ans, mais il paraît grand pour son âge) de raconter son histoire. «Je travaillais dans un magasin de chaussures à Furn el-Chebbak, dit-il. Mais ma mère ne voulait pas que je sacrifie mes études au travail. Elle s’est plainte aux gendarmes qui m’ont emmené». Pourquoi avait-il abandonné volontairement ses études ? Mario poursuit : «Nous étions en été et il n’y avait pas classe. Je ne rentrais à la maison qu’à deux heures du matin. Le propriétaire du magasin m’aimait beaucoup et me donnait de l’argent supplémentaire». Pourquoi ? «Comme ça. Parce que je restais chez lui jour et nuit. J’achetais des habits, des chaussures…», dit-il. Qu’est-il arrivé à cet homme ? «Je ne sais pas», répond-il. La discussion s’anime de plus en plus. Oussama, un garçonnet de 11 ans qui vient de Syrie, prend la parole. «Je ne travaillais pas, je mendiais, raconte-t-il. Les gendarmes m’ont trouvé endormi à l’entrée d’un immeuble et m’ont emmené ici». Ses parents savent-ils qu’il se trouve au centre ? «Oui, et ils ont même voulu me retirer d’ici, dit-il. Mais je leur ai répondu que je préférais rester au centre. Depuis, ils viennent chez moi chaque dimanche depuis un mois et demi parce que ma mère ressent le besoin de me voir». Comme les autres, Oussama apprend à lire et à écrire. Il n’allait plus à l’école depuis son arrivée au Liban. Mais de toutes les histoires, c’est certainement celle d’Alaa qui est la plus tragique. «Je suis venu seul de Syrie, en service», dit-il, une pointe de fierté dans la voix. Ses parents sont divorcés et remariés chacun de son côté. Son père, un ivrogne, lui enchaînait les pieds, l’attachait au plafond et le fouettait, infligeant le même traitement à ses frères et sœurs. Pourquoi est-il venu au Liban ? «Comme ça», répond-il simplement. Sa voix se bloque et c’est la surveillante et responsable des relations extérieures, Randa Béchara, qui l’aide à poursuivre. La première fois que Alaa a foulé le sol libanais, il a été pris en charge par une assistante sociale de Zahlé qui l’a mené au centre. «Mais quand j’ai su qu’on voulait me faire rentrer en Syrie (le centre lui avait en fait débrouillé une place dans une association là-bas), j’ai fui pour ne pas rentrer chez moi», raconte-t-il. Il revient alors chez l’assistante sociale qui le remet à la police syrienne dans le but qu’il soit intégré dans une association. Mais les policiers le dirigent vers la correctionnelle (qui n’est pas une place pour lui), puis chez son père. Là, l’accueil est plus que chaleureux : son père lui brûle la jambe et lui dit de bien se rappeler de ne pas rentrer à la maison ! Il est retrouvé par l’équipe du centre, juste devant la porte, revenu seul, une fois de plus, de Syrie… Selon Mme Béchara, «il restera chez nous jusqu’à ce que nous le remettions en mains propres à une association caritative en Syrie». D’ailleurs, tous les enfants qui ne regagnent pas leurs foyers sont dirigés vers des associations ou des écoles pensionnaires. S’habituer prend du temps Tarek, un petit Palestinien, était lui aussi à la rue, mendiant près d’une centrale, quand les FSI l’ont embarqué. Il partage avec ses camarades la passion du sport (il veut aussi devenir champion de karaté) et de ses éducateurs. Ses parents sont dans le camp de Sabra. Les fugues, par ailleurs, ne sont pas inconnues. Eux-mêmes racontent que six d’entre eux ont fui le centre, ayant trouvé une porte accidentellement ouverte. Ils y sont revenus seuls, n’ayant probablement pas pu se réadapter au milieu hostile de la rue. Ce comportement rebelle est normal, selon Mme Béchara : «Les premiers jours, les enfants considèrent le centre comme une prison, pas comme une école, ce qu’ils n’ont le plus souvent jamais connu. Ils sont naturellement difficiles à manier. Mais plus ils s’habituent, plus ils s’intègrent au système». L’éducation est une part importante de la réhabilitation et, à en juger par leur attitude en classe, les jeunes se plient volontiers aux leçons de leurs maîtres. Leur éducatrice, Berthe Bejjani, déclare que la tâche des professeurs (qui n’est pas facile parce que chaque enfant a un niveau différent) est de leur inculquer des règles civiques et sociales en même temps que du savoir. «Les études sont entrecoupées d’activités afin que les élèves ne les ressentent pas comme une corvée, explique-t-elle. Ils ont besoin de temps et de beaucoup d’affection». Par ailleurs, d’autres tranches d’âge sont également prises en charge au centre. Dans une petite cour où il y a des balançoires et un baby-foot, des enfants de trois à cinq ans environ jouent d’un air décontracté. Mme Béchara, qui est également la responsable des tout-petits, raconte les tragédies qui ont secoué leurs premières années. «Hassan a 4 ans, dit-elle. Enfant illégitime que sa mère a eu avec son cousin, il a été récemment abandonné par celle-ci devant un orphelinat. Son père le réclame». Et la liste continue. Joyce et ses frères ont été abandonnés par leur père, un ivrogne, et trouvés dans la rue. Ils seront placés dans des orphelinats. Quant à Jennifer, Joseph et leur troisième frère, leur père est de Sierra Leone et devra les récupérer à sa sortie de prison. Leur mère, suite à un accident, était devenue incapable de s’occuper d’eux et ils se sont retrouvés à la rue… L’équipe du centre effectue-t-elle un suivi ? «Il nous est surtout possible de le faire pour les Libanais, qui sont les cas les plus rares, répond Mme Béchara. Avec les autres, nous essayons au moins d’obliger les parents à faire établir les papiers d’identité des enfants (qui n’en ont souvent pas) avant de les leur rendre». Ainsi, derrière les petits visages attachants se cachent de véritables calvaires. L’initiative étatique a enfin pris forme mais l’affaire n’en demeure pas moins nationale. Alors n’oubliez pas, dès que vous verrez un petit vendeur ambulant ou un petit mendiant, qu’il s’agit probablement d’un enfant qui doit trouver un abri et de composer le 112, numéro des FSI.
Taleb (13 ans) se faisait enchaîner et battre par son père quand il a décidé de fuir et qu’il s’est retrouvé à la rue. Alaa (12 ans) s’est fait brûler par son père qui ne voulait plus de lui à la maison. Joyce et ses frères, dont l’aîné âgé d’à peine quatre ans, ont été abandonnés par leurs parents. Tous ces enfants et bien d’autres se sont retrouvés un...