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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Le temps des retours : fracassant pour les Kataëb, intransigeant pour Karamé

Impossible de linéariser le compte-rendu de la journée-marathon de samedi, 26 députés ayant pris la parole entre 10h30 et 15h d’abord, entre 18h et 22h ensuite. Un constat, et pas des moindres : deux faits marquants résument cette journée. C’était nettement celle des retours : celui, fracassant, des Kataëb, absents de l’hémicycle depuis 1992, et qui, par les voix de Pierre Gemayel et d’Antoine Ghanem, ont montré à quel point il faut désormais compter avec eux. Et le retour également, drôlissime certes mais extrêmement ferme, d’un ténor de la Chambre, absent depuis quatre ans, l’ancien Premier ministre Omar Karamé, un ex-opposant farouche à Rafic Hariri et dont la proposition, déjà faite à Bkerké, que soit tenu un Congrès national sur les relations libano-syriennes devrait impérativement être entendue. Le deuxième temps fort de la troisième journée du débat de confiance place de l’Étoile a été l’interminable polémique à propos de la présence syrienne – polémique dans laquelle sont justement venues s’inscrire les allocutions des deux députés Kataëb. Interminable parce que chacun s’est contenté de camper sur ses positions. Il y a eu le discours anti-Joumblatt, prosyrien et ultracomplaisant de Nasser Kandil, la conférence de presse impromptue des ministres Hamadé et Aridi qui lui ont répondu. Il y avait également les laïus des député(e)s-lige du Premier ministre qui ont farouchement défendu la présence des soldats de Damas et les réparties à peine voilées des parlementaires, druzes comme chrétiens, de la Rencontre démocratique, le bloc que préside le leader du PSP. Ferme, clair, concis et dense, mais aussi posé et avec une indéniable présence, Pierre Gemayel n’a pas fait de détours : «J’ai décidé de ne pas accorder ma confiance au gouvernement Hariri». En fermant un peu les yeux, l’impression d’entendre Béchir – son neveu s’exprimait en arabe courant – était, parfois, assez impressionnante. «Oui nous avions nommé le président Hariri, pensant qu’il allait présider un gouvernement d’union nationale, nous demandions un gouvernement d’entente où toutes les fractions seraient représentées au service de la patrie. Or, ce n’est définitivement pas ça». Refusant catégoriquement le concept selon lequel le Liban est incapable d’assumer ses responsabilités nationales – tant au niveau de ses dirigeants, de ses citoyens ou de son armée, «ne pas envoyer l’armée au Liban-Sud sous prétexte que nos soldats se feront kidnapper est un argument irrecevable», le jeune député a demandé une loi d’amnistie «pour l’ensemble des Sudistes» ainsi que l’annulation du service du drapeau au profit d’un entraînement militaire qui ne priverait les jeunes ni d’enseignement ni de travail. S’arrêtant sur les notions de démocratie et d’indépendance, Pierre Gemayel s’est étonné de l’absence, dans la déclaration ministérielle, d’une quelconque référence au communiqué des évêques maronites ou aux déclarations du patriarche Sfeir, «d’autant plus qu’ils représentent une tranche importante des Libanais et qui devrait, elle aussi, avoir droit à la parole». Et concernant la présence syrienne au Liban, le petit-fils du fondateur des Kataëb n’y a pas été de main morte. «Seul le gouvernement d’union nationale auquel nous avions appelé aurait été en mesure de négocier avec la Syrie». Dénonçant l’interventionnisme syrien dans la vie quotidienne, ainsi que dans l’administration et ses services, il a demandé à ce que soit régulée, «comme dans tous les pays du monde», la main-d’œuvre étrangère, «surtout que le Libanais est incapable de trouver du travail». Faisant écho à son collègue de Beit-Méry, Pierre Gemayel a clairement appelé au retrait syrien du Liban, «d’autant plus que tous les prétextes (au maintien de la présence des forces armées de Damas) n’ont plus lieu d’être, et en premier chef, l’occupation israélienne. Seul un dialogue franc et authentique pourrait garantir et préserver les relations entre nos deux pays». L’interrompant tout de go, et avec un ton plus que cavalier, le président de la Chambre, Nabih Berry, s’est enflammé : «Et les hameaux de Chebaa ? Vous voulez donc qu’on les livre aux Israéliens ? Ou qu’on les donne à la Syrie ? Mais la Syrie a bien dit qu’ils étaient libanais, donc sachez qu’elle n’a aucune visée sur le Liban. Dans tous les cas, au sujet de la présence syrienne au Liban, je dirais en temps voulu un mot que retiendra l’Histoire – un mot qui clarifiera tout cela. Mais tout ce que je souhaite lorsque quelqu’un aborde la présence syrienne, c’est qu’il n’argue pas d’un retrait total israélien du Liban». Gemayel, extrapolant quelque peu : «Je vous ai pourtant entendu dire que le Liban allait mener une bataille diplomatique afin de récupérer ces hameaux et...» Berry, hors de lui : «Moi ? Moi j’ai parlé de diplomatie ? Mais c’est moi, cheikh Pierre, qui ai créé la résistance, et de ma vie je n’ai utilisé le mot diplomatie, sachant pertinemment qu’Israël ne comprend pas et ne comprendra jamais le sens de ce terme». Il n’empêche, le député du Metn a poursuivi et conclu calmement, évoquant le problème des prisonniers libanais en Syrie, et rappelant, une deuxième fois, qu’il voterait, lundi soir, la défiance. Antoine Ghanem, le second député Kataëb, avait pris avant son collègue la parole. Antoine Ghanem est un tribun d’exception, forçant lentement mais sûrement l’Assemblée à l’écouter religieusement. Et outre les thèmes abordés par Pierre Gemayel, il s’est particulièrement arrêté sur les Kataëb, «qu’on le veuille ou non, ce parti représente une grande fraction de la population, pourquoi n’est-il pas présent au gouvernement ?», sur le dossier de toutes celles et ceux qui ont fui la montagne, «je souhaite que Marwan Hamadé soit le dernier ministre des Déplacés», sur la nécessité de revoir la loi électorale «trop préfabriquée», ou sur celle d’amender le code de procédure pénal et de la séparation de l’Exécutif et du Judiciaire. Enfin, s’abstenant de dire s’il voterait la confiance ou pas, même s’il est clair que ce sera non, il a rejoint sa place, faisant claquer un superbe tope-là avec Pierre Amine Gemayel, on aurait presque entendu le «Yessss» à des kilomètres. Partie de ping-pong Quant au reste, il a été dominé par une sorte d’intense partie de ping-pong entre les intervenants haririens d’un côté et joumblattistes de l’autre, tout le monde se penchant évidemment sur les points économiques, sociaux ou judiciaires de la déclaration ministérielle. Pour le premier camp, Jean Oghassapian, Ghounwa Jalloul, Nasser Kandil, Ghattas Khoury – le seul à ne pas avoir évoqué le dossier syrien –, Bassem Yammout et Walid Eido, des discours en général assez ressemblants, défendant farouchement la présence syrienne et la déclaration ministérielle, le summum ayant été atteint par Walid Eido : «J’ai lu avec admiration cette déclaration dont la moindre des qualités est l’objectivité : pas de monts et merveilles ou de mirages promis, mais une clarté totale». Pour le bloc Joumblatt, Élie Aoun, Georges Dib Nehmé, Nabil Boustany et Akram Chehayeb se sont succédé, outre Antoine Ghanem, à la tribune. «Les mots dits la veille par le leader national qu’est Walid Joumblatt, nous les entendons tous les jours, murmurés ou clairement exprimés par les citoyens», a indiqué Nehmé, rappelant cet adage selon lequel «le véritable ami est celui qui te parle franchement, et pas celui qui abonde et qui ajoute foi à tes paroles». À bon entendeur salut – le message est clair. Quant à Akram Chéhayeb, il a violemment stigmatisé, faisant explicitement allusion aux critiques formulées par Nasser Kandil, les vérités que l’on travestit, et ses mots ont fait mouche : «Les mensonges ont fait saigner mon oreille, ce que j’ai entendu m’a atterré, j’ai essayé de pleurer encore et encore, sauf que je n’ai pu qu’éclater de rire». Quant aux autres députés à avoir pris la parole, entre les sonneries de cellulaires qui faisaient grincer des dents à Nabih Berry, la cravate fuschia-fluo de Atef Majdalani, ou les sauts de puce de Rafic Hariri qui ne cessait de changer de place, «tu fais le douanier maintenant ?», lui a même dit Nabih Berry après que Ghounwa Jalloul se soit arrêtée devant sa place à l’issue de son discours, ils ont été au nombre de douze. Farès Souhaid, qui s’est demandé «quels crimes ont donc bien pu commettre les prélats maronites», Abbas Hachem – il a voté la défiance – Fayez Ghosn, le député de Chebaa Kassem Hachem, Fayçal Daoud, Élie Skaff, Sayed Akl, César Moawad, Ali Bazzi, Boutros Harb, les députés du Hezbollah Georges Najm et Hussein Hajj Hassan – ulcéré par la dette extérieure – et l’incroyable Omar Karamé. La proposition faite à Bkerké réitérée «Il y a eu le communiqué du patriarche maronite, celui des évêques, il y a eu les interventions des députés Albert Moukheiber et Walid Joumblatt, et nous avons écouté votre réponse, M. le président du Conseil, au député du Metn. Une réponse que nous approuvons et que nous faisons nôtre. Mais laissez-moi vous dire une vérité : notre unité nationale est la raison d’être de ce pays et la condition sine qua non de sa réussite. M. le président, nous devons reconnaître, au sein de notre société, l’importance du pluralisme, l’existence de convictions divergentes. Les mots de Mgr Sfeir, ceux de MM. Moukheiber et Joumblatt expriment, qu’on le veuille ou non, l’opinion d’une partie des Libanais. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, la solution à ce problème ne peut pas naître à partir de réactions violentes mais plutôt du dialogue raisonnable et constructif. Nous passons par une période dangereuse et délicate, et j’ai déjà appelé, depuis Bkerké, le chef de l’État à inviter à un Congrès national au cours duquel seront débattues toutes les questions, notamment les litigieuses d’entre elles, et tout ce sur quoi divergent les Libanais afin d’arriver enfin à des solutions qui feront l’unanimité». Il est clair que l’ancien Premier ministre, la seule voix mahométane, a été le seul, place de l’Étoile, à rompre le dialogue de sourds qui risque de s’éterniser entre les deux courants antagonistes au sujet de la présence syrienne. Il a également soulevé de nombreux points, tant dans la formation du Cabinet, «la nomination du ministre Issam Farès est anticonstitutionnelle», qu’à propos de la situation économique, et surtout à Tripoli. Mais ce que retiendront et les députés présents samedi – morts de rire – et chaque téléspectateur, ce sont les traits d’humour, souvent cinglants, les boutades, plus ou moins acerbes, plus ou moins cyniques, et ce côté définitivement pince-sans-rire dont seul Omar Karamé, place de l’Étoile, a le secret. À Rafic Hariri, assis parmi les députés, avant qu’il ne débute son intervention : «Pourquoi vous ne vous asseyez pas à votre place (au centre du banc des ministres) ? On dirait que ça ne vous enthousiasme pas tant que cela...» Ou encore : «Je vais être obligé de répéter ce que beaucoup de gens ont dit, ça risque d’être ennuyeux...» Autre perle, regardant les rangs du gouvernement : «Il n’y a pas grand-monde, hein... Où est Élias Murr ?» À Michel Murr : «Venez donc prendre sa place...» La perle, en montrant le ministre de la Justice : «Dans ce gouvernement, il y a un pont (Samir Jisr) entre le doux (Pierre Hélou) et l’amer (Élias Murr), et entre ces deux-là, des ministres dont le plus doux est amer...» Enfin : «Il faut ouvrir un zoo à Tripoli, ça créera 3 000 emplois». Berry : «Les animaux sont déjà arrivés au Liban ?» Karamé : «Non, mais on en a tellement déjà...» Inénarrable Omar Karamé qui a décidé de donner sa confiance au gouvernement Hariri. «Pour trois mois seulement...». Z.M.
Impossible de linéariser le compte-rendu de la journée-marathon de samedi, 26 députés ayant pris la parole entre 10h30 et 15h d’abord, entre 18h et 22h ensuite. Un constat, et pas des moindres : deux faits marquants résument cette journée. C’était nettement celle des retours : celui, fracassant, des Kataëb, absents de l’hémicycle depuis 1992, et qui, par les voix de...