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Actualités - ANALYSE

Le fantôme de la liberté

 Cela faisait bien longtemps, trop longtemps, qu’il n’avait pas eu vraiment l’occasion de se manifester, de se rappeler au (bon) souvenir des gens, de leur crier «j’existe». Encore moins place de l’Étoile. Le fantôme de la liberté croupissait, flétrissait, se fânait, seul, paria, quelque part au plus profond de la mémoire collective de plusieurs millions de Libanais. Lundi 6 novembre, 18h. L’hémicycle affichait presque complet. Rien de bien surprenant : le Premier ministre Rafic Hariri allait répondre aux 74 députés qui s’étaient relayés à la tribune parlementaire. Et puis tout ce beau monde allait voter. Le fantôme de la liberté piaffait, ne tenait plus en place, il sentait bien, le bon vieux bougre, que quelque chose allait, enfin, se passer. Beaucoup de députés avaient, pour la première fois, osé briser le tabou, en plein Parlement, trop avaient répété, scandé son nom. Rafic Hariri ne pouvait pas faire comme s’il n’avait rien entendu. Si? Eh bien non. Rafic Hariri a entendu. Rafic Hariri a fait fort. Très fort. Il les a presque épelés, haut et fort, ses mots, le nouveau Premier ministre. Les ingérences occultes et les intimidations dont la presse fait l’objet, la liberté d’expression et de manifestation, les arrestations arbitraires, la violation de l’intimité des domiciles, les écoutes téléphoniques, le terrorisme intellectuel... tout cela allait cesser. «Promis». En quelques mots, il a appelé auprès de lui, aux premières loges, le fantôme de la liberté, il lui a redonné de sacrées couleurs. Et il jubilait, l’ectoplasme. Tout le monde y a cru, tout le monde a applaudi, tout le monde a commencé à espérer. Le fantôme de la liberté commençait sérieusement à perdre tous ses attributs de fantôme, il s’épaississait, il prenait vie, il devenait presque réalité. Mais… patatras. Patatras deux fois. Walid Joumblatt n’a pas tenu sa conférence à l’USJ, ni sa prestation télévisée. Et samedi dernier, c’était au tour de Gébrane Tuéni. «Le Liban et l’avenir», c’était le thème de la conférence qu’il devait tenir à Zahlé. Le fantôme de la liberté s’est étranglé avec son café, en terrasse. «On» a fait comprendre à Gebrane Tuéni, par le biais de la direction de l’école des Sœurs des Saints-Cœurs, qu’il valait mieux qu’il reste à la maison ce jour-là. Voilà. «Excusez-moi, mais on m’a appelé pour me demander d’annuler la conférence», qu’on lui a dit à notre confrère. Tant pis pour petit Ghost, l’aller simple direction, une nouvelle fois, une nouvelle fois, les méandres de la mémoire collective se fait de plus en plus certitude. Le plus drôle – même notre fantôme a souri jaune : le chef de l’État s’est immédiatement insurgé contre ces atteintes, «anticonstitutionnelles», à la liberté. Alors que Rafic Hariri, lui, n’a rien dit. Il est certes toujours à Doha. Pauvre Rafic Hariri. Il est trop intelligent pour avoir voulu jeter de la poudre plein les yeux des Libanais avec cette histoire de libertés. Rafic Hariri, sans doute, veut. Mais il ne peut pas. Sauf que dans ce cas-là, on n’accepte pas le Sérail. Quant au fantôme de la liberté… Pauvre fantôme de la liberté. Il s’en est retourné derrière ses barreaux. Et toutes les heures, un autre fantôme, bien plus gros celui-là, vient le narguer. C’est la loi de la nature. Les petits lapins roses se font toujours écraser par les lions – même morts. Presque toujours. Ziyad MAKHOUL
 Cela faisait bien longtemps, trop longtemps, qu’il n’avait pas eu vraiment l’occasion de se manifester, de se rappeler au (bon) souvenir des gens, de leur crier «j’existe». Encore moins place de l’Étoile. Le fantôme de la liberté croupissait, flétrissait, se fânait, seul, paria, quelque part au plus profond de la mémoire collective de plusieurs millions de Libanais....