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Actualités - CHRONOLOGIE

Constructions sauvages - Deux immeubles s’écroulent sur leurs occupants : neuf tués et une fillette disparue À Naamé, le drame indicible des habitants du « complexe de la mort »

Wadi Abou Jmil, 1996, effondrement d’un immeuble, 6 morts, plusieurs dizaines de blessés. Kahhalé, 1998, même scénario : 5 tués, plusieurs blessés. Chiyah, 1999 : toujours le béton qui s’affaisse ensevelissant sous son poids les vivants : 11 tués, 25 blessés. Byacout, 2000 : dégâts matériels. Vient ensuite le tour de Naamé, à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth sur la route de Saïda. Un record : deux immeubles d’un coup, 9 tués, 27 blessés, une fillette portée disparue et 4 autres immeubles menacés, dans l’immédiat, d’effondrement prochain. Sans parler des 40 autres immeubles intégrés à ce «complexe de la mort», construits à la va-vite par un entrepreneur dont le seul souci semble avoir été la cupidité à outrance. Onze heures trente dans la nuit de vendredi à samedi : un tremblement au niveau des colonnes et des murs de soutènement de deux immeubles contigus fait sursauter les habitants du complexe immobilier. Alertée par les propriétaires du petit commerce du coin, la gendarmerie de Damour est dépêchée sur place en compagnie du président de la municipalité, Charbel Mattar, pour s’informer de la situation. Ils ne tarderont pas à détecter les origines de la secousse que les habitants avaient crue provoquée par des avions militaires israéliens. En effet, les poteaux montraient de larges fissures qui présageaient un éventuel effondrement. Suivant les conseils des gendarmes et du président de la municipalité, quelques habitants ont quitté les lieux sur-le-champ. Pourquoi pas les autres ? «Pour les rassurer, le propriétaire est venu leur dire qu’ils n’avaient rien à craindre, et qu’il était prêt à emmener son matelas et à venir passer la nuit dans l’immeuble. C’est ce qui les a rassurés», racontent les voisins. Le président de la municipalité a corroboré ces dires, ajoutant que le propriétaire, Wafic Mezher, a même été jusqu’à leur affirmer qu’il était prêt à étayer le bâtiment sur-le-champ. «C’est absurde, affirme M. Mattar, comment pouvait-il effectuer des travaux à onze heures du soir ? Nous étions parfaitement conscients de la gravité de la situation, et nous avions supplié les gens d’évacuer les lieux». Le pire se produit Deux heures plus tard, les deux immeubles s’écroulent dans un fracas dont l’écho retentit à des kilomètres à la ronde. Le scénario apocalyptique se déclenche. Croix-Rouge, Défense civile, pompiers, armée, Forces de sécurité intérieure, gendarmerie, toutes les unités de renfort possibles et imaginables arrivent précipitamment sur les lieux. Les experts du génie militaire prennent activement part aux opérations de sauvetage, délicates et difficiles à plus d’un égard. Des quatre étages dont étaient constitués les deux immeubles, seuls deux émergeaient encore en surface, les deux autres, y compris les sous-sol, ayant été ensevelis avec leur lot de morts et de blessés. «Nous essayons de creuser en surface, et non en profondeur, selon des techniques très particulières, car il y a encore des personnes que nous espérons en vie, nous affirme un responsable de la Défense civile, qui supervisait les opérations. Cela retarde évidemment les recherches puisque nous travaillons en surface, mais nous ne pouvons pas prendre de risques». Le décompte macabre Dès les premières heures de l’opération, 24 personnes avaient été sauvées et 15 étaient encore ensevelies sous les décombres, dont 4 ou 5 qui étaient encore en contact avec les agents de la Défense civile. «Ces derniers les pourvoyaient en oxygène afin de les maintenir en vie», avait affirmé le ministre de l’Intérieur Élias Murr qui avait suivi le déroulement des opérations de sauvetage de très près. Malheureusement, quelques heures plus tard, le décompte macabre était amorcé. Dimanche soir, les corps sans âme retirés des décombres avaient atteint le nombre de neuf. Une fillette était encore portée disparue, après que trois femmes et la fille de l’une d’elles avaient été retrouvées, inertes, en matinée. Quant aux blessés, 27 en tout, ils ont été répartis dans les différents hôpitaux de Beyrouth. «Nous avons retiré un bébé de 2 mois qui avait l’air en parfaite forme. Il ne portait aucune égratignure. C’est étonnant la résistance qu’un enfant en bas âge peut avoir», témoigne un jeune homme de 17 ans qui avait porté assistance aux secouristes lors des premières rescousses. Lui, par contre, avait le visage taché de sang. Son T-shirt portait les stigmates du drame. Affalé sur un fauteuil au milieu d’un salon neuf que leurs propriétaires avaient eu la présence d’esprit de sauver de la catastrophe à la dernière minute (? !), Omar raconte comment les unités de la Défense civile sortaient les corps, tantôt vivants, tantôt inanimés, de sous cet amas de décombres poussiéreux : «C’était abominable. Je n’ai rien vu de pareil, c’est comme un cauchemar», dit-il, en citant, fidèlement, de mémoire, les noms des morts et blessés. Il était tout aussi fier de nous annoncer qu’une vingtaine de personnes ont pu être sauvées. Tout autour, les sauveteurs s’agitaient, les pelleteuses mécaniques creusaient, les badauds ceinturaient l’endroit, les yeux écarquillés : ils scrutaient la moindre pierre, dans l’espoir d’un indice, d’une couleur, un son, un mouvement, qui puissent les mener aux derniers survivants. D’autres étaient là juste pour regarder. «Je viens d’arriver, ce n’est pas juste monsieur le gendarme, donnez-moi cinq minutes seulement», suppliait une dame lorsqu’un élément des FSI la sommait d’évacuer les lieux. Ce qu’ils venaient fixer ? Un cartable bien rangé, ouvert sous le choc, éjecté auprès d’une cuisinière au milieu d’un tas de pierres brisées. Des cuvettes qui ont dû servir à faire la dernière vaisselle après le dîner familial, des couvertures dont on ne reconnaissait plus la couleur, des habits déchiquetés, des placards fendus en deux… Bref, une intimité tragique qui a éclaté au grand jour et que les plus curieux, par un phénomène de voyeurisme exacerbé, venaient scruter dans ses moindres détails. Cris, gémissements et pleurs Sur le chantier, c’est un véritable cataclysme. Aux cris, gémissements et pleurs des parents des disparus et des décédés, venaient s’ajouter les bruits des pelleteuses, la révolte des habitants, qui n’arrivaient plus à supporter les discours «sages» des responsables, devenus pour eux l’équivalent de la langue de bois. Une sorte de folie s’était emparée des gens, le temps de se lancer des accusations, de trouver un bouc émissaire et de faire endosser la responsabilité à quelqu’un, en l’occurrence à l’État. Bien entendu, Wafic Mezher et son ingénieur Mahmoud Dandan étaient les premiers visés. «Nous avions déjà alerté à plusieurs reprises les reponsables sur l’état de ces immeubles. Personne n’a rien fait. Allez jeter un coup d’œil sur les sous-sols. Ils sont inondés par les égouts. Les infiltrations d’eau dans les murs sont perceptibles dans tous les immeubles du complexe», affirme Idriss el-Saleh. Toutefois, à la question de savoir quels sont nommément les responsables qui ont été prévenus, M. Saleh a du mal à répondre : «Tous sont au courant», dit-il sans plus de précision. Interrogé à ce sujet, le mohafez du Mont Liban, Adnan Doumiati, affirme n’avoir pas été mis au courant de l’état branlant de ces constructions. Entre-temps, une enquête a été ouverte sur les causes de l’effondrement qui seraient notamment dues, selon les témoignages des habitants, à la mauvaise qualité des matériaux et à l’eau salée des puits artésiens utilisée lors de la construction (voir encadré). Cette affaire relance, de manière sérieuse, le problème des normes de sécurité qui régissent les travaux de construction. Elle remet sur le tapis la fameuse question des contrôles qui incombent aux organismes de surveillance, à savoir, en premier, à l’Ordre des ingénieurs, à l’office de l’urbanisme et à la municipalité. En attendant que l’enquête en cours aboutisse, ce sont des questions plus urgentes auxquelles doivent faire face actuellement les responsables : comment et où loger les centaines de personnes qui ont été évacuées des trois autres immeubles considérés comme dangereux ? Rappelons à ce titre que le ministre de l’Information M. Ghazi Aridi avait souligné que durant les travaux de sauvetage, «toutes les fois que les pelleteuses et les bulldozers étaient à l’œuvre, cela provoquait un ébranlement dans les fondations des immeubles environnants. C’est pourquoi, avait-il dit, nous avons décidé de prendre des mesures préventives afin d’éviter de plus grandes pertes humaines». En tout cas, le problème humain qui se pose pour l’instant est de savoir où seront logées ces personnes et comment elles seront indemnisées. Samedi soir, plusieurs personnes ont passé la nuit dans leurs voitures. L’État a fait certes preuve de bonne foi. Il lui faudra peut-être déployer des moyens, de très gros moyens et une générosité matérielle et humaine à la mesure du drame. Jeanine JALKH
Wadi Abou Jmil, 1996, effondrement d’un immeuble, 6 morts, plusieurs dizaines de blessés. Kahhalé, 1998, même scénario : 5 tués, plusieurs blessés. Chiyah, 1999 : toujours le béton qui s’affaisse ensevelissant sous son poids les vivants : 11 tués, 25 blessés. Byacout, 2000 : dégâts matériels. Vient ensuite le tour de Naamé, à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth...