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Actualités - OPINION

Tribune Par où commencer ?

Une année décisive pour l’avenir du Liban vient de commencer avec la reprise de la négociation syro-israélienne et les bouleversements qu’elle annonce. Mais les Libanais s’estiment mal préparés à l’affronter. Pourquoi ? Pace qu’ils ont le sentiment que leur État n’existe que dans les limites étroites que lui laisse l’autorité de tutelle dont il est l’émanation et parce qu’ils ont également le sentiment que leur pays ne suscite plus aucun intérêt au sein de la communauté internationale et qu’il pourrait donc servir de monnaie d’échange dans la négociation en cours. Ces craintes et ces appréhensions ont certes leur raison d’être, mais les réactions qu’elles suscitent sont, à la limite, plus dangereuses que les faits eux-mêmes, car elles oscillent entre le désarroi, la démission et le fatalisme. Le Liban est, de toute évidence, mal engagé dans la négociation. Mais est-ce que cela signifie que tout est déjà joué et que plus rien ne peut être fait ? Les Libanais n’ont pas le choix. Ils doivent livrer bataille. Et leur premier objectif devrait être de réhabiliter leur État pour le rendre en mesure d’être présent à la table des négociations et ne pas se contenter d’un rôle de simple figurant. La faiblesse de leur État ne provient pas seulement du fait qu’il est placé sous tutelle. Il y a plus grave : les Libanais n’ont jamais œuvré sérieusement à l’établissement d’un État de droit. Or la présence d’un tel État est une condition nécessaire au recouvrement de l’indépendance et de la souveraineté nationale. Comment se définit un État de droit ? – C’est un État qui repose sur le principe de la dissociation entre le pouvoir et celui qui l’exerce par opposition au pouvoir personnel qui s’incarne dans un homme, celui-ci l’exerçant comme une prérogative qui lui est personnelle parce qu’il ne la doit qu’à des qualités qui lui sont propres. L’expérience des dernières années montre que ce principe de dissociation est loin d’être acquis. Les hommes «providentiels» qui se sont succédé au pouvoir depuis la guerre, ont, tous, tenté de substituer leur autorité personnelle à celle de l’État. – C’est un État qui est soumis à l’obligation de «respecter tout à la fois les règles de droit qui, par leurs origines, lui sont extérieures et celles qu’il a lui-même établies». L’État libanais n’est pas un État de droit, mais un «État de police», car les gouvernants et leurs agents sont, dans la pratique, affranchis de toute subordination à la légalité. Le respect des règles juridiques n’est que formel puisque le Pouvoir dispose de la possibilité de les modifier à tout moment comme en témoignent les multiples amendements de la Constitution faits en fonction d’intérêts particuliers ou partisans. – C’est un État dont la légalité n’est pas dissociée de la légitimité qui la fonde. Légalité et légitimité ne relèvent pas de la même nature. La première se fonde sur le règne de la loi, la seconde sur le règne du droit. La légalité n’acquiert sa valeur qu’en fonction du principe qui la justifie et ce principe, c’est la légitimité. L’accord de Taëf est très explicite à ce sujet : la légitimité de l’État est fonction de sa capacité à maintenir le «vouloir vivre en commun» des Libanais. Or cette légitimité a été en permanence bafouée. Elle l’est toujours comme en témoigne l’adoption de la récente loi électorale. – C’est un État qui «restitue à l’obéissance une dignité que la soumission à un homme risquerait de compromettre». Car les gouvernés sont assujettis à «des règles qui ne valent que parce qu’elles sont émises sous couvert de l’État». Et ces règles qui sont l’expression de la volonté générale sont nécessairement les mêmes pour tous. Dans une société aussi différenciée que la nôtre, le principe de l’égalité que sous-tend le respect de la loi est au fondement de la paix civile. Toute entorse à ce principe réveille les vieux démons particularistes en suscitant frustration, peur et ressentiment. C’est en fonction de ce principe que les multiples condamnations dont a fait l’objet Samir Geagea ont été contestées. C’est en fonction de ce même principe que la lutte contre la corruption dont le pouvoir a fait son cheval de bataille est aujourd’hui également contestée. – C’est un État dont la tâche principale est de maintenir la cohésion de la société de telle sorte que ses membres puissent aborder ensemble leur destin. La politique, de par sa nature, divise les hommes et remet en question l’unité de la société. L’État de droit est celui qui n’interdit pas la politique sous prétexte qu’elle est un facteur de division, mais qui délimite un cadre aux affrontements politiques en fixant «les bornes au-delà desquelles l’éclatement de la société rendrait toute politique illusoire». L’État a donc fonction d’arbitre, car «dans une société où la complexité se traduit inévitablement par des tensions internes, il apparaît comme la seule force capable de faire de l’ordre avec du mouvement». Il est seul à même d’imposer son arbitrage aux pouvoirs de fait dont les luttes, si elles atteignaient leur paroxysme, détruiraient la société. Établir un État de droit est un impératif absolu. Mais comment un État placé sous tutelle peut-il en quelque sorte créer son contraire ? Dans la réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées, car c’est un État sous tutelle qui a créé le Conseil constitutionnel, le Conseil national de l’Information, le Conseil social et économique et autres institutions importantes dans tout État de droit. Mais il est clair aussi que cet État sous tutelle n’a agi que parce qu’il a été soumis à forte pression de la part de la société. Plutôt donc que de rester passifs dans l’attente des résultats de la négociation, il serait plus utile d’œuvrer à créer un contre-pouvoir dont l’objectif serait de forcer l’État à aller de l’avant et entreprendre les réformes nécessaires à la survie du pays en temps de paix.
Une année décisive pour l’avenir du Liban vient de commencer avec la reprise de la négociation syro-israélienne et les bouleversements qu’elle annonce. Mais les Libanais s’estiment mal préparés à l’affronter. Pourquoi ? Pace qu’ils ont le sentiment que leur État n’existe que dans les limites étroites que lui laisse l’autorité de tutelle dont il est...