Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

SANTÉ - La panique en France se transmet aux pays importateurs Possibilité de viande contaminée par l’ESB : l’État rassurant, les spécialistes sceptiques Méfiez-vous du poulet, du poisson (métaux lourds dans l’eau), des résidus de pesticides dans les légumes... Que reste-t-il à manger ?

C’est la psychose de la vache folle en France. Et dans les pays importateurs comme le Liban, c’est aussitôt l’angoisse. Le steak que nous mangeons est-il suspect ? Des mesures de sécurité efficaces ont-elles été prévues ? Qu’est-ce qui empêcherait une viande pouvant représenter un danger de pénétrer sur le marché libanais ? Quel est le risque encouru par le consommateur libanais de viande française ou européenne ? Les réponses des responsables sont particulièrement rassurantes : les animaux importés sont jeunes et ne courent aucun risque d’être contaminés, ainsi que la viande qui provient, elle aussi, de bovins de moins de deux ans et demi d’âge. Mais des spécialistes se montrent plutôt alarmistes. Le doute devrait-il persister ? Si cet article ne prétend pas apporter une réponse à une affaire compliquée et encore peu connue même dans les pays où elle a trouvé son origine, il expose divers points de vue officiels et neutres sur de potentiels risques par la consommation de viande française (ou autre). Le Liban importe 80 % de la viande qu’il consomme. C’est peu dire que l’inquiétude est justifiée dès lors qu’un problème éclate dans un des pays producteurs, surtout s’il y a une longue tradition d’échanges avec ce pays, et que la panique s’y est installée. Rappelons, avant tout, que la distribution de farine animale a été suspendue en France pour toutes les espèces afin d’enrayer l’inquiétude sur la propagation de la maladie de la vache folle. En fait, cette pratique a été prohibée dans le cas des bovins depuis 1990, mais n’y est appliquée avec rigueur que depuis 1996. Les questions que pourrait se poser le consommateur libanais aujourd’hui sont multiples : d’une part, comme dans le reste du monde, il se demande par quel moyen se transmet cette mystérieuse maladie, et il attend des réponses. D’autre part, ses interrogations portent sur l’importation de viande au Liban, la rigueur des contrôles, les mesures de protection, la contrebande à partir de frontières poreuses... Bref, le risque qu’il encourt aujourd’hui (ou auquel il a été exposé par le passé) du fait de la consommation de viande à partir de pays qui ont nourri leur cheptel de farine carnée. D’abord le point de vue officiel, particulièrement rassurant. Mansour Kassab, directeur des ressources animales au ministère de l’Agriculture, donne son explication sur ce qui se passe en France : «Le programme de détection de l’ESB en France consiste à prendre des échantillons de tissus nerveux sur des animaux morts ou malades qui, de toute manière, sont retirés de la chaîne alimentaire en France. Cette procédure a été doublée d’un programme d’échantillonnage au niveau des abattoirs. Cette maladie, déclarée officiellement en Europe en 1991, à la suite d’une alimentation poussée aux bovins de farine, de viande et d’os, a été à l’origine d’une directive d’interdiction de ce type d’alimentation par la Communauté européenne, à la même date». Entre-temps, la maladie a commencé à apparaître 5 ou 6 ans plus tard. «L’Office international des épizooties (maladies animales), pour éradiquer ce fléau, a émis une recommandation pour une procédure de détection de la maladie sur le cheptel de chaque pays, afin que celui-ci puisse être déclaré indemne de cette maladie, poursuit M. Kassab. La France a été le premier pays à s’imposer ce travail d’autodétection selon une telle procédure. Ce pays a également mené une action au niveau de la Communauté pour faire approuver un nouveau test créé par des Français sur le cerveau des animaux abattus. Cependant, après s’être imposés cette autodétection, les chercheurs ont découvert des cas de maladies chez des animaux de plus de 5 ans d’âge. Il n’y a donc pas de danger pour les vaches plus jeunes». Quelles sont les mesures prises actuellement au Liban ? «Nous avons interdit l’importation d’animaux sur pied âgés de plus de trois ans depuis 1996, et nous avons ramené cet âge à deux ans et demi récemment, explique M. Kassab Pour ce qui concerne la viande, elle ne doit pas non plus provenir de bovins de plus de deux ans et demi. Or en France, il est toujours facile de retracer l’animal». Les mesures prises par le ministère de l’Agriculture ne s’arrêtent pas là. «Les ministères concernés par la question de la viande, c’est-à-dire ceux de l’Agriculture, de la Santé et de l’Intérieur, émettront bientôt une directive commune qui visera à obliger les bouchers à s’approvisionner en viande locale auprès des abattoirs agréés, souligne M. Kassab. Ces abattoirs, qui dépendent des municipalités, sont surveillés par des vétérinaires. Bientôt, cette règle sera appliquée à tous. Par ailleurs, nous les obligerons également à détruire la moelle épinière et la cervelle de tous les animaux, quels que soient leur provenance et leur état». Sachant que les tests effectués au Liban ne peuvent détecter l’ESB chez les bovins importés, le ministère considère-t-il que le risque d’être contaminé par une viande provenant d’une vache atteinte est nul au niveau du consommateur libanais ? «Nous possédons les procédés techniques et scientifiques pour nous prémunir contre une contamination potentielle non seulement de la viande française, mais de toutes les viandes européennes», affirme M. Kassab. D’autre part, il assure que les animaux élevés au Liban sont nourris au fourrage, jamais à la farine de viande. Un animal qui arrive jeune et sain ne court donc aucun risque de tomber malade et d’être abattu dans cet état. M. Kassab conseille aux consommateurs «de s’assurer, chez leur boucher, qu’il s’approvisionne auprès d’abattoirs agréés». Farine animale : article cher Le danger de l’utilisation de la farine animale dans les fermes locales a également été écarté par M. Fadlallah Mounayar, chef du service vétérinaire de la Quarantaine. «La farine animale est un article très cher, on ne l’importerait donc pas pour des bœufs, mais plutôt pour les poulets qui en consomment beaucoup moins, dit-il. Or le poulet est un omnivore, et il n’a pas été prouvé que les nourritures d’origine animale sont nuisibles». En tant que chef de service vétérinaire, M. Mounayar contrôle tous les animaux qui arrivent au Liban. «Je peux vous dire que nous faisons notre possible et prenons les précautions nécessaires, nous assure-t-il. Après tout, nous serions les principaux responsables en cas de problème». Il nous donne des exemples de bateaux renvoyés à leur pays d’origine parce que des maladies y ont été décelées chez les animaux qu’ils transportaient. Mais l’ESB ne peut être diagnostiquée dans nos laboratoires (à moins que les symptômes soient très apparents à un stade très avancé du mal). «Même dans les pays producteurs, cette maladie ne peut être confirmée qu’une fois le bovin abattu, répond-il. Ce que je peux vous dire, c’est que les bêtes débarquent au Liban avec un certificat sanitaire officiel prouvant qu’elles sont indemnes de l’ESB. Pour ce qui est de la France, il faut préciser que ce pays considère cette question avec beaucoup de sérieux, et qu’il a donné des garanties d’abattre tous les troupeaux dans lesquels des cas d’ESB sont apparus. Le gouvernement français interdit l’exportation à partir de départements atteints, et nous prenons acte de ces interdictions». Selon M. Mounayar, il n’y aurait pas encore eu de réduction de prix de la viande importée de France. Pour ce qui concerne la viande congelée, il précise qu’«elle n’est importée que si les lymphes, les glandes et l’os en sont retirés, ce qui signifie que le danger est théoriquement nul». Pour sa part, Farid Karam, chef du département de génie sanitaire au ministère de la Santé, soutient que «le risque est nul au Liban, même pour les viandes provenant de France». En 1996, le ministère de la Santé a été le premier à recommander l’interdiction du bœuf britannique après le scandale qui a éclaté concernant la maladie de la vache folle dans ce pays. Pourquoi n’avoir pas fait de même avec le bœuf français ? «Nous avions peu d’informations sur la question à l’époque, répond-il. Aujourd’hui, nous suivons les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et appliquons des mesures de sécurité qui nous prémunissent contre tout risque, sans recourir à des mesures extrêmes. Nous sommes tenus d’ailleurs de présenter des rapports réguliers à l’OMS sur les cas de Creutzfeldt-Jakob (la forme reliée à l’ESB évidemment) s’il s’en trouve, à l’instar d’autres pays». Le Liban en a-t-il connu ? «Aucun», répond M. Karam, catégorique. Pourquoi l’État ne mène-t-il pas de campagnes d’information pour rassurer les citoyens ? «Souvent, malheureusement, ces campagnes d’informations bien intentionnées aboutissent à l’effet contraire et provoquent une panique», estime-t-il. Les universitaires plus ou moins alarmistes Mais tout le monde ne partage pas cet optimisme. Interrogé sur cette question par L’Orient-Le Jour, le Dr Saab Abi Saab, docteur en physiologie animale et professeur à la faculté d’agronomie de l’Usek, pense que «le risque de contamination à partir de viandes importées existe, et il est important. Tant qu’il n’y a aucune preuve que le prion n’a pas pollué le muscle, on ne peut être tout à fait tranquille», estime-t-il. «Lors de l’abattage de l’animal, des fragments de moelle ou de cervelle peuvent se mêler à la viande». L’une des principales mesures de prudence consiste, selon lui, à déterminer avec précision le pays d’origine du produit, en contournant contrebande et fraude (à titre d’exemple, des produits provenant de pays non indemnes de l’ESB alors que le label indique une tout autre destination d’origine). Interrogé sur le principal argument des autorités qui écartent tout risque du fait que les animaux importés sont jeunes, le Dr Abi Saab précise : «C’est un argument plausible en effet. La plupart des veaux sont abattus à dix mois, alors qu’ils se nourrissent de lait jusqu’à cent jours. Pour ce qui est des vaches, plus elles sont jeunes, moins elles auraient consommé de farine animale (dans les pays qui leur en servent toujours) et moins elles ont de chances d’avoir contracté la maladie». Pour sa part, le Dr Élie Barbour, professeur des causes de maladies animales à la Faculté de microbiologie vétérinaire à l’AUB, doute que les certificats d’origine envoyés par les importateurs avec la viande soient suffisants. «S’il y a erreur de l’importateur, nous n’avons pas les laboratoires compétents pour déceler l’ESB, fait-il remarquer. Le contrôle peut être efficace pour d’autres maladies bactériennes, mais pas dans le cas du prion». Le Dr Barbour prône des solutions radicales. «L’État devrait interdire les viandes en provenance de pays où des cas d’ESB ont été découverts», dit-il. Sur l’argument avancé par certains et concernant l’importation des animaux jeunes, il déclare : «Selon quelle logique les individus jeunes ne contracteraient-ils pas la maladie ? Je ne crois pas que cette mesure soit suffisante pour la protection du consommateur». Faut-il être prudent s’agissant de la viande qui provient de France ou d’autres pays d’Europe, là où des farines carnées ont été consommées par les vaches ou là où des cas d’ESB ont été déclarés ? «Il faut attendre les analyses de laboratoire et les recherches, cette question ne peut être tranchée au Liban», répond le Dr Abi Saab. Que conseille-t-il aux consommateurs ? «Je ne peux leur dire s’ils doivent ou non manger de la viande», souligne-t-il. «La période d’incubation de la maladie étant longue, je conseille simplement la prudence à l’encontre de viandes provenant de pays où des cas d’ESB ont été constatés. Pour ce qui est de la consommation, ce sont les autorités qui doivent trancher». Il ajoute : «S’il y a aujourd’hui un débat en France, il est logique que nous en attendions l’issue pour nous décider». À la même question, le Dr Barbour lance, sous forme de boutade : «Je conseille aux consommateurs de s’en tenir à la viande qui provient d’un animal qu’ils auront pu observer avant qu’il ne soit abattu !» Afin de pouvoir consommer de la viande sans danger, il faudrait, selon lui, «créer un appareil efficace de protection du consommateur, qui soit privé si l’État ne veut pas s’en charger». Il n’en demeure pas moins que tout le monde est à la recherche de réponses précises, quand celles-ci ne sont que rarement disponibles, même dans les pays concernés. Faut-il consommer de la viande sans inquiétude ? La panique, telle qu’elle s’est déclenchée en France, trouve-t-elle ses racines dans des considérations économiques ou politiques plutôt que purement scientifiques, comme l’ont laissé entendre certains de nos interlocuteurs ? À quoi servirait de prendre des précautions aujourd’hui et lesquelles privilégier ? Par ailleurs, comment s’assurer qu’une viande à risques, d’où qu’elle provienne, ne finirait pas au Liban, malgré les efforts de contrôle des autorités ? Ou qu’on n’a pas été exposé à un tel risque plus tôt ? Enfin, avec le poulet à la dioxine, les métaux lourds déversés dans la mer, les résidus de pesticide dans les légumes... on finirait par se demander par quel mal nous serons emportés en premier !
C’est la psychose de la vache folle en France. Et dans les pays importateurs comme le Liban, c’est aussitôt l’angoisse. Le steak que nous mangeons est-il suspect ? Des mesures de sécurité efficaces ont-elles été prévues ? Qu’est-ce qui empêcherait une viande pouvant représenter un danger de pénétrer sur le marché libanais ? Quel est le risque encouru par le...