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Actualités - REPORTAGES

TÉMOIGNAGE - Un opposant au régime de Bagdad raconte les misères des Irakiens et les dérives des autorités libanaises Réfugiés politiques : Liban, destination tous risques

Tout le monde est d’accord : c’est une Cour des miracles, le Liban, une espèce de tour de Babel où se côtoient des ressortissants de toutes nationalités – civils comme militaires. Et de là à être en mesure d’affirmer que ce pays est devenu une terre d’asile, il n’y a qu’un pas, un pas malheureusement impossible à franchir. Du moins en ce qui concerne la situation, atypique, des quelque 2 000 réfugiés politiques irakiens au Liban, ces opposants plus que déterminés au régime mis en place depuis 1979 par Saddam Hussein, et à ses exactions. Des réfugiés politiques dont la grande majorité a choisi Beyrouth comme escale, avant les États-Unis, l’Europe ou l’Australie... Haydar el-Asadi en est un d’eux. Haydar est au Liban depuis quatre ans, et son seul papier d’identité est une carte délivrée par la délégation pour le Liban du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies. Les mots alignés sur cette espèce de papier d’identité sont clairs : «Le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) à Beyrouth atteste que M. Haydar el-Asadi, né en Irak en 1974, a déposé auprès de ce bureau une demande de statut de réfugié. Après son examen, elle a été acceptée (...) Les autorités civiles et militaires libanaises sont priées de bien vouloir faciliter au titulaire de la présente attestation la jouissance du statut de réfugié en attendant l’identification d’une solution durable». Sauf que ces autorités-là, quelles qu’elles soient, ne facilitent en rien le quotidien des réfugiés irakiens, et l’État libanais n’a rien trouvé de mieux, en matière de «solution durable», que de les expulser vers leur pays d’origine. D’un côté, ils sont certes en situation irrégulière, de l’autre, il ne faut pas oublier que s’ils se font arrêter en Irak, leur peine minimale serait la perpétuité. Une dernière chose – et pas des moindres : le Liban n’a ratifié ni la Convention de Genève, relative aux réfugiés, en 1951, ni le protocole de la Convention de 1967. Il n’y a donc aucune base internationale légale protégeant les réfugiés au Liban. Aucune. S’il vous plaît, merci... Ses mots qui ne cessent de revenir, «s’il vous plaît, merci...». Haydar ne rase pas les murs, de peur qu’un gendarme ou un soldat de l’armée ne lui demande ces papiers qu’il n’a pas – mais presque, et il a quand même le sourire. Parce qu’il ne se bat pas que pour lui, parce qu’il défend une cause, sa cause, Haydar est fébrile, surexcité, «il faut que vous alertiez l’opinion, s’il vous plaît, il faut que vous parliez de ce régime dictatorial sauvage, arrogant et qui musèle et réprime tous ceux qui s’y opposent et qui a plongé tout le monde arabe dans un désarroi total après la guerre du Golfe». Haydar écrit des lettres, beaucoup de lettres, au président Hoss par exemple, pour lui raconter l’histoire de Ali Sbayhaoui, cet opposant au régime de Saddam et dont toute la famille croupit dans les geôles irakiennes. Ali est entré illégalement au Liban, il fuyait l’oppression, il a été arrêté, emprisonné au Liban, puis expulsé vers le nord de l’Irak, «les services de renseignements irakiens peuvent liquider n’importe quel opposant de mille et une façons, en l’assassinant, en provoquant un accident de voiture par exemple, en empoisonnant son assiette comme ils l’ont fait à Londres pour Ahmed Chalabi...». Il a également écrit au président Berry, l’exhortant à demander aux autorités libanaises concernées de faire la différence «entre les réfugiés et les touristes, entre les opprimés et ceux qui viennent violer la législation libanaise». Haydar raconte ces dizaines de faux réfugiés vrais espions envoyés par Bagdad, «et puis ces commerçants, ces intellectuels, ces artistes, il y a bien eu la danseuse Malayine, sa relation avec Oudaï, le fils de Saddam Hussein, est connue de tous». Et il vous a répondu le président Berry ? «Non». Il semble de plus en plus évident que le «prix à payer» en contrepartie de l’embellie économique libano-irakienne soit l’expulsion de tous les opposants à Bagdad vers leur pays d’origine. La famille de Haydar est connue pour son opposition au régime en place, «un régime policier, sauvage, où toutes les libertés politiques sont interdites : j’ai un oncle emprisonné à Abou-Ghreïb, un autre dont on n’a pas de nouvelles depuis 82, etc.». Être un opposant à Saddam, cela implique-t-il nécessairement être pro-iranien ? «Pas du tout, cela n’a rien à voir». Pourquoi avoir fui l’Irak, c’est uniquement par rapport aux autres membres de votre famille ? «Lors de l’intifada de 91, après la guerre du Golfe, j’écrivais des pamphlets contre Saddam, je ne ratais aucune manifestation, j’ai porté des Kalashnikov alors que je n’appartenais à aucun parti». En parlant de manifestation, comment s’expliquent les milliers de personnes que l’on voit à chaque meeting et que l’on entend scander des slogans à la gloire du président irakien ? «Ce sont tous des fonctionnaires étatiques et des étudiants que l’on fait chanter – des barreaux de prison à la place de diplômes...». L’Iran puis le Liban, à pied Haydar a quitté seul l’Irak, sa ville natale au sud du pays, il a traversé à pieds la frontière avec l’Iran, où il y est resté pendant près de cinq ans, à Téhéran et Qom surtout, où il a travaillé comme standardiste dans une boîte d’informatique, «en Iran, où j’ai souffert comme un fou quand je me rendais compte que ce pays expulsait mes compatriotes à partir du moment où les relations bilatérales ont commencé, peu ou prou, à s’assainir. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de quitter l’Iran». Pourquoi le Liban ? «Même si la situation socio-économique y est très difficile, ici la presse est libre, l’expression est libre, et ça c’est beaucoup plus important que de manger et boire». Haydar a traversé à pieds la frontière syro-libanaise, la première chose qu’il a faite, c’était d’aller au bureau du HCR. «Je connaissais beaucoup de journalistes, j’entretenais une correspondance régulière avec eux, avec les agences de presse étrangères, nous avions et nous avons toujours de très bonnes relations». L’ancien directeur marocain du bureau beyrouthin du HCR, dit-il, ne l’a reçu qu’après qu’il se soit plaint auprès d’Amnesty International, «cet homme a fait du tort à l’image de l’Onu, il n’était pas du tout en accord avec son poste, c’est pareil pour certains employés du HCR qui provoquaient les réfugiés – certains employés qui sont corrompus jusqu’à la moelle». La première fois, le HCR a refusé le statut de réfugié à Haydar, «cela fait partie de leur politique interne, ils voulaient voir si on allait revenir “à la charge” ou pas, si on voulait vraiment être protégés...». Le 1er novembre 1996, Haydar entrait illégalement au Liban, en août de l’année suivante, le HCR lui délivrait sa première carte de réfugié politique. «Les deux mille réfugiés irakiens sont répartis entre Beyrouth, Jounieh, Baalbeck, le Sud. Bon nombre d’entre eux se font emprisonner, et certains ont été l’objet de vexations en tout genre, de coups et blessures de la part des autorités libanaises concernées, leur dignité a été bafouée, on ne leur donnait presque rien à manger, on les obligeait à signer un papier attestant qu’ils viennent de Syrie, afin qu’ils y soient expulsés et au-delà, vers le nord de l’Irak…». Haydar ne travaille pas, il refuse d’être exploité, il est débiteur de plusieurs personnes et à peine son frère lui envoie-t-il quelques dollars une fois tous les plusieurs mois. Sa situation, il l’avoue, et c’est visible, est extrêmement difficile. Il lit le maximum de journaux, de livres, il suit l’actualité, écoute la BBC, Radio-Canada International ou RMC, «depuis que je suis tout petit, je m’intéresse à la politique». Haydar veut aller au Canada, continuer des études de droit, devenir journaliste, «c’est gratuit là-bas pour les réfugiés politiques, ici, tout est tellement cher...». Haydar et ses compatriotes souffrent trois fois : le dénuement matériel, l’exil et la peur – la peur d’être arrêté par les forces de police. Le 10 novembre, le délai, accordé à tous les ressortissants étrangers en situation irrégulière afin qu’ils se déclarent aux autorités concernées, expirera. Ce qui se passera ensuite ? Emprisonnements et expulsions en série sans doute... «Les Libanais ont été très bien traités à l’étranger pendant la guerre. Pourquoi cela ne s’appliquerait pas aux Irakiens qui ont souffert tout autant ?». Et Haydar repart comme il est arrivé. Avec le sourire et des mercis à la pelle. Et un (tout) petit peu plus d’espoir comme à chaque fois. Ziyad MAKHOUL
Tout le monde est d’accord : c’est une Cour des miracles, le Liban, une espèce de tour de Babel où se côtoient des ressortissants de toutes nationalités – civils comme militaires. Et de là à être en mesure d’affirmer que ce pays est devenu une terre d’asile, il n’y a qu’un pas, un pas malheureusement impossible à franchir. Du moins en ce qui concerne la situation,...